Endettement : la solvabilité du Cameroun inquiète
À l’origine de ce nouveau vent de pessimisme, les conséquences économiques du Covid-19 sur l’économie du pays.
En plus du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale, S&P Global Ratings (ex Standard and Poors) et Moody’s sont à leur tour atteint par un doute quant à la capacité du Cameroun à rembourser ses dettes. Ce pessimisme est contenu dans leurs dernières analyses disponibles depuis le mois d’avril. Des deux agences de notation, S&P Global Ratings est la plus inquiète. Elle est allée jusqu’à abaisser la note souveraine du Cameroun à « B- ». C’est le niveau le plus bas dans la catégorie « très spéculatifs ». Moody’s pour sa part maintient le pays dans la note « B 2 », avant-dernier rang de cette même catégorie. Pour bien comprendre ces notations, il faut savoir que 10 catégories existent. Il s’agit en fonction du niveau de solvabilité de « première qualité », « haute qualité », « qualité moyenne supérieure », « qualité moyenne inférieure », « spéculatif », « très spéculatif », « risque élevé », « ultra spéculatif », « en défaut avec quelques espoirs de recouvrement », « en défaut », « non classé ».
Le Cameroun est certes en zone rouge, mais il est encore loin du défaut de paiement. Pour lui, la principale conséquence d’une telle notation est le durcissement possible des conditions d’endettement. Pour S&P Global Ratings et Moody’s, les conséquences économiques de la pandémie du Covid-19 sont à l’origine de ce regain d’inquiétude. « La propagation rapide et grandissante de l’épidémie de Coronavirus, la détérioration des perspectives économiques mondiales, la chute des prix du pétrole et les turbulences sur les marchés financiers créent un choc économique et financier grave et étendu », indique Moody’s. « Pour le Cameroun, le principal canal de transmission est l’impact de la baisse des prix du pétrole sur les recettes publiques ainsi que le repli des revenus d’exportations et le resserrement des conditions de financement extérieur », ajoute l’agence.
Accumulation des crises
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La situation préoccupe d’autant que ce nouveau choc intervient alors que plusieurs autres crises pèsent déjà sur l’économie du Cameroun. S&P Global Ratings cite par exemple la crise anglophone. « Les tensions sociopolitiques dans les régions de l’ouest anglophone ont montré peu de signes d’atténuation, malgré le dialogue national qui s’est tenu à la fin 2019. La crise continue de peser sur les perspectives économiques du Cameroun », estime l’agence qui fait remarquer que « le complexe agro-industriel Cameroon Development Corporation (CDC), premier employeur du pays après l’administration publique, a dû réduire ses activités dans ces régions ». Du fait des crises sécuritaires, de la baisse de cours du pétrole débuté au milieu de l’année 2014 et du rythme d’endettement du pays, le Cameroun était déjà bien avant la crise sanitaire liée au coronavirus considéré par la Banque mondiale et le FMI comme un pays à risque de surendettement élevé. Selon les dernières estimations du Fonds, la dette publique du pays devrait atteindre 45,2% du PIB cette année, contre 40,9% en 2019 (la norme communautaire en zone Cemac est de 70% du PIB). « Le risque de surendettement élevé se justifie par le dépassement, depuis l’année 2018, des deux ratios de liquidité que sont le ratio service de la dette sur recettes d’exportations, d’une part, et le ratio service de la dette sur recettes publiques, d’autre part. Ce qui indique qu’à partir de 2018, et jusqu’en 2026, le Trésor public rencontrera d’énormes difficultés pour honorer ses engagements, notamment le règlement du service de la dette à bonne date », avait expliqué le ministre des Finances, Louis Paul Motaze, lors de la présentation du projet de budget initial 2020 aux parlementaires.
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Pour atténuer la charge croissante du service de la dette et tenir compte des retards enregistrés dans la conduite de certains projets, le Cameroun a dû solliciter en début d’année 2019 un rééchelonnement de sa dette vis-à-vis de la Chine. Selon le FMI, Pékin a consenti l’annulation d’une dette sans intérêts de 35 milliards de FCFA et un rééchelonnement du service de la dette envers Eximbank Chine sur 3 ans, portant sur un montant d’un peu plus de 150 milliards de FCFA. Solution Pour sortir du statut de pays à risque de surendettement élevé, le gouvernement prévoyait, en juillet 2019, d’implémenter, au cours des trois prochains exercices budgétaires, une « politique d’endettement rigoureuse et contrôlée, en vue d’atténuer la vulnérabilité à moyen terme ». Face aux conséquences économiques du Covid-19, beaucoup d’experts craignent que le Cameroun abandonne cette perspective. Le FMI prévoit en effet que les besoins d’endettement du Cameroun devraient passer de 2,3% du PIB en 2019 à 4,5% en 2020.
Initialement, il était question de les ramener à 2% cette année. Face à la situation, la Banque mondiale a décidé de réviser sa politique en matière d’emprunts non concessionnels à compter du 1er juillet 2020 pour les pays en voie de développement. « L’objectif de cette nouvelle politique est d’inciter les pays à emprunter à des conditions viables et à promouvoir la coordination des actions entreprises par l’IDA et les autres créanciers pour appuyer les efforts déployés par les pays », explique Abdoulaye Seck, le directeur des opérations de la Banque mondiale pour le Cameroun. Selon la même source, cette nouvelle politique va reposer sur deux piliers : « le Programme de renforcement de la viabilité de la dette (DSEP) qui fournira des incitations aux pays pour les amener à adopter des politiques publiques visant à réduire leur vulnérabilité à la dette ; et le Programme de sensibilisation des créanciers (PCO) pour faciliter le partage d’informations, le dialogue et la coordination entre les créanciers et contribuer à gérer les risques associés à la dette en s’appuyant sur la plateforme mondiale et le rôle mobilisateur de l’IDA ». Selon nos informations, les discussions entre la Banque mondiale et les autorités camerounaises pour la mise en œuvre de cette nouvelle politique ont débuté et vont bon train.
Un service de la dette lourd à porter
À en croire le gouvernement, « les engagements du Cameroun de plus en plus élevé à honorer au titre du service de la dette, notamment le paiement des intérêts de la dette, réduisent considérablement les marges de manœuvre budgétaire ». En effet le service annuel en 2020 est 1 011, 92 milliards de FCFA soit plus de 20% du budget prévu à 4951,7 milliards de FCFA. En 2019, il était de 1 283 milliards pour un budget de 5 212 milliards soit 25%.
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« Ce poids important du service de la dette a des effets négatifs sur la gestion de nos finances publiques notamment en matière de gestion de la trésorerie de l’Etat », reconnait encore le ministère des Finances. Afin de contenir l’endettement public, il est demandé à chaque entité publique (administration centrale, établissement public, collectivité territoriale décentralisée) de consacrer une partie de son allocation budgétaire annuelle à la prise en charge des arriérés. « Ceci permettra non seulement de réduire considérablement l’endettement intérieur et améliorer ainsi la crédibilité de la signature de l’Etat mais aussi d’apporter une réponse satisfaisante aux problèmes que pose la dette flottante qui met à mal les opérateurs économiques, qui après avoir réalisé un service auprès des entités publiques, rencontrent d’énormes difficultés à entrer dans leurs frais durant plusieurs années », espère le gouvernement.