Réduction du train de vie de l’Etat: ce que le Cameroun refuse de faire
Plus de 50% du budget de l’Etat continue d’être consacré aux dépenses de fonctionnement, 130 milliards Fcfa de subventions aux entreprises publiques, 42 milliards Fcfa pour les primes et gratifications, etc. Malgré l’enlisement de la double crise financière et sécuritaire depuis plus de quatre ans, le gouvernement a maintenu des dépenses qui tranchent net avec l’exigence de rationalisation et d’amélioration de la qualité édictées par le président de la République, la Banque mondiale et le Fmi.
Le Premier ministre, Joseph Dion Ngute a décidé, le 05 avril dernier, que les demandes d’autorisation de sortie du territoire national en vue de la participation à des activités telles que les conférences, les séminaires, les colloques ou les remises de prix seront systématiquement rejetées, en particulier lorsque ces déplacements sont supportés par le budget de l’Etat ou celui des organismes concernés. Et qu’à l’avenir, « seules les missions statutaires dont l’utilité pour le Cameroun est avérée seront autorisées ». Bien mise en exécution, cette mesure instruite par le président de la République, Paul Biya, permettra au trésor public de faire des économies non négligeables, mais elle n’aura pas un grand impact dans la mesure où, toutes les autres rubriques de la ligne budgétaire sur laquelle les dépenses liées aux missions sont imputées restent intactes. Par exemple, le Premier ministre ne s’attaque pas aux missions à l’intérieur du Cameroun, où les dérapages les plus graves sont observés.
il y a les achats de carburants qui ont fait perdre à l’Etat jusqu’à 35,5 milliards Fcfa en 2017
On note ainsi un nombre anormal de jours passés par un cadre d’administration en mission au cours d’un même mois – parfois 20 jours -, et des irrégularités sur les modalités de prise en charge des frais y afférents. Entre autres poches de dépenses auxquelles le gouvernement tarde à s’attaquer et qui ont une forte incidence sur le budget de l’Etat, il y a les achats de carburants qui ont fait perdre à l’Etat jusqu’à 35,5 milliards Fcfa en 2017, selon la Banque mondiale. Ce chiffre ne prend pas en compte les dépenses de la présidence de la République et de l’armée en la matière, qui pourraient représenter le double voire le triple de ce montant. Dans un rapport publié en début d’année, l’institution de Bretton Woods relevait également que le Cameroun avait accordé des gratifications et des primes aux membres du gouvernement et aux agents publics pour un montant de 42 milliards Fcfa, au cours du seul exercice 2017.
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Les subventions de fonctionnement aux entreprises publiques et parapubliques, que la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (Fmi) appellent depuis le gouvernement à geler du fait de la diminution drastique des ressources de l’Etat, avaient quant à elles, englouti 130 milliards Fcfa, ainsi que le renseigne la loi de règlement de 2017, rendue publique en novembre 2018. Or, pour rentabiliser un certain nombre de sociétés du portefeuille de l’Etat, les institutions de Bretton Woods recommandent depuis une dizaine d’années aux autorités camerounaises de les ouvrir à l’actionnariat privé.
Évacuations sanitaires
C’est le cas, par exemple, de la Cameroon Telecommunications (Camtel) ou de la Cameroon Postal Services (Campost). La question des véhicules de fonction, elle aussi, reste lancinante. Dans presque toutes les éditions du quotidien à capitaux publics, Cameroon tribune, des appels à manifestation d’intérêt sont lancés pour la livraison des voitures pour le compte des administrations. Or, une circulaire de l’ex-ministre des Finances, Alamine Ousmane Mey, relative à l’exécution du budget 2015 de l’Etat, suspend l’acquisition de nouveaux véhicules dans les administrations de l’Etat, « sauf instruction du Premier ministre ». Cette instruction n’a jamais été respectée par les ordonnateurs publics.
on sait par exemple qu’Europe Assistance, qui demeure l’un des services dédiés les plus connus, facture une évacuation entre 20 et 40 millions Fcfa. Calculette en main, 213 patients facturés à 40 millions, ça fait un peu plus de 8,5 milliards Fcfa par an
Or, en 2017, le ministère des Finances avait estimé à quelques 100 milliards Fcfa, les économies que le Trésor public pouvait faire chaque année en respectant simplement les dispositions du décret du 18 octobre 2001, fixant les modalités d’acquisition des véhicules administratifs, de leur classification et leur affectation. Les évacuations sanitaires des hauts fonctionnaires à l’étranger coûtent également les yeux de la tête au Trésor public. En 2014, le Cameroun a fait soigner 213 personnes dans les hôpitaux français, contre 160 en 2010. Le gouvernement entretient l’opacité autour de ces services supportés par le contribuable, mais on sait par exemple qu’Europe Assistance, qui demeure l’un des services dédiés les plus connus, facture une évacuation entre 20 et 40 millions Fcfa. Calculette en main, 213 patients facturés à 40 millions, ça fait un peu plus de 8,5 milliards Fcfa par an. Au Niger, le gouvernement qui a investi récemment une dizaine de milliards de Fcfa dans le relèvement du plateau technique d’un hôpital public à Niamey a interdit les évacuations sanitaires des gestionnaires publics.
Conditions de vie
Par ailleurs, depuis 2016, le Fmi demande au gouvernement camerounais d’augmenter l’enveloppe destinée à l’investissement, afin de réduire les effets négatifs de la double crise sécuritaire et des finances publiques sur la croissance. Mais, on constate que même en 2019, le budget de l’Etat, qui s’équilibre en recettes et en dépenses à 4850.5 milliards Fcfa, consacre 50,8% aux dépenses de fonctionnement, contre à peine 27,4% pour celles d’investissement. La prise en charge du gouvernement pléthorique de 65 ministres et assimilés n’a pas moins d’incidence sur le budget de l’Etat.
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A l’occasion d’un conseil ministériel qu’il présidait au palais de l’Unité à Yaoundé, le 09 décembre 2014, le président de la République, Paul Biya avait édicté un train de mesures à opérationnaliser afin de réduire drastiquement le train de vie de l’Etat. « Je tiens à attirer une nouvelle fois votre attention sur la nécessité de rationaliser les dépenses et d’améliorer leur qualité dans un contexte international marqué par la rareté des ressources financières. En effet, il m’a été malheureusement donné de constater que la qualité de la dépense publique n’a cessé de se détériorer, avec notamment une accumulation de dépenses dont la nécessité n’est pas évidente », s’était alarmé Paul Biya.
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On peut en citer quelques exemples : « l’augmentation effrénée des dépenses en biens et en services ; l’accroissement excessif des missions notamment à l’étranger ; la multiplication des comités et des projets inappropriés ; l’accroissement abusif des subventions ». Le chef de l’Etat avait ensuite relevé que « cette situation appelle des efforts de modération et de rationalisation », ce qui permettrait « de dégager des ressources qui trouveront un meilleur emploi dans nos grands projets et dans l’amélioration des conditions de vie de nos populations ». Ces instructions n’ont jamais été suivies d’effets sur le terrain.
Des irrégularités dans la classification budgétaire
Le gouvernement du Cameroun dépense beaucoup plus en biens et services que d’autres pays comparables et une part extrêmement importante de son budget alloué aux biens et services est consacrée aux frais de représentation, de missions, de cérémonies et aux services externes. En 2015, le Cameroun a dépensé 4,3 % du Pib en biens et services, contre 2,5 à 3 % pour la plupart des pays comparables. De 2013 à 2015, les frais de représentation, de missions, de cérémonies et les services externes ont représenté un peu plus de la moitié de la totalité des dépenses en biens et services, 17 % des dépenses publiques totales, soit 1,8 % du Pib. Les deux tiers de ces ressources ont servi à couvrir les frais de participation aux cérémonies et aux missions au sein du pays. Pas moins de 80 % des dépenses en services externes ont été classées dans la catégorie « autres services externes », tandis que les formations, les stages et les séminaires à l’étranger correspondaient aux 20% restants. Il semblerait qu’une grande partie des ressources affectées aux cérémonies et aux missions, ainsi qu’aux frais annexes tels que le carburant, soit en fait une compensation non-salariale versée à certaines catégories de fonctionnaires afin d’augmenter leur faible salaire officiel.
Les taux d’exécution largement supérieurs à 100% des dépenses allouées aux biens et services compromettent la crédibilité du budget. Entre 2013 et 2015, les dépenses exécutées en biens et services ont dépassé les budgets d’environ 35 % en moyenne, les dépassements variant de 62,5 % en 2014 à 2,9 % en 2015. Les dépenses excessives par rapport au niveau autorisé par le Parlement constituent un défi permanent et concernent en particulier la rémunération des services externes (0,7 % du Pib en 2015) et les frais de participation aux foires, expositions et autres évènements (0,2 % du Pib en 2015).