Présidence de la Bdeac : au-delà de la polémique, les vraies questions
La nomination du camerounais Dieudonné Evou Mekou comme président de la Bdeac n’a pas laissé indifférentes les autorités tchadiennes qui la contestent et revendiquent le poste en vertu du principe de rotation par ordre alphabétique institué en 2010. Or les autorités sous régionales, s’appuyant sur ce même principe considèrent que le pays a passé son tour en 2015 et que la nomination d’un tchadien à ce jour entraînerait un cumul des postes majeurs de la communauté (Bdeac et Beac) par un seul pays, ce qui est proscrit. Pourtant le Tchad n’entend pas laisser passer son tour. EcoMatin dresse quelques scénarios probables de sortie de crise.
La rencontre, le mardi 17 mai, entre le président de la commission de la Cemac et les autorités tchadiennes va-t-elle suffire pour taire les ardeurs du pays face à ce qu’il considère aujourd’hui comme un « hold-up » ? Difficile de répondre avec fermeté. Pour l’instant les 2 parties s’abstiennent de faire le moindre commentaire tant le sujet est délicat. Tout est pourtant partie d’une vidéo postée, le 13 mai dernier sur la page Facebook de la présidence tchadienne. On peut voir Hamid Tahir Nguilin, le ministre tchadien des Finances et du Budget, et son homologue de l’Économie, Mahamat Hamit Koua contester ouvertement la nomination du camerounais Dieudonné Evou Mekou comme président de la Banque de développement de l’Afrique centrale (Bdeac). « Le Tchad qui est un membre historique de cette banque de développement et qui est par ailleurs dépositaire des textes de la communauté s’en tient au respect des textes et des procédures pour ce qui est de la nomination des dirigeants de nos représentants dans les organisations sous régionales. A date, les nominations obéissent au critère de rotation par ordre alphabétique. Le Tchad n’a pas dirigé la Bdeac depuis très longtemps » affirme mordicus Tahir Nguilin. Et son collègue de l’économie de trancher avec fermeté, « C’est au tour du Tchad de diriger cette institution…Nous avons eu des instructions fermes allant dans le sens de prendre des mesures pour que cette décision soit corrigée » martèle-t-il avant de conclure « le Tchad présentera son candidat afin que le devenir de nos institutions soit garanti ».
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A N’Djamena où il s’est rendu, le Pr Ona Ondo est allé faire la lumière sur ce qui s’apparente désormais à une polémique et dont il serait le chef d’orchestre, selon la nomenklatura tchadienne. En effet, le mandat de l’équato- guinéen Fortunato Ofa Mbo Nchama à la tête de la Bdeac arrivant à échéance le 18 mars 2022 Daniel Ona Ondo va écrire, un jour plus tôt au président camerounais, par ailleurs président en exercice de la conférence des Chefs d’Etat, lui demandant de désigner et transmettre à la commission de la Cemac, le candidat du Cameroun pour ce poste. « Sur la base des résolutions adoptées par les actionnaires et du principe de renouvellement de mandat suivant les pratiques cohérentes en usage dans l’ensemble des Institutions de la Communauté, le poste de président de la Bdeac revient à la république du Cameroun » justifie le patron de la commission de la Cemac. Suffisant dès lors pour s’attirer les foudres de N’Djamena qui lui reproche d’avoir outrepassé le principe de rotation par ordre alphabétique à ce poste.
Les origines du problème
Le système de rotation des mandats par ordre alphabétique à la tête des institutions de la Cemac, a été instauré en 2010 sur les cendres du consensus de Fort Lamy avec notamment la nomination du gabonais Michael Adandet à la tête de la Bdeac et de l’équato- guinéen, Lucas Abaga Nchama comme gouverneur de la Beac pour des mandats respectifs de 5 et 7 ans. 2015 marque donc la fin du mandat gabonais à la Bdeac et suivant l’ordre, il revenait à la Guinée Equatoriale de diriger l’institution financière. Sauf que le pays étant déjà à la Beac il lui était impossible de cumuler les deux postes. Le principe du non cumul des postes de la Communauté par un seul Etat est prévu par l’article 2 de l’acte additionnel instituant la rotation. Pour rester conforme à la loi, les chefs d’Etats vont alors décider de passer au pays suivant, en l’occurrence le Tchad. Pris au dépourvu, le président Idriss Déby Itno va donc désigner son neveu Abbas Mahamat Tolli qui n’occupera cette fonction que pendant 2 ans (au lieu de 5 ans) avant de rejoindre la Beac en 2017. Le poste de président de la Bdeac étant dès lors vacant, les chefs d’Etats vont le confier à la Guinée Equatoriale pour rétablir l’ordre perturbé en 2010. Le pays désignera donc à ce poste Fortunato Ofa Mbo Nchama dont le mandat est échu depuis le 18 mars dernier.
Intérim ou mandat ?
Selon les autorités de N’Djamena, il n’a jamais été question d’un mandat du Tchad en 2015, mais d’un intérim que le pays a assuré à la demande des chefs d’Etats. « C’était juste un arrangement pour empêcher que la Guinée n’occupe les deux fonctions. Et même s’il fallait parler de mandat, je crois bien qu’il est de 5 ans et non de 18 mois comme a fait Abbas Mahamat Tolli » renseigne un haut cadre au sein de l’administration tchadienne qui poursuit : « il n’y aucun texte qui dit que le Tchad on doit le sauter ».
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Cet avis est loin de faire l’unanimité. Selon une autre grille de lecture, en 2016 dans la perspective de la fin du mandat du Gouverneur équato-guinéen à la Beac, le Tchad, a invoqué le principe de rotation, sans attendre la fin de son mandat à la Bdeac, pour diriger la Beac. Bien plus, en nommant, aujourd’hui un ressortissant de ce pays à la tête de la Bdeac, il tomberait lui également sous le coup de l’article 2 de l’acte additionnel sus évoqué.
Nomination illégale ?
Autre élément brandi par les autorités tchadiennes pour remettre en cause la nomination de Dieudonné Evou Mekou, c’est la procédure qui n’aurait pas été respectée. «La nomination de ce type de personnalités doit passer par la Conférence des Chefs d’Etats ce qui n’a pas été fait. Dans le cas contraire la conférence peut envisager des consultations même à domicile des chefs d’Etats, ou bien les ministres. Pour le cas présent, le Tchad n’a pas été informé, encore moins consulté. Ce n’était jamais arrivé avant » renseigne notre source à N’Djaména.
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La réponse est sans équivoque : « il y’a des traités qui permettent aux présidents dans l’urgence lorsque les mandats son échus de pouvoir procéder au remplacement ; la ratification devant se faire lors de la prochaine conférence. C’est le président en exercice de la commission qui prépare les éléments et soumet au président de la conférence pour signature. C’est souvent arrivé » explique un expert qui prend comme précédent, les décisions de nominations en décembre 2021, du Secrétaire général et du Secrétaire Général Adjoint de la Cobac. Signés par Paul Biya, elles n’avaient pas fait autant parler à l’époque.
Les scénarios de sortie de crise
Comment sortir de ce qui pourrait bien générer un sentiment d’injustice et d’iniquité entre les pays de la Cemac ? Paul Biya pourrait déjà convoquer ses homologues afin d’entériner ses récentes nominations. Cette rencontre pourra surtout être l’occasion de tabler sur la meilleure formule de sortie de crise sans heurter les égos. Les sources tchadiennes contactées par EcoMatin proposent à cet effet, que le camerounais Evou Mekou Dieudonné soit maintenu à la Bdeac mais juste à titre d’intérim, le temps que le mandat d’Abbas Mahamat Tolli prenne fin dans un peu plus d’un an et demi et qu’un tchadien puisse dès lors prendre la tête de l’institution. L’autre scénario serait de laisser tout simplement Fortunato Ofa Mbo Nchama assurer cet intérim. Une fois à la tête de l’institution, le pays pourrait même se contenter de 3 ans au lieu de 5 à passer avant de passer la main au Cameroun.
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À Yaoundé, le scénario semble improbable semble imporbable, ce d’autant plus que le Cameroun avait été écarté en 2016 au profit de la Guinée Equatoriale. « Je ne vois pas le Président Biya revenir sur sa décision. Le Cameroun serait ainsi le seul pays de la Cemac à n’avoir jamais présidé aux destinées de la Bdeac, en 47 ans d’existence, or, il s’agit de la première économie de la Cemac, ce qui serait inconcevable » conclu notre expert. Affaire à suivre