Peste porcine : le gouvernement noie le poison
Les autorités camerounaises reconnaissent du bout des lèvres la présence d’une nouvelle épizootie sur le territoire nationale, mais semblent encore hésiter à étoffer le dispositif de riposte. La filière qui avait atteint une production annuelle d’environ 3,729 millions de têtes en passe d’être déstructurée.
Edéa (Littoral), Bafia (Centre), entre autres localités, les alertes fusaient de partout depuis plusieurs mois sur une probable présence de la peste porcine au Cameroun. Les services déconcentrés du ministère de l’Elevage, des Pêches et des Industries animales (Minepia) ont à chaque fois réagi en parlant de fausses alertes, sans motiver leurs démentis par des explications sur ce qui était à l’origine du nombre élevé de décès de bêtes dans les fermes et ce, dans différents bassins de production à travers le pays. Ils sont rattrapés dans cette politique de l’autruche depuis la première moitié du mois de juillet en cours, avec la saisie à Melong dans la région du Littoral, d’une importante cargaison de porcs tués par la maladie et qui étaient acheminés vers Douala pour être vendus. Des prélèvements ont immédiatement été effectués sur ces bêtes mortes et envoyés au Laboratoire nationale vétérinaire (Lanavet). Bien que les résultats se soient avérés positifs après quelques jours d’attente, le gouvernement ne donne pas l’impression d’avoir véritablement pris la mesure de la menace.
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Jusque-là, la première véritable action de riposte est venue de l’Ouest où le gouverneur, Awa Fonka Augustine, a ordonné la fermeture jusqu’à nouvel ordre des marchés de commercialisation des porcs. Sans expliquer l’ampleur de l’épizootie dans cette région qui compte parmi les plus grands bassins de production, l’autorité administrative a expliqué que sa mesure qui s’étend à la circulation des bêtes visait à freiner la propagation de la maladie et protéger le cheptel. Le gouverneur de la région voisine du Nord-Ouest a emboîté le pas à son homologue en interdisant la circulation et le transport du porc sur l’étendue de son unité administrative. Mais au niveau central, la réaction du gouvernement se fait toujours attendre : pas une seule déclaration du ministre de l’Elevage, des Pêche et des Industries animales jusque-là.
Agropoles
Le Dr Taïga se terre derrière un mutisme qui ne s’explique pas au moment même où la survie de l’une des filières les plus structurées de son secteur et les plus prometteuses de l’économie camerounaise est plus que menacée. Selon la Banque africaine de développement (Bad), la filière porcine fait partie, avec le bovin, le poisson et la volaille, des quatre filières majeures sur lesquelles le Cameroun devrait appuyer sa croissance. C’est dans cette logique qu’en avril 2021, l’institution financière a débloqué en faveur du pays une enveloppe de 55 milliards Fcfa pour accompagner la mise en œuvre du Projet de développement des chaînes de valeurs de l’élevage et de la pisciculture (Pdcvep), dont le coût total s’élève à 65 milliards Fcfa. Cet outil est censé améliorer les performances génétiques des races bovines et porcines.
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Avant ce projet, le gouvernement a financé depuis 2014 et pour plusieurs milliards Fcfa, la mise en place d’une demi-dizaine d’agropoles de production, de transformation et de commercialisation de la viande porcine à Abang et Dibang (Centre), Kribi (Sud), Batoufam (Ouest), entre autres localités. L’implantation du premier agropole, qui visait une production de 26000 porcs par an, avait coûté 4,9 milliards Fcfa.
Déficit
Ces initiatives et bien d’autres projets développés par des privés à l’échelle du pays dans la perspective de la résorption du déficit de production de viande en porc chiffré à 17000 tonnes il y a six ans, lesquels commençaient à porter des fruits ; du moins si l’on en croit le Minepia qui faisait savoir en 2018 que les porcins avaient connu une croissance de leur cheptel de 2,8 millions de têtes en 2014 à 3,5 millions de sujets en 2016. En 2018, le cheptel était estimé à 3,729 millions de têtes. Pour l’heure, 5 régions sur les 10 que compte le Cameroun seraient déjà touchées par la nouvelle épizootie de peste porcine africaine. Il y a donc urgence à agir pour sauver les meubles en prenant toutes les dispositions, par exemple, pour que le principal bassin de production de porcs, l’Extrême-Nord, en l’occurrence, continue d’être épargné. La filière avait en partie été déstructurée par l’épizootie de 2014 qui avait rapidement été maîtrisée. Par-delà la lutte contre la propagation de la maladie, le gouvernement devra penser à amortir les pertes non assurées des éleveurs des bassins déjà touchés, qui sont énormes afin de relancer le plus rapidement la filière qui ambitionnait au début de la décennie 2010 d’aller à la conquête des 124 millions de consommateurs de la Communauté économique des Etats de l’Afrique centrale (Ceeac).
«Qu’on ne prenne pas seulement des mesures de répression mais qu’on accompagne des éleveurs»
Bernard Souop Nguetchouessi
Le gouverneur de l’Ouest a par un arrêté régional signé du vendredi 16 juillet dernier, interdit la commercialisation et la circulation du porc et des sous-produits porcins sous le prétexte de la présence de la peste porcine africaine (Ppa) dans son unité administrative. Comment avez-vous accueilli cette décision au sein de l’interprofession ?
Cette mesure nous a un peu surpris mais comme on était déjà avisé du fait des multiples mortalités dans les exploitations. De façon concertée, on a travaillé avec le délégué régional du Minepia depuis mars. On s’est rendu compte que ces mortalités ne faisaient que s’accentuer. Après des prélèvements qu’on a dû faire dans les exploitations, on s’est rendu compte que qu’effectivement, c’était la peste porcine africaine. Connaissant la frappe de ce genre de maladie zoonose et virale, il était de bon ton que l’on prenne des mesures. Mais tout au plus, il faut aussi un encadrement. C’est un peu le sens que nous voudrions bien que cette note puisse avoir. Cette mesure vise à éteindre les foyers atteints. Nous estimons que si la maladie est survenue quelque part, et que le virus est neutralisé à cet endroit, il faut 14 à 21 jours pour stopper sa propagation. Que d’être dispersé dans tous les élevages comme c’est le cas actuellement où les commerçants prennent des porcs pour aller voir les braiseurs. Ceux-ci chez les bouchers et d’une ferme à l’autre, il communique aux commerçants.
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Nous osons croire que si cette mesure est observée par tout le monde en même temps, c’est-à-dire, les bouchers, les commerçants, les producteurs que nous sommes, et tous les autres acteurs de la filière sous-produit porc, on estime qu’à cours termes, cette maladie sera éradiquée. Et on doit pourvoir à nouveau ouvrir les barrières. Mais si nous on s’obstine à des diffusions progressives, cette maladie peut aller jusqu’en octobre. Et là, ça sera compliqué pour les fêtes de fin d’année avec la disponibilité des porcs sur le marché. Comme de façon régulière, ce sont les petits élevages aujourd’hui qui sont attaqués avec trois, quatre, cinq, six, vingt porcs, on estime que les grands producteurs avec des engraisseurs doivent être préservés de cette maladie pour nous donner la possibilité d’avoir de quoi repeupler les élevages.
Vous avez évoqué des prélèvements qui ont été faits au préalable dans certaines exploitations. Mais sur le terrain, les avis des éleveurs sont mitigés quant ’à la présence réelle de la peste porcine africaine dans la région de l’Ouest ?
Je fais simplement confiance aux laboratoires Lanavet (Laboratoire national vétérinaire) et le Centre pasteur qui nous ont donné des résultats. On ne doit pas épiloguer dessus. Maintenant, il faut plutôt ne pas se permettre de faire des supputations dans tous les sens. Nous voulons plutôt encadrer ces mesures et avancer. Il n’est plus temps qu’on fasse la polémique sur son existence ou non. Les maladies rouges, il en existe. Mais nous avons toujours encadré à notre niveau avec des questions de biosécurité et la petite vaccination des rougeurs. Et sur le marché, quand vous parlez même de la vaccination, sous d’autres cieux, il y a des vaccins. Mais sur le marché camerounais, on ne trouve que des rougeurs. Alors qu’il fallait aujourd’hui comme les poulets qu’on ait un ensemble de vaccination qu’on passe dans le cadre du programme de prophylaxie chez le porc par exemple. La profession n’a pas les moyens. Il faut un accompagnement musclé pour pourvoir aborder cette question d’une prophylaxie réelle que le porc doit aussi avoir à l’exemple du poulet.
Cette peste est présente chaque année et pratiquement à la même période. Quelles mesures avez-vous pris à votre niveau pour pourvoir éviter de telles crises quasiment annuelles ?
C’est seulement cette année que cette crise a pris cette ampleur. L’interprofession a toujours travaillé via certaines structures qui nous ont accompagné pour le financement des séminaires de renforcement des capacités. J’ai toujours réuni 500 personnes dans le but de les outiller à la biosécurité parce qu’en fait, cette maladie ne vient pas de nulle part. Elle part d’un point A à un point B. Les éleveurs sont encadrés dans le cadre des renforcements des capacités pour savoir ce qu’il ne faut pas faire et ce qu’il faut faire. Ne pas prendre son porc pour aller croiser chez le voisin. Ne pas manger un porc malade quand vous avez une exploitation porcine. Ces séminaires que nous faisons avec l’accompagnement de certaines structures qui payaient la salle, nous ne pouvons pas toujours le faire à notre niveau. Des structures partenaires ont connu la grippe aviaire et le Covid-19 et ne sont plus capables de nous accompagner. C’est pour cette raison qu’il y a résurgence. Mais les autres fois, c’étaient des rougeurs. Avec des mesures de biosécurité, ça passait sans que les gens ne sachent. Mais nous nous y mettions. Nous n’avons pas encore été accompagnés à l’interprofession par l’Etat dans ce sens. Qu’on ne prenne pas seulement des mesures de répression mais qu’on accompagne des éleveurs.
Jean Omer Eyango & Armel Djiogue