Production agricole : 40% des récoltes perdues chaque année à l’Est
C’est ce que révèlent les données statistiques de la FAO (Organisation des Nations Uniespour l'alimentation et l'agriculture) et de la plate-forme régionale des organisations professionnelles agro-sylvo-pastorales et halieutiques du Cameroun (Plano - pac). A l’origine du phénomène, les mauvaises méthodes de conditionnement et de conservation des produits forestiers non ligneux et des matières premières (café, cacao), ainsi que l’enclavement des zones de production. En réponse, pendant que la délégation régionale de l’Agriculture et du Développement rural (Minader) apporte un appui-conseil aux producteurs, le Fonds mondial pour la nature (WWF) offre des séchoirs éco-énergétiques.
C’est un véritable drame que vivent les producteurs agricoles de la région de l’Est chaque année. Malgré les conditions de travail difficiles, les producteurs dans les quatre départements peinent à jouir des fruits de leur dur labeur à cause des pertes enregistrées après la récolte. Un phénomène lié à plusieurs facteurs et qui touche la majorité des spéculations. « Les produits forestiers non ligneux (Pfnl) sont notre capital naturel que Dieu a gracieusement offert. Malheureusement, nous ne gagnons rien sur ces produits », déclare Michel Mbengou du GIC LEKA de Ndimako qui regroupe 25 Baka à Ngoyla, département du Haut-Nyong. Pour soutenir son argumentaire, notre interlocuteur explique que « nous n’avons pas d’acheteurs fixes, les produits sont bradés, nous n’avons pas un magasin de stockage et chaque année nous perdons une grande quantité des produits tels que la mangue sauvage, le plate-plate et les rondelles parce que nous séchons ces produits avec le feu. En 2021, notre groupe a produit 15 sacs de 100 kg de plate-plate au lieu du double que nous aurions pu récolter s’il n’y avait pas eu de pourritures. Et chaque sac contient 65 « kombo (une mesure, ndlr) » qu’on vend à 500 FCFA », indique-t-il. Petit calcul fait, ce groupe de Baka a eu un manque à gagner de près de 500.000 FCFA en 2021 à cause des mauvaises méthodes de conditionnement.
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Dans la même localité, Marie Josiane Magnouldnjiem, vice-présidente de l’Association des femmes actives Baka- Bantou de Lelen (Asfabb) évoque les mêmes difficultés. «Nos champs de manioc sont victimes des pourritures et les dégâts des animaux. C’est pourquoi nous avons opté pour le cacao qui est une culture à long terme», explique celle qui s’est engagée avec les membres de son groupe à renouveler et entretenir 60 hectares du cacao sélectionné. Mais Marie Josiane Magnouldnjiem est bien consciente que « la grande difficulté avec les cultures du cacao et du café reste la méthode de conditionnement et de stockage». Sur cet aspect, Aude Aligué Eloundou qui a mené une étude auprès des producteurs du café et du cacao dans les régions de l’Est et du Centre constate qu’« au niveau du conditionnement des matières premières (cacao- café) et produits forestiers non ligneux, il y un problème parce que les producteurs utilisent la fumée, une méthode traditionnelle qui contamine ces produits et impacte négativement sur leur qualité».
Enclavement
En plus de mauvaises méthodes de conditionnement, l’enclavement des bassins de production provoque des pertes post-récoltes. Dans l’arrondissement de Messok, voisin de Ngoyla, cet enclavement, caractérisé par un état défectueux de la route entre Abong-Mbang et Messok (environ 168 km, ndlr) fait perdre chaque saison, la somme de 50.000 FCFA par tonne aux producteurs du cacao. « Sur le 70 tonnes vendues en 2021, nous avons perdu environ 3,5 millions de FCFA puisque 50.000 FCFA ont été prélevés par tonne par les acheteurs pour amortir le coût de transport et la dégradation de leurs véhicules entre Messok et Douala», se lamentent les membres de la coopérative des producteurs de cette zone.
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Déjà, cet enclavement des zones de production a été porté à l’attention du ministre de l’Agriculture et du développement rural (Minader) lors du mini- comice agropastoral régional de 2020 à Bertoua par le président de la Planopac. « Nous avons des difficultés pour accéder à nos champs. Voyez-vous, les producteurs sont obligés d’emprunter des sentiers, de traverser des marécages sur de longues distances à pieds avec de lourds bagages sur la tête, réduisant ainsi leurs potentiels. Il serait donc judicieux pour le gouvernement, avec les collectivités territoriales décentralisées, de créer et aménager des lotissements agricoles », avait déclaré Mboble Dob. En plus, le président de la Planopac regrette que la majeure partie des produits maraîchers (tomate, piment, pastèque) et les produits saisonniers (plantain-banane, macabo et maïs) pourrissent chaque année dans les zones de production. D’après cette plate-forme des producteurs, les pertes post récoltes se situent entre 30 et 40% chaque année. Pour son président, « l’absence d’une main d’œuvre dédiée à la récolte dans les grandes plantations agricoles, l’absence des moyens de transformation et des marchés organisés » sont d’autres causes des pertes enregistrées par les producteurs.
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Dans la même lancée, un producteur de l’arrondissement de Mbang s’indigne du fait qu’« à cause de l’état impraticable de la route entre l’arrondissement de Mbang dans la Kadey et Bertoua (environ 120 km, ndlr), on ne peut pas amener le plantain et la banane dans les centres urbains. Ils pourrissent dans les champs ». La situation décriée est plus grave à Moloundou, Salapoumbé, Yokadouma, Gari-Gombo, localités situées respectivement à environ 600, 500, 300 et 240 kilomètres de Bertoua, chef- lieu de la région de l’Est.
Actions
A la délégation régionale du ministère de l’Agriculture et du développement rural (Dradere), les pertes post-récoltes sont prises au sérieux. « C’est un phénomène réel. A notre niveau, nous mettons les conseils agropastoraux, les délégués départementaux et les chefs de postes agricoles au service des producteurs. Ceux-ci leur prodiguent des conseils techniques sur la gestion de la production agricole car la gestion de la perte post-récolte se fait à l’amont. Dans ce sens, avant même de semer, le producteur doit prendre en compte les réalités de sa zone et sa capacité de conserver sa production », indique Salomon Endom Assengué, délégué régional du Minader. De son côté, le Fonds mondial pour la nature (WWF), accompagne depuis cette année, « le projet d’unité séchoir éco énergétique mobile » dans deux zones de production à savoir Ngoyla et Yokadouma pour améliorer les méthodes de conditionnement. « Cette unité séchoir sera dans un container et va fonctionner avec l’énergie solaire, ce qui permet de sécher toutes les matières premières et les produits forestiers non ligneux avec une température maîtrisée. Également avec cette unité, le temps de séchage est réduit de 14 à 2 jours. En même temps, la quantité de produits à sécher augmente de 2 à 5 tonnes par cycle », conclut Aude Aligué Eloundou, initiatrice du projet.
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Stockage et conservation des grains en agriculture
Les données statistiques publiées par la FAO en 2019 dans le site d’information « Agriculture au Cameroun », les pertes post-récolte sont alarmantes. Cette organisation estime à 40% de pertes, la production entière avant le consommateur final chez les graminées. Fort de cette situation, estime la FAO, « la réponse rurale nous présente nombreux équipements et structures traditionnelles de stockage des graines qui jusqu’ici contribuent de façon significative à la réduction des pertes post-récoltes ». Il est donc question pour les pays Africains (Cameroun et autres) en voie de développement d’évaluer afin de perfectionner ses structures villageoises. Selon la FAO, il est important de stocker et de conserver des grains puisque toutes les graminées communes à notre alimentation subissent la plupart du temps
de nombreuses transformations avant l’état de consommation. Ainsi pour une meilleure conservation des graines, il est important et même parfois incontournable de les ramener à une teneur en eau très faible permettant d’annuler l’activité de l’eau. C’est dans cette dynamique que les structures locales développer par les paysans permettent de diminuer la teneur en eau des graines et de les protéger des ravageurs (rongeurs, insectes, …) qui causent des dommages plutôt mécaniques. Ces technologies peuvent prolonger la durée de vie des graines de quelques mois à une année entière. Les différentes structures de stockage sont les cribs, les fûts, les silos, séchoirs directs et les constructions en briques de terre.