Santé: un vrai-faux départ de la Couverture Santé universelle ?
Ce 12 avril 2023, le ministre de la Santé publique (Minsanté), Dr Manaouda Malachie a procédé au lancement à Mandjou par Bertoua dans la région de l’Est, de la phase I de la Couverture Santé universelle (CSU). Si l’on peut espérer avoir franchi un palier après une longue période d’attente, il demeure cependant de nombreux préalables qui auraient dû être remplis pour s’assurer de la mise en œuvre sereine de ce projet. Analyse suivie d'une interview accordée à EcoMatin par le Dr Albert ZE, économiste de la Santé.
Le ministre de la Santé publique (Minsanté), le DR Manaouda Malachie a procédé ce 12 avril 2023, au lancement de la phase I de la Couverture Santé universelle (CSU) à Mandjou par Bertoua (région de l’Est). Reportée pour le premier trimestre de l’année en cours après maintes « glissements de dates », la promesse du président de la République attendue depuis 2018 prend finalement corps. Mais c’est sous fonds d’inquiétudes, de questionnements et d’analyses au regard des préalables nécessaires à la mise en œuvre du projet qui n’ont pas été réglés jusque-là.
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De façon explicite, la Couverture Santé universelle devrait être encadrée par une loi cadre. Mais jusqu’à présent, le projet de loi n’a pas été transmis au Parlement. Face aux députés en juin 2021, le Minsanté soulevait encore ce hic. « Nous aurions voulu qu’on ait déjà institué la loi sur la couverture santé universelle. Ce projet de loi a été élaboré par le gouvernement et nous pensons que lors des prochaines sessions parlementaires, le président de la République pourra transmettre cela au Parlement ». Pour le Dr Albert ZE, il faut avant toute chose, une restructuration du système de santé pour atteindre une CSU. Ceci passe par « un système de santé solide, efficace et bien géré. Ensuite, des médicaments et équipements en abondance, disponibles également, une maîtrise des coûts des soins de santé, un personnel de santé en nombre suffisant, bien formé et motivé », relève l’économiste de la Santé avant de déplorer que le pays ne soit pas encore à niveau.
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Outre la confusion entre la CSU et la Couverture Maladie universelle, l’autre souci c’est qu’on n’a pas encore une idée précise sur le mécanisme de financement de la CSU. « Quels sont les montants de cotisations ? Quel est le panier de soins retenu ? Quel est l’organisme chargé de collecter les fonds ? Quel est le niveau de plafonnement de l’utilisation des services? ». Telles sont les zones d’ombres auxquelles le membre du gouvernement pourrait certainement apporter des éclaircissements pour mieux situer le public ; principale cible du projet.
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Pour rappel, selon l’Organisation mondiale de la Santé, la Couverture Sanitaire Universelle (CSU) signifie que chaque personne a accès à tout l’éventail des services de santé de qualité dont elle a besoin, au moment et à l’endroit où elle en a besoin, sans que cela génère pour elle de difficultés financières.
Dr Albert ZE: « On ne peut pas penser à une Couverture Santé universelle pendant que des individus sont encore insolvables dans les hôpitaux »
Au moment où le ministre de la Santé publique s’ap prête à lancer la phase pilote de la Couverture Santé universelle, le Dr Albert ZE, économiste de la Santé, estime que c’est « une ruse » au regard des confusions faites sur la terminologie et le chemin non balisé de ce projet pourtant attendu depuis quasiment cinq années.
Après quasiment 5 années d’attente et plusieurs reports, le ministre de la Santé publique a finalement lancé ce 12 avril 2023, la phase I de la Couverture Santé universelle (CSU) au Cameroun. Quel commentaire faites-vous de cette actualité ?
Ce qui est en train d’être fait, c’est une tromperie de plus. Dès le départ, la Couverture Santé universelle (CSU) telle que présentée était déjà un hors-sujet parce que la CSU est une vision, c’est un objectif qu’il faut atteindre. Et ce qui avait été proposé depuis 6 à 7 ans au Cameroun, c’est plutôt la Couverture Maladie universelle (CMU) qui est différente de la CSU dans ce sens où la CMU, qui est une assurance maladie, n’est qu’une infime partie de la CSU et c’est la dernière partie de la CSU parce qu’elle s’occupe uniquement de la question de prise en charge.
Maintenant, centrer une CSU autour de la CMU c’est un hors-sujet parce que la CSU demande à ce qu’il y ait une restructuration totale et plus loin, de la vie de tout un pays. Premièrement, dans les questions de CSU, il faut remettre à la première intention, la prévention et la promotion de la Santé. Alors, foncer sur la CSU comme cela avait été proposé, c’est de faire de notre système de santé de soins de santé ; alors, nous sommes plutôt en face d’une politique de la maladie. C’est -à-dire qu’on encourage les gens à tomber malades, ce qui n’est pas normal. Ça veut dire que la phase I présentée actuellement, le ministre a trouvé un moyen de vendre le faux aux Camerounais une fois de plus. Mais maintenant, la CSU qu’on nous présente aujourd’hui, n’est rien d’autre que l’extension des programmes qui existaient déjà.
La conséquence c’est qu’on va financer un projet qui n’est pas un projet de Couverture Santé universelle. Donc, une fois de plus, l’argent va aller en brousse sans avoir atteint l’objectif qui a été fixé. Pour m’expliquer : il parle dans la phase I de sa CSU, du programme Chèque santé, du BBF. Ce sont des programmes qui ne fonctionnent pas. Des rapports le demontrent. Sur le cas du BBF par exemple, la BM qui finance par ailleurs le projet a fait un rapport en fin d’année pour démontrer que c’est l’un des programmes les plus mauvais dans ce pays. Et il a ensuite parlé du paludisme précisément la prise en charge des enfants de 0 à 5 ans … Alors que vous savez qu’à propos, c’est le président même qui avait décidé de mettre sur pied cette mesure. Au départ quand on instaurait le Chèque santé,on avait prévue l’extension de ce programme.
Que doit faire le gouvernement pour asseoir une « véritable » politique de Couverture Santé universelle dans notre pays?
Il faut rappeler qu’une phase pilote c’est l’expérimentation à petite échelle d’un projet qui avait été élaboré. On aurait dû nous dire, nous allons commencer à implémenter cette Couverture Maladie universelle à une échelle petite pour voir comment ça fonctionne avant de l’agrandir. J’ai posé la question de savoir pour évaluer si c’est véritablement la phase pilote de la CSU. Alors quels sont les montants de cotisations ? Quel est le panier de soins retenu ? Quel est l’organisme chargé de collecter les fonds ? Quel est le niveau de plafonnement de l’utilisation des services?
La chose qui me conforte encore dans ma position c’est qu’on ne met jamais sur pied un projet comme celui-là sans que les populations ne soient informées. Pourquoi il existe un silence sur le bien que vous voulez faire aux populations ? Ça veut dire qu’il y a un problème derrière. Et le problème, le ministre sait que s’il explique ouvertement ce qu’il est en train de faire, logiquement ça ne tient pas. Autre chose, pour mettre sur pied une CMU, il faut des textes qui doivent être validés par l’Assemblée nationale. Il faut par la suite, une étude actuarielle (qui permet de déterminer comment est-ce que ça peut être possible pour implémenter une CSU) qui avait déjà été lancée mais qui n’a pas encore rendu copie. Pourquoi courir aujourd’hui aller faire une phase I alors que les résultats de cette étude ne sont pas disponibles ?
Le Cameroun est-il prêt à accueillir la Couverture Santé universelle?
Pour atteindre une CSU il y a 04 préalables définis par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS). Le premier c’est qu’il nous faut un système de santé qui soit solide, efficace et bien géré. Ensuite, des médicaments et équipements en abondance, disponibles également, permettent une maîtrise des coûts des soins de santé. Enfin, il nous faut un personnel de santé en nombre suffisant, bien formé et motivé. Aujourd’hui, dans notre contexte, les quatre préalables ne sont pas atteints. De façon générale, il nous faut commencer par la restructuration de notre système de santé. Ceci passe par la révision de l’offre de santé, voir comment on va diriger nos zones de santé. La deuxième chose c’est qu’il faut assainir la gestion du financement alloué à la santé. Parce que jusqu’à présent, nous avons 90% de financement alloués à la santé qui ne servent pas à la santé. On a donc une grosse fuite des financements alloués à la santé. Et il faut absolument résoudre ce problème si nous voulons mettre en place un système de santé efficace.
L’autre chose c’est qu’on ne peut pas penser à une CSU pendant que vous êtes encore dans un système de santé où des individus sont insolvables ; donc sont des prisonniers dans les hôpitaux. Il faut résoudre le problème de l’insolvabilité des patients dans les hôpitaux. Lorsqu’on va dans le processus d’assainissement de la gestion des finances publiques, il faut également mettre un accent sur la gestion et la meilleure distribution possibles des recettes hospitalières en coupant le lien qui existe entre les prestations des soins et les revenus des personnels. Si on ne le fait pas, même l’assurance maladie ne peut pas fonctionner. Et vous savez qu’il y a de cela quelques années, les assureurs de santé avaient décidé de ne plus le faire au Cameroun parce qu’il y a un problème de fond c’est, tant qu’on aura cette liaison, il y aura des surfacturations qui vont asphyxier le système d’assurance et qui finira par tomber en faillite.