Nachtigal: comment le Cameroun se dote d’un barrage sans s’endetter
L’Etat garanti la couverture des passifs financiers contingents du barrage hydroélectrique de Nachtigal amont pour un montant de 723 milliards de FCFA. Ce qui n’est pas un emprunt proprement dit.
D’ici la fin du mois de décembre 2018, le premier coup de pioche devrait être donné sur le chantier de construction du barrage hydroélectrique de Nachtigal amont. La Société Financière Internationale (SFI), filiale de la Banque Mondiale, chef de file des 15 prêteurs internationaux du projet, la Banque Internationale pour la Reconstruction et le Développement (BIRD), la Société Electricité de France (EDF) ainsi que les banques locales Standard Chartered Bank, Société Générale Cameroun, Société Commerciale de Banque, Banque Internationale du Cameroun pour l’Epargne et le Crédit ont signé, le 08 novembre 2018 à Paris, les accords de financement y relatifs avec la Nachtigal Hydro Power Company (NHPC). C’était en présence des ministres des Finances, Louis Paul Motaze ; de l’Eau et de l’Energie, Gaston Eloundou Essomba et des membres de l’équipe gouvernementale dédiée aux négociations desdites conventions.
Cette levée de fonds de la NHPC s’inscrit dans le prolongement de l’ordonnance du 2 octobre 2018 modifiant et complétant certaines dispositions de la loi de Finances 2018. Cette modification vise à couvrir en cas de résiliation ou de défaillance d’un partenaire les passifs financiers contingents liés à l’exécution du projet hydroélectrique d’une puissance de 420 MW, ainsi que la construction d’infrastructures y afférentes par la société Nachtigal Hydro Power Company (NHPC) créée le 07 juillet 2016 avec comme actionnaire l’Etat du Cameroun (30%), Electricité de France Internationale (EDFI) avec 30% et la Société financière internationale (SFI) avec 30%. Cet aval permet de garantir la levée des financements nécessaires à la réalisation du projet hydroélectrique Nachtigal.
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En effet, la République du Cameroun a signé le 8 novembre 2013 avec la société Electricité de France Internationale (EDFI) et la Société financière internationale (SFI) du groupe de la Banque Mondiale, un accord de développement commun, dans le cadre d’un partenariat public-privé (PPP), d’un projet d’aménagement hydroélectrique de 420 MW sur le site de Nachtigal-Amont. A cet effet, la société Nachtigal Hydro Power Company (NHPC) a été mise en place.
Pas d’impact budgétaire
Afin de faciliter la mobilisation des financements, l’Etat avait pris l’engagement de couvrir, notamment en cas de résiliation ou de défaillance d’un partenaire, les passifs financiers contingents d’un montant maximum de 723 milliards de FCFA. Ce mécanisme était exigé par les prêteurs pour garantir l’exécution du projet et le remboursement des emprunts contractés par eux même en cas de défaillance d’un partenaire.
Intervenant le 7 novembre 2018 devant les membres de la commission des Finances et du Budget de l’Assemblée nationale, le ministre délégué auprès du ministre des Finances, Paul Tassong, a insisté sur le fait que « cet engagement n’impacte pas le budget de l’Etat qui reste équilibré en recettes et en dépenses.» Le ministre explique que « le montant des 723 milliards objet de l’ordonnance du 2 octobre 2018 ne constituent pas un apport de l’Etat mais un engagement à couvrir d’éventuels passifs financiers. » En tant que PPP, « le projet Nachtigal n’est pas un emprunt proprement dit mais un investissement auquel l’Etat est partie» a poursuivi Paul Tasong, précisant que « les conventions d’engagement seront signées entre les partenaires et banques et non entre l’Etat et lesdites banques. » Ce qui a été concrétisé le 8 novembre dernier dans la capitale française.
Projets énergétiques: 3200 milliards de FCFA à investir d’ici 2025
Intervenant le 26 juin 2015 à Douala à la quatrième assise de l’université du Gicam, Joël Nana Kontchou, directeur général d’ENEO, concessionnaire du service public d’électricité, avait fait une projection sur les défis à relever par le secteur de l’électricité pour que le Cameroun accède au statut d’exportateur d’électricité en Afrique centrale. Pour ce faire, les investissements à consentir sont de 2500 milliards de FCFA dans la production, pour un objectif de puissance installée d’au moins 3000 MW à horizon 2025. De plus, le transport nécessite des investissements de l’ordre de 700 milliards.
Le gouvernement doit donc se mobiliser davantage pour faire aboutir tous les projets énergétiques en cours ou annoncés. Il s’agit entre autre des projets hydroélectriques de Grand Eweng (1200 MW), de la Menchum (850 MW), de Kikot (500 MW), de Moudour Wang (350 MW), de Mousséré (300 MW), de Bini Warak (75 MW). Pour le moment, le pays connait un équilibre précaire avec une capacité installée actuelle de 1400 MW. Sans ces investissements, le spectre des délestages n’est pas vraiment écarté.
Le Système d’information énergétique du Cameroun (SIE-Cameroun) est sans équivoque: «Que ce soit dans le secteur résidentiel ou économique, les coupures régulières de courant et les variations brusques de fréquence engendrent des pertes considérables, privent les usagers de confort et affectent la compétitivité des industries locales», peut-on lire dans le cinquième rapport sur la situation énergétique du Cameroun présenté le 31 mai 2012 à Yaoundé. Des désagréments que le pays paie au prix fort. Au moins 60 milliards de FCFA de manque à gagner par an pour les entreprises camerounaises depuis 2003 selon le Groupement inter patronal du Cameroun, (Gicam). Soit 3% de la contribution du secteur secondaire au produit intérieur brut (PIB) et un point de croissance en moins par an. Sachant que la valeur ajoutée prévisionnelle des projets est une composante du PIB, la croissance de 6,1% escomptée en 2013 pourrait ne pas être atteinte. Car «le taux de croissance est surestimé si les projets ne sont pas réalisés à bonne», selon les experts.
Un outil incitatif pour les investisseurs
Dans le cadre de sa politique d’émergence économique à l’horizon 2035 et notamment à travers le document de stratégie pour la croissance et l’emploi (DSCE) qui couvre la période 2010-2019, le Cameroun s’est doté d’une plateforme de 7000 projets de développement dans divers domaines. Parmi lesquels 270 grands projets dont les besoins de financement se chiffrent à 3650 milliards de FCFA. Une puissance financière que le gouvernement n’a pas. D’où l’appel au secteur privé à travers le contrat de partenariat public-privé (PPP), un nouveau concept dont les vertus sont célébrées par les investisseurs, les partenaires techniques et financiers internationaux. Il est question, d’impliquer le secteur privé plus étroitement dans le financement, la construction, la rénovation, la gestion ou l’entretien d’une infrastructure ou encore dans la fourniture d’un service particulier.
Pour la directrice adjointe du département Afrique du FMI, Anne-marie Gulde Wolf, «en sus de son ambition première qui est de combler le déficit en infrastructures, cette approche a deux autres principales motivations. Attirer les investissements directs étrangers et les orienter vers la construction des équipements lourds et impulser le développement du secteur privé à travers cette nouvelle forme de la commande publique». En effet, les contrats publics-privés de type BOT (Built, Operate and transfer) permettent aux entreprises privées de construire une infrastructure sur fonds propres, de la gérer pendant une période donnée avant de la rétrocéder à l’Etat.
Avantages
Le gouvernement envisage une réforme du cadre des partenariats public-privé. Au plan règlementaire, les contrats PPP sont régis au Cameroun par quatre textes majeurs. Il s’agit de la Loi du 29 décembre 2006 fixant le régime général des contrats de partenariat; le décret du 23 janvier 2008 portant organisation et fonctionnement du Conseil d’Appui à la Réalisation de Contrats de Partenariat (Carpa); le décret du 24 janvier 2008 précisant les modalités d’application de la loi n°2006/012 du 29 décembre 2006 fixant le régime général des contrats de partenariat ainsi que la loi du 16 juillet 2008 fixant le régime fiscal, financier et comptable applicable aux contrats de partenariat.
Les PPP bénéficient d’un cadre fiscal, financier et comptable attractif avec entre autre la prise en charge par le partenaire public de la TVA (19,25%) pendant la période de construction; l’enregistrement gratuit de tous les actes et conventions durant la période de construction; la prise en charge des taxes et droits de douane par le partenaire public; la dispense d’inspection avant l’embarquement pour les matériels et équipements; une décote de 5 points sur le taux d’impôts sur les sociétés et un régime d’amortissement accéléré (25% de plus par rapport au taux normal).
Au niveau institutionnel, l’unité opérationnelle de mise en œuvre des PPP au Cameroun est le Carpa. C’est le premier cadre formel et structuré de partenariat public privé d’Afrique centrale. Il a pour mission de mettre son expertise au service de la création, la réhabilitation, le renouvellement des infrastructures et équipements publics; améliorer la qualité du service financier et technique public en matière d’investissement de grande envergure; élaborer des mécanismes de mise en œuvre des PPP; évaluer la faisabilité des projets à réaliser dans le cadre d’un PPP; participer aux négociations, au contrôle et au suivi d’exécution des PPP; examiner toutes les questions relatives aux projets publics à réaliser dans le cadre d’un PPP; informer les entités publiques et des acteurs privés sur le PPP.