Réhabilitation des sites pétroliers et miniers : la nouvelle bataille de la Beac
La réhabilitation des sites miniers et pétroliers après leur exploitation est presque devenue d’application aléatoire dans la sous-région. Pourtant, au-delà de son importance en matière de protection de l’environnement et des populations riveraines, cette pratique revêt un enjeu économique et financier majeur.
Comment contraindre les compagnies pétrolières et minières à remettre en état les sites d’exploitations au terme de leurs activités ? La question est aujourd’hui vitale tant l’abandon de ces sites est devenu monnaie courante chez ces multinationales à la recherche des trésors souterrains. Entre 2013 et 2021, l’Organisation non-gouvernementale(ONG) Forêts et développement rural(Foder) a recensé plus de 157 décès sur les sites miniers dans les régions de l’Est et de l’Adamaoua au Cameroun. Parmi ces morts, 25 % sont dus aux noyades et éboulements de terrain causés par des trous à ciel ouvert laissés par des exploitants miniers. Au-delà du lourd bilan humain, la pratique est aussi responsable de la destruction de l’environnement, de la pollution des sources d’eau et des nappes phréatiques.
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Pourtant, les conventions signées entre les Etats et ces multinationales prévoient, pour la plupart, des clauses relatives à la restauration, la réhabilitation et la fermeture des sites d’exploitation. « Ce n’est pas une tendance systématique. Certains exploitants respectent cette clause et d’autres pas. Les contrats prévoient que ces compagnies doivent constituer des réserves devant servir à la remise en état des sites pour éviter un certain nombre de désagréments humains et environnementaux que nous rencontrons malheureusement au quotidien. Sauf que ces fonds étant logés dans des comptes offshore(en dehors de la Cemac), les compagnies, en complicité avec certaines autorités locales, achèvent l’exploitation et abandonnent les sites» explique une source au Ministère camerounais des Mines de l’industrie et du développement technologique (Minmidt) contacté par EcoMatin.Le phénomène est perceptible à peu près dans la quasi-totalité des pays de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale(Cemac) et participe pour beaucoup à l’évasion des devises.
Réglementation des changes
Pour tordre le cou à cette pratique, la nouvelle réglementation des changes en vigueur dans la zone Cemac, oblige cette catégorie d’assujettis à ouvrir des comptes en devises ou en FCFA à la Beac et non plus à l’étranger. L’article 183 du règlement est clair à ce propos :« Dans les secteurs particuliers, notamment des hydrocarbures et des mines, en cas d’obligation légale ou contractuelle de constituer une dotation financière ou un fonds financier pour la réhabilitation d’un site en fin d’exploitation, la banque centrale peut ouvrir au nom de l’Etat concerné et de son contractant ou de l’exploitant, le cas échéant, des comptes en devises ou en FCFA, afin d’y domicilier les ressources y afférentes » peut-on lire.
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Si jusqu’à présent elle n’est pas encore appliquée, cette disposition constitue l’un des points d’achoppement entre la Beac et les industries extractives. Disposition dont elles souhaitent de tous leurs vœux le démantèlement. La raison évoquée est « sécuritaire ». « Ces entreprises estiment que la CEMAC n’est pas en mesure de sécuriser ces fonds jusqu’au terme de leurs contrats d’exploitation » explique un cadre à la Beac. L’argument est bien ficelé et devrait à nouveau être brandi lors de la rencontre prévue ce mois d’octobre à Washington entre Abbas Mahamat Tolli et les représentants des industries extractives opérant en zone Cemac.
De la nécessité d’appliquer le règlement
Sur la sécurisation de ces avoirs, la Beac est sans équivoque. « La Beac est l’institut d’émission d’une communauté composée de 6 pays ; c’est difficile de croire que la gestion des devises puisse lui échapper » rapporte une source à la Beac. « Notre objectif c’est le contrôle des flux d’opérations et la rétrocession des devises. Le problème avec les entreprises des secteurs pétrolier et minier, c’est qu’elles choisissent de domicilier tous leurs revenus en devises ou presque dans des comptes off-shore. Ça devient un problème lorsqu’il faut réhabiliter ces sites. Rapatrier une partie de ces avoirs nous permettrait de gérer les flux transactionnels des importations et des exportations de tous les secteurs économiques. Derrière la réglementation il y’a non seulement un enjeu économique mais aussi et surtout environnemental et humain» poursuit notre source.
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Déjà détenteurs d’un moratoire qui leur exonère de l’application de cette norme communautaire jusqu’au 31 décembre prochain, ces industries extractives devraient être obligées à se conformer. « Je suis convaincu que ces discussions nous permettront de tirer les leçons des consultations avec l’industrie extractive, pour promouvoir une application équitable de la réglementation des changes dans l’intérêt commun des investisseurs américains et des pays de la Cemac » écrit le gouverneur de la Beac dans une correspondance adressée le 17 septembre dernier à Florizelle Liser, présidente de Corporate Council on Africa (CCA), la principale association d’affaires des États-Unis qui se concentre uniquement sur la connexion des intérêts commerciaux en Afrique.
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