Zone Cemac : la dévaluation est-elle la solution miracle à la situation économique actuelle des pays?
Confrontés à l’effondrement des prix du baril du pétrole brut, les six pays membres de la zone Cemac (dont cinq en sont producteurs) traversent une situation économique difficile.
La croissance de la zone en 2016 vient d’être revue à la baisse, à 1%, par la banque centrale commune (BEAC) et le FMI prévoit que le déficit budgétaire moyen de la CEMAC serait de 5,1% du PIB contre 4,8% pour l’ensemble des pays exportateurs de pétrole. Le déficit moyen du solde du compte courant serait de 6,7% du PIB, contre 6,2% pour les pays de l’UEMOA. De leur côté, les réserves chuteraient pour se situer à 3,4 mois d’importations contre 2,8 mois d’importations pour les pays de l’UEMOA. Selon la BEAC, les avoirs extérieurs nets (AEN) du système monétaire de la sous-région sont passés de 8 718 milliards au 31 décembre 2013 à 5 750 milliards à fin décembre 2015. Cette tendance baissière s’est confirmée en 2016 (les AEN sont passés de 5 452 milliards au 31 janvier à 4 309 milliards à fin mai). Face à cette conjoncture difficile, Yaoundé vient d’abriter un sommet réunissant tous les Chefs d’Etat de la sous-région, avec la participation de deux invités de marque.
Au terme de cette rencontre, les six Chefs d’Etat se sont accordés sur une synergie d’actions, déclinée en 21 résolutions pour sortir la sous-région de la zone de turbulence. La première annonce clairement que le franc CFA ne sera pas dévalué. A l’opposé de cette démarche plus réaliste et soucieuse du bien-être des populations de la zone, certains « experts » affirment péremptoirement que le franc CFA sera dévalué en 2017 pour faire face aux difficultés budgétaires. L’ennui avec les auteurs de cette affirmation, c’est qu’ils en parlent, mais sans en décortiquer le mécanisme. Nous souhaitons ajouter notre voix au débat.
Qu’est-ce qu’une dévaluation, et quels en sont les effets?
La dévaluation consiste à changer la parité entre deux monnaies (franc CFA et euro dans le cas qui nous intéresse). Elle se traduit par la baisse du cours d’une monnaie (le FCFA) par rapport à une autre monnaie (l’euro). L’idée avancée par les partisans de la dévaluation, c’est qu’elle est un moyen simple et indolore de relance de l’’économie. Les entreprises exportatrices vont exporter plus car la valeur du franc CFA se sera dépréciée par rapport aux autres monnaies. Ils auront alors un avantage compétitif par rapport aux entreprises basées dans d’autres sous-régions.
Les conséquences de la dévaluation sont entre autres, une augmentation du prix et de la valeur des importations effectuées dans d’autres monnaies (« effet prix » perceptible à court terme) : le déficit commercial se creuse, car les importations sont plus chères et les agents économiques ne réagissent pas immédiatement à cette hausse des prix. Mais, dans un second temps, comme un même volume de biens importés est plus cher qu’avant, les agents résidents sont incités à substituer des biens nationaux aux biens étrangers ; cela contribue à diminuer les importations (effet volume). Autrement dit, lorsque le taux de change d’un pays se déprécie, les exportations en volume augmentent (car les produits domestiques deviennent moins chers pour les pays étrangers) et les importations en volume diminuent (cela coûte plus cher d’acheter des produits à l’étranger, donc on achète moins). Au total, l’effet sur la balance commerciale va dépendre de l’ampleur des deux phénomènes; l’effet-volume qui améliore la balance commerciale et l’effet prix qui détériore cette même balance. Il semble alors possible de conclure très simplement en affirmant que cette mesure permet d’améliorer la balance commerciale d’un pays. Mais cette phrase est incorrecte.
La balance commerciale d’un pays s’améliore suite à une dévaluation si et seulement si la somme des valeurs absolues des élasticités est supérieure à 1 (condition de Marshall-Lerner) ou plus simple, l’effet volume est relativement plus fort que l’effet-prix. Il faut que la production nationale puisse prendre le relai, à un coût raisonnable, des produits importés. L’effet global d’une dévaluation sur le commerce extérieur est donc aléatoire. De même, la littérature théorique et empirique n’a pas encore établi une corrélation entre croissance économique et accumulation des réserves de change. Un redressement des réserves ne se traduit pas nécessairement par une amélioration de la croissance économique.
La dévaluation stricto sensu est un acte politique qui suppose soit un régime de changes fixe, soit un strict contrôle des capitaux et souvent les deux. Et dans tous les cas, une banque centrale aux ordres, prête à intervenir pour faire respecter sur les marchés, la décision politique.
La dévaluation de la monnaie a façonné la vie économique d’une partie de l’Europe pendant une période allant de la fin de la 1ère guerre mondiale jusqu’aux années 1980. Elle était alors devenue le geste politique par excellence, celui qui forgeait la stature d’homme d’Etat. Sous le régime de Bretton woods, il y a eu des dévaluations quand le fonctionnement économique d’un pays ne lui permettait pas de détenir suffisamment de réserves en dollars.
Toutes les dévaluations évoquées ont généralement été des symptômes et des conséquences de difficultés économiques, et non un remède. Les difficultés restent après la dévaluation.
Pourquoi la dévaluation est contre-productive pour notre économie ?
Les problèmes principaux des pays de la CEMAC ne seront donc pas résolus par la dévaluation du FCFA, sans une action pour les résoudre. Une dévaluation n’évite pas les réformes appropriées voire celles douloureuses. Intéressons-nous aux raisons techniques pour lesquelles dévaluer sa monnaie est très dommageable pour l’économie.
Une dévaluation peut-elle engendrer un rebond des exportations qui participera à la relance de l’économie?
La réponse n’est pas si évidente. Comme on l’a relevé ci-dessus, une dévaluation engendre d’abord une augmentation du déficit extérieur. En effet, il faut toujours importer les mêmes produits, l’économie ne pouvant s’adapter immédiatement. Les entreprises exporteront en effet plus de produits à court terme mais elles recevront un paiement dans un FCFA dévalué ; donc elles recevront plus en nominal mais pas forcément en valeur. L’une des conséquences serait l’aggravation du déficit commercial. Si avoir une balance commerciale positive signifie qu’on s’enrichit, a contrario un solde commercial négatif augure mal de l’avenir.
Si on ajoute à la dévaluation une hausse des frais de douane ou des réglementations qui avantagent les entreprises de la sous-région, on obtient des hausses de frais de douane importants des pays dans lesquels on veut exporter, ce qui annulera au mieux les gains (nominaux) à l’exportation qu’on espérait par une dévaluation. Par ailleurs, les entreprises exportatrices doivent acheter un certain nombre de matières premières et de composants pour fabriquer ce qu’elles exportent ; ceux-ci seront plus chers à acheter dans une monnaie dévaluée donc pour garder une marge constante, les prix de vente devront augmenter, ce qui réduira l’avantage compétitif de la dévaluation.
Les produits importés seront plus chers et les prix de plusieurs produits étant mondiaux, ils seront en hausse en francs CFA ; les prix nationaux vont augmenter et les salariés demanderont une amélioration de leurs revenus, qui augmentera le coût des entreprises exportatrices et diminuera d’autant son avantage compétitif. Enfin les impôts payés par les entreprises exportatrices augmenteront également si leurs profits et les salaires payés aux employés augmentent.
Au final, les coûts seront plus importants donc il n’y aura aucun gain et même sûrement une perte pour l’entreprise exportatrice à part si les salaires restent constants ; mais si les salaires n’augmentent pas, les grands perdants seront les salariés qui produiront plus de marchandises qui seront exportées pour être consommée à l’étranger tout en ayant moins de pouvoir d’achat à cause de l’inflation créée par la dévaluation. Les épargnants en franc CFA ou produits assimilés perdront une grande partie de la valeur de leurs actifs. Plus généralement, une dévaluation est une baisse du pouvoir d’achat, et donc, une perte de niveau de vie. Un franc CFA dévalué implique un effet négatif sur le poids de la dette de nos pays.
La dévaluation ne permettra pas aux pays de la CEMAC d’améliorer leur faible productivité du travail. Par ailleurs, il n’est pas non plus possible de fonder une politique économique sur une monnaie faible. Si la monnaie demeure faible, c’est que l’économie reste faible. Une économie faible, dont la monnaie se déprécie constamment, c’est une économie qui se dégrade.
Même si le problème d’un pays est la compétitivité, une dévaluation n’est qu’une solution temporaire. Les pays qui sont plus compétitifs que ce dernier peuvent augmenter leur compétitivité, ce qui efface les gains d’une dévaluation. Pour mémoire, les dévaluations compétitives entre les deux guerres mondiales avaient attisé les tensions entre les pays. C’est d’ailleurs ce qui a amené la coopération internationale en la matière, avec les accords de Bretton Woods et les accords du GATT (ancêtre de l’OMC).
Le maintien du contrôle des changes et de la dépendance des banques centrales est devenu intenable. La libéralisation et l’internationalisation des échanges ont rendu les dévaluations stricto sensu difficilement praticables. Le mythe de la dévaluation au sens ancien du terme est contraire au principe sacro-saint de l’indépendance de la BEAC inscrite dans ses statuts.
La dévaluation n’est pas la seule façon d’agir sur la valeur de sa monnaie pour regagner de la compétitivité. L’autre élément qui maintiendrait la force de la monnaie, c’est la politique économique menée par la zone. C’est l’option prise par les Chefs d’Etat de la CEMAC de réduire des déficits publics pour les ramener à 3% dans cinq ans (résolution N010). Ils ont décidé de ne plus recourir aux avances statutaires de la BEAC. Ces politiques visent à restreindre la création monétaire en comprimant l’investissement et surtout la consommation.
En fin de compte, il faut s’attaquer aux problèmes qui peuvent conduire à la dévaluation d’une monnaie. La BEAC, par le maintien du niveau de change, pourrait accommoder le climat des affaires dans la zone ; et ceci pourrait avoir un impact positif beaucoup plus important. Par ailleurs, depuis au moins juillet 2014, la BEAC mène une politique monétaire clairement accommodante.
L’Autorité monétaire pourrait également agir afin de voir la politique monétaire se transmettre à l’économie réelle. Cela passe par des concertations régulières avec les établissements de crédit pour les inciter à prêter aux entreprises surtout aux micros et petites entreprises, qui contribuent à la croissance via leurs investissements productifs. Autrement dit, l’une des solutions à la situation économique difficile de la zone passe par l’amélioration de l’efficacité de la politique monétaire conduite par la BEAC et le renforcement de la solidité des institutions financières de la zone CEMAC. En définitive, la présence d’un cadre de politique monétaire solide accompagnant le régime de change constitue un facteur déterminant de la performance économique.
En résumé, la dévaluation est souvent présentée comme une méthode simple et efficace pour relancer l’économie d’un pays. Il faut cependant prendre en compte l’effet-prix sur les importations, qui peut être très fort principalement pour nos pays avec un secteur industriel fragile.
Une dévaluation peut, temporairement, augmenter légèrement la compétitivité à l’exportation. Toutefois, il n’est pas possible de résoudre les problèmes systémiques par des solutions conjoncturelles. La dévaluation ne résout pas les problèmes économiques et sociaux d’un pays. Elle n’empêche pas les mesures de restructuration de l’économie, elle n’empêche pas les réformes. Elle est une conséquence des difficultés, un symptôme, et non un remède. La relance de l’investissement dans la zone CEMAC se fera si et seulement si le contexte économique, politique et fiscal est stable.
[author title= »Par Emmanuel YEBI » image= »http:// »]Ingénieur statisticien économiste[/author]