Qui est Steven Galbraith, le lobbyiste qui inquiète la réglementation des changes en Cemac?
Cet avocat britannique est le principal opposant au rapatriement en Afrique centrale des 5 000 milliards de FCFA destinés à la réhabilitation des sites miniers et pétroliers en fin d’exploitation.
Il est devenu, d’une certaine façon, le visage de l’impérialisme occidental dans les tractations relatives aux contrats miniers et pétroliers au sein de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac). Steven Galbraith est cité parmi ceux qui mènent un lobbying actif contre l’application dans son intégralité de la nouvelle réglementation des changes de la sous-région, adoptée le 21 décembre 2018. Ce lobbyiste représente en effet un consortium d’entreprises américaines réunies au sein du Joint Working Group, constitué d’une vingtaine de sociétés principalement anglo-saxonnes, dont ExxonMobil, Marathon, Chevron, Texaco, etc. L’avocat d’affaires se démène, notamment, pour bloquer la mise en œuvre du règlement relatif à l’obligation de rapatriement, par les entreprises pétrolières et minières actives dans la zone Cemac, des devises destinées à la remise en état des sites (fonds RES) en fin d’exploitation.
Cette obligation est pourtant conforme à la nouvelle réglementation des changes, qui prévoit en son article 183 : « Dans les secteurs particuliers, notamment des hydrocarbures et des mines, en cas d’obligation légale ou contractuelle de constituer une dotation financière ou un fonds financier pour la réhabilitation d’un site en fin d’exploitation, la banque centrale peut ouvrir au nom de l’Etat concerné et de son contractant ou de l’exploitant, le cas échéant, des comptes en devises ou en Fcfa, afin d’y domicilier les ressources y afférentes ».
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Les négociations étaient très avancées entre la Banque des Etats de l’Afrique centrale (Beac), les Etats et les sociétés nationales d’hydrocarbures et des mines, avec les entreprises extractives pour arrêter un modèle type de convention de compte séquestre pour les besoins de la cause, à ouvrir dans les livres de l’institut d’émission commun aux six pays (Cameroun, République centrafricaine, Congo, Gabon, Guinée équatoriale et Tchad), comme l’exige la règlementation. Pas moins de 6 rounds de discussions ont eu lieu à Paris et Douala, et qui ont débouché sur un texte convenu à l’unanimité lors du dernier round tenu du 29 au 31 mars 2023 à Paris. Un cadre de la Beac impliqué dans les négociations a confié à EcoMatin, comme nous le rapportions mercredi dernier, qu’une fois reparti aux États-Unis, Me Steven Galbraith a entrepris des actions dilatoires et des manœuvres d’intimidation pour empêcher l’adoption du modèle type de convention de compte séquestre de ces fonds RES.
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Ces ressources appartiennent pourtant aux États, car, faisant partie des coûts pétroliers supportés par eux sur leur part de revenus de production. Et à ce titre, elles doivent être logées dans des banques des pays concernés. L’expert en pétrole et mines Bareja Youmssi explique même que dans certains contrats pétroliers, le fonds dédié à la réhabilitation environnementale se constitue soit par une caution environnementale à déposer dans un compte (une clause suspensive), soit dans un compte où le paiement est échelonné dans la durée de vie du champ pétrolier, qui peut aller jusqu’à 5% du chiffre d’affaires par an. Dans cette logique, ce compte doit être logé dans une banque bien précise avec toutes les garanties qu’un opérateur ne peut en aucun cas y avoir accès.
Revirement
Steven Galbraith et les entreprises qu’il représente ne l’entendent pas de cette oreille et multiplient des manœuvres en ce moment pour obtenir de la Beac et des autorités de la sous-région un revirement ou tout au moins un ajournement du rapatriement des 5000 milliards Fcfa dont il est question en zone Cemac. Le 12 avril, le gouverneur de la Beac, Abbas Mahamat Tolli est passé une fois de plus devant la Chambre de commerce de Washington DC, officiellement pour faire le point sur l’avancée des discussions avec les entreprises pétrolières et minières sur la mise en œuvre de la réglementation des changes susmentionnée. Les coulisses de cette réunion à laquelle prenaient part des représentants du Fonds monétaire international (FMI), de la Banque mondiale (BM) et de l’Etat américain ne sont pour l’heure pas connues, mais il s’agissait davantage pour ce panel de travailler sur les possibilités de remettre pour plus tard l’application du règlement relatif au rapatriement des fonds RES. Et l’avocat Steven Galbraith, est passé maître dans ce type de manœuvres.
Homme de l’ombre
Au fait, qui est cet homme de l’ombre qui semble mettre les dirigeants de toute une sous-région en coupe réglée ? C’est un avocat spécialisé en droit bancaire et financier, parmi les plus capés de son domaine à l’échelle mondiale. Steven Galbraith, qui est par ailleurs enseignant associé de droit à la Dickson School of Law (Londres), est officié à la célèbre banque américaine Morgan Stanley comme directeur des investissements.
Spécialiste des valeurs mobilières, il a également enseigné à la Columbia University Business School (États-Unis) pendant 10 ans (1998 à 2008). Depuis plusieurs années, il siège aux conseils d’administration de la Tufts University (Massachusetts), de Narragansett Brewing Company, de Pzena Investment Management, de Saïd Holdings Limited et du Success Charter Network, et dans plusieurs autres institutions spécialisées dans le financement des projets et des infrastructures en Afrique et dans le monde. C’est un as de la finance internationale, dont l’avis compte dans la conclusion de tous (ou presque tous) les contrats pétroliers de géants mondiaux comme Chevron, ExxonMobil ou encore Total.
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Le lobbying actif et manifestement dénué de toute considération éthique de cet avocat à faire foirer le rapatriement des fonds RES en Afrique centrale laisse apparaître une évidence : les Etats africains n’ont pas suffisamment de coudées franches dans la négociation des contrats miniers et pétroliers avec les grands groupes occidentaux et continuent de subir une certaine tyrannie de ceux-ci. Par ailleurs, ces manœuvrent suggèrent à quel point ces holdings et même les gouvernements de leurs pays font peu de cas des préoccupations environnementales, tant que leurs territoires et leurs populations ne sont pas directement inquiétés.