Renationalisation d’Eneo : pourquoi Paul Biya replace Louis Paul Motaze au centre du jeu
Jusque-là conduit par son homologue de l’Eau et de l’Energie, le processus de rachat des actions d’Actis sera principalement piloté par le ministre des Finances. Les enjeux que charrie ce dossier poussaient vers cette direction. Analyse…
Le Cameroun reprend progressivement le contrôle de son secteur énergétique, après l’avoir définitivement fait, il y a quelques années, dans l’eau. Le 05 septembre, le président Paul Biya a instruit, à travers une note du secrétaire général de la présidence, Ferdinand Ngoh Ngoh, au secrétaire général des services du premier ministre, Séraphin Magloire Fouda, la mise sur pied d’un comité interministériel ad hoc, chargé de conduire le processus de rachat des 51% des parts d’Energy of Cameroon que détient le fonds britannique Actis qui n’a cessé de manifester son envie de départ.
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Au terme de ce processus, l’Etat camerounais sera propriétaire à 95% – le reliquat de 5% restant entre les mains du personnel – du producteur et distributeur d’énergie, soit directement, soit indirectement puisque la présence de la Caisse nationale de prévoyance sociale (Cnps) dans ledit comité indique qu’elle pourrait avoir sa part du gâteau. Bien que n’ayant pas reçu l’onction du chef de l’Etat, l’initiative d’Alain Noël Olivier Mekulu Mvondo Akame de racheter les actions d’Actis, dans le cadre d’un consortium avec la Société nationale des hydrocarbures (SNH) a probablement plu en haut lieu. Son maintien dans le processus est donc une sanction position de sa démarche qui n’a pu aller jusqu’à son terme.
Confiance
Le fait notable dans le casting présidentiel est le positionnement du ministre des Finances qui présidera le comité, assisté en cela par son homologue de l’Eau et de l’Energie (Minee), d’une part, et celui de l’Economie, de la Planification et de l’Aménagement du territoire (Minepat), d’autre part. Jusqu’à présent, Gaston Eloundou Essomba tenait la corde dans la gestion du cas Eneo, secondé en cela par son confrère du ministère des Finances. C’est par exemple au Minee qu’incombait la prérogative de désigner le cabinet qui se chargerait déterminer la valeur des actions de l’actionnaire de référence de l’énergéticien.
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En replaçant Louis Paul Motaze en centre du jeu, Paul Biya lui renouvelle sa confiance et s’inscrit dans une certaine continuité. Récemment encore, il n’a pas manqué de lui confier le délicat dossier Yango, lors de son séjour à Saint-Petersbourg, en fin juillet, où il participait au sommet Russie-Afrique. Car, les diplomates russes manifestaient un certain agacement en coulisses, dans la mesure où un terrain d’entente avait été trouvé depuis le mois d’avril pour que le groupe russe de VTC retrouve le chemin de la légalité, et que les relances du premier ministre, Joseph Dion Ngute, en direction du ministère des Transports, étaient restées lettre morte.
Parallélisme
La position centrale du Minfi dans le cas Eneo découle dans un premier temps du rôle clé que devra jouer un organe placé sous sa responsabilité dans ce processus. Créée uniquement pour exécuter les programmes de privatisation, la Commission technique de privatisation et de liquidation (CTPL) voit son périmètre d’activité s’élargir à la renationalisation – même si ce terme demeure tabou dans les cercles officiels, pour ne pas effrayer les partenaires au développement, notamment les institutions de Bretton Woods –, puisque le secrétariat technique de la nouvelle dynamique lui échoit, selon l’instruction présidentielle.
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Au nom d’un certain parallélisme, ce qui est prévu pour les privatisations sera pratiqué pour les renationalisations. « Pour mener à bien le processus de privatisation, le Cameroun s’est doté d’un cadre juridique global et cohérent pour en régir les opérations. Les organes chargés de la mise en œuvre de la privatisation au Cameroun sont : le Comité interministériel, organe de décision co-présidée par le ministre des Finances et le ministre de l’Economie, de la Planification et de l’Aménagement du territoire ; la Commission technique de privatisation et des liquidations, organe technique », éclaire le site internet du Minfi.
Le leadership de Louis Paul Motaze dans ce dossier tient également au fait qu’il faudra restructurer la dette abyssale d’Eneo, qui s’élevait à 700 milliards de F Cfa en fin 2022, en même temps que le processus de rachat des actions se mènera. En cela, il y a lieu de parier que la recette du Minfi appliquée au traitement de la dette de la Société nationale de raffinage (Sonara) a de fortes chances d’être dupliquée. En effet, Louis Paul Motaze avait mis en place un groupe de travail, sous la houlette de la Commission technique de réhabilitation (CTR) des entreprises publiques et parapubliques, qui avait débouché en 2021 sur des accords avec des banques et, l’année d’après, avec les traders, principaux créanciers de la raffinerie. Une telle thérapie, à des nuances près, pourrait être appliquée à la dette bancaire et commerciale du producteur d’énergie.
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