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Suspension de l’extension de l’APE : le Cameroun a-t-il respecté la procédure ?

Des responsables de l’Union Européenne assurent que non ; la partie camerounaise dit pourtant avoir agi en conformité avec les dispositions de l’Accord qui régit ses relations commerciales avec la communauté européenne depuis 2016.

Cameroun-Union Européenne: Yaoundé suspend l’extension de l’APE», titrait, le 10 août 2020, EcoMatin. Contacté dans le cadre de l’enquête ainsi rendue publique, un responsable de la Délégation de l’Union Européenne au Cameroun reconnaissait alors avoir bien reçu la lettre du gouvernement camerounais par laquelle ce dernier l’informait de sa décision de suspendre provisoirement l’extension de cet Accord aux produits du 3ème groupe le 4 août 2020, conformément aux termes dudit accord. Le 10 aout 2020 cependant, après la publication par EcoMatin de son enquête, c’est de Bruxelles, siège de la plupart des institutions de l’Union Européenne, que la réaction est venue : «Nous n’avons pas reçu une notification officielle sur la suspension de l’APE ou un report du démantèlement tarifaire.

Dès que nous recevrons cette notification officielle, nous l’examinerons avec la plus grande attention», assure un responsable. Qui poursuit : «L’accord prévoit un calendrier de démantèlement tarifaire selon des catégories de produits, qui entre en vigueur chaque 4 août depuis 2016. Nous comprenons les difficultés et l’impact causés par le Covid-19 sur la situation socio-économique partout dans le monde et au Cameroun. D’ailleurs dans le cadre de la Team Europe au Cameroun, l’Union européenne a fait une contribution de plus de 18 milliards Fcfa. L’APE entre le Cameroun et l’Union Européenne ne prévoit pas une suspension unilatérale des obligations d’une partie ou la suspension du calendrier de démantèlement, à moins que ce ne soit dans des conditions exceptionnelles, spécifiquement indiquées dans l’accord».

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Va pour le discours aseptisé. «Le problème dans cette affaire, c’est la démarche. Le gouvernement camerounais ne peut pas, unilatéralement et sans nous en informer au préalable, procéder de la sorte. Sa démarche contrevient aux engagements qu’il a lui-même pris dans le cadre de cet Accord. Il y a comme un soupçon de mauvaise foi de sa part», s’énerve une autre source, coté Union européenne.

Mesures de sauvegarde

Le gouvernement camerounais s’est-il rendu effectivement coupable de l’accusation qui est ainsi portée contre lui ? «Jusqu’à cette heure (ce vendredi 14 août 2020, ndlr), nous n’avons pas reçu de réaction officielle de la part de l’Union Européenne. Le ministre de l’Économie du Cameroun a bien saisi la Délégation de l’union européenne au Cameroun. Et nous en attendons la réponse» commence un haut cadre de l’administration camerounaise. «Nous avons cependant pris acte de la réaction qu’ils ont eue par voie de media et je ne peux vous cacher que nous sommes un peu surpris. L’article 31 de de l’Accord traite des mesures de sauvegarde. Et nous sommes dans une situation où le gouvernement juge, en toute souveraineté, qu’il faut mettre en place des mesures de sauvegarde. Après examen de la situation, le gouvernement s’est rendu compte que l’extension de cet accord aux produits du 3ème groupe allait provoquer, pour la seule année 2020, une moins-value de 800 milliards Fcfa au titre des recettes douanières», explique ce responsable, qui poursuit : «Le ministre des Finances a donc écrit à son collègue de l’Economie, pour le prier de saisir les autorités de l’Union Européenne afin de les informer de la décision du gouvernement camerounais de mettre en œuvre les dispositions pertinentes de cet article 31. Dans un contexte aussi difficile que celui que nous vivons, n’importe quel gouvernement soucieux des intérêts de sa population aurait agi de la même manière. La décision que le gouvernement a prise est temporaire et provisoire».

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De fait, l’article 31 convoqué, stipule, entre autres (voir ci-contre), que «lorsque des circonstances exceptionnelles exigent de prendre des mesures immédiates, la partie importatrice concernée, qu’il s’agisse de la partie CE, des États signataires de l’Afrique centrale, ou d’un État signataire de l’Afrique centrale, selon le cas, peut prendre les mesures prévues aux paragraphes 3, 4 et/ou 5 sur une base provisoire, sans se conformer aux exigences du paragraphe 7. Cette action peut être prise pour une période maximale de 180 jours lorsque les mesures sont prises par la partie CE et 200 jours lorsque les mesures sont prises par les États signataires de l’Afrique centrale, ou un État signataire de l’Afrique centrale, ou lorsque les mesures de la partie CE sont limitées à une ou plusieurs des régions ultrapériphériques concernées».

Le marché européen encore inaccessible aux PME locales

Selon les données croisées du ministère des Finances et de la Délégation de l’Union européenne (UE) au Cameroun, les exportations du Cameroun vers le marché européen sont estimées à 46% de l’ensemble ses exportations. Ses importations en provenance de l’UE sont d’environ 35% de l’ensemble de ses importations. L’analyse des échanges commerciaux entre le Cameroun et l’Union européenne montre que le chapitre « machines, appareils, et engins mécaniques ; parties de ces machines ou appareils » arrive en tête des déclarations qui bénéficient de l’Accord de partenariat économique bilatéral entre le Cameroun et l’Union européenne (APEB/Cam-UE).

Ce profil est conforme aux prévisions des deux parties. D’ailleurs, le coordonnateur national de la coopération Cameroun-UE, Aliou Abdoullahi, s’en félicite. «Il faut vraiment prendre conscience que l’APE vise d’abord à rendre l’économie camerounaise compétitive. L’importation des machines est donc une excellente chose pour le Cameroun. Cela veut dire que notre industrie se modernise. C’est un gage de la compétitivité future des entreprises camerounaises. Ce qui est indispensable si nous voulons que notre économie puisse conquérir des nouveaux marchés», pense-t-il.

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Le hic, c’est que les exportations camerounaises à destination de l’UE restent assez timides. Le président du mouvement des entreprises du Cameroun (Mecam), Daniel Claude Abate, voient deux principales pesanteurs qui empêchent les opérateurs économiques locaux de bénéficier pleinement de l’APE. « Malgré la suppression des barrières tarifaires, il reste encore de nombreuses barrières non tarifaires (normes, qualité, etc.) pour accéder au marché de l’UE ; le premier groupe de produits concernés par le démantèlement tarifaire ce sont les machines. Or, pour importer des machines de l’UE, il faut des financements. Ce que les entreprises camerounaises n’ont pas toujours. Résultats, ce sont les grandes entreprises, majoritairement des filiales des multinationales, qui en profitent le plus».

Barrières non tarifaires La cellule d’appui du Fonds européen de développement (FED) aide le ministère de l’Economie, de la planification et de l’aménagement du territoire (Minepat) dans l’élaboration d’une stratégie en vue de capter les fonds de l’UE pour la mise en œuvre de l’APE. Ce qui fonde l’optimisme d’Aliou Abdoullahi. « Nous faisons de notre mieux pour que le Cameroun bénéficie au maximum des mesures d’accompagnements qui sont prévus dans l’Accord de Cotonou et dans l’APE. Ce d’autant plus que c’est à nous de proposer une stratégie…», rassure-t-il.

Les mesures envisagées tournent autour du renforcement des capacités, de la mise à niveau des entreprises, l’amélioration du climat des affaires ; des études de faisabilité pour la maturation des projets. En gros, il s’agit des services non financiers mais qui visent à faciliter l’obtention des services financiers, c’est-à-dire le financement des investissements.

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D’après le comité de suivi et de mise en œuvre de l’APE, 41% des opérateurs qui sollicitent les avantages de l’APE sont des moyennes entreprises (ME) contre 39% de grandes entreprises (GE). Mais les GE représentent 76% en termes de volumes d’opérations contre 18% pour les ME. Bien plus, les GE les grandes entreprises bénéficient de 77% du gain fiscal alors que les moyennes entreprises n’en captent que 18%. D’une manière générale, l’on note une concentration des bénéficiaires de l’APE autour de quelques opérateurs. Un phénomène qui s’amplifie d’une année à l’autre.

Dès la deuxième année du démantèlement, les cinq plus gros opérateurs représentaient déjà 54% du manque à gagner (gain fiscal) ; les dix plus gros opérateurs en avaient capté 71% tandis que les 20 premiers opérateurs étaient responsables de 82% du manque à gagner. Au cours de la première année, ces ratios étaient respectivement de 52% ; 63% et 75%.

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