Pouvoir d’influence du Directeur Général et atteinte des objectifs des entités publiques
Par Joseph Désiré OKALA EDOA
Les pouvoirs du Directeur Général sont consacrés par les dispositions des lois Nº 2017/010 (établissements publics) et Nº 2017/011 (entreprises publiques) du 12 juillet 2017. En tant que « seul responsable de la gestion courante de l’établissement public ou de l’entreprise publique » conformément à l’article 20 alinéa 2 du décret Nº 2019/320 du 19 juin 2019, le Directeur Général est appelé à exercer ses pouvoirs statutaires et réglementaires de façon à atteindre les objectifs de performance, de compétitivité et de rentabilité attendus des établissements et entreprises publics. Suivant l’alinéa 1 de l’article 72 de la loi Nº 2017/011 ci-dessus indiquée, les pouvoirs du Directeur Général l’invitent à « assurer la direction technique, administrative et financière ; recruter, nommer, noter et licencier le personnel ; (…), gérer les biens meubles et immeubles, corporels et incorporels de l’entreprise (…) ». Afin d’accomplir efficacement ses missions, il nous semble important, pour le Directeur Général, de disposer d’une capacité d’influence lui permettant d’impacter et de maîtriser son environnement (son personnel, ses ressources, ses forces, ses faiblesses, les opportunités, les menaces, etc.) de façon à atteindre les résultats escomptés. Un pouvoir d’influence nous paraît ainsi indispensable pour faire bouger les lignes. Ceci est vrai dans le contexte nouveau du management des entités publiques qui met au centre des priorités la vision d’excellence traduite par des concepts opérationnels de compétitivité, rentabilité et performance. Le présent article s’inscrit ainsi dans une approche de coaching managérial sur le pouvoir d’influence du Directeur Général en vue de la création de la valeur au sein de son entité. Cette préoccupation rejoint par ailleurs celle du législateur qui précise que les entités publiques doivent être « des structures viables et susceptibles de contribuer, de manière significative, à la promotion de l’emploi et à la création de la richesse nationale » (exposé des motifs des lois de 2017 sur les entités publiques).
Quel type de pouvoir pour le Directeur Général ?
Une définition à tendance minimaliste présente le pouvoir comme la « capacité d’un individu à modifier le comportement d’un autre individu » (Tedongmo Teko & Bapes Ba Bapes, 2010). Dans une démarche fonctionnaliste au sein des entreprises et établissements publics, le pouvoir du Directeur Général peut être perçu comme la capacité de ce dernier à mobiliser, à influencer et à gérer à l’optimum le temps, les ressources matérielles, légales, humaines, financières, technologiques et environnementales, pour atteindre les objectifs arrêtés de commun accord avec les principales parties prenantes de l’organisation. Plusieurs types de pouvoirs sont identifiables au sein des organisations en fonction des approches institutionnelles, interactionnelles ou personnelles retenues. Une approche « substantialiste » a été introduite par Philippe Braud et considère le pouvoir comme une chose que l’on peut acquérir, développer ou perdre en fonction du temps et des circonstances (Alpe, Beitone, Dollo, Lambert, & Parayre, 2013). Cette approche substantialiste semble correspondre à la notion de pouvoir qui caractérise le statut de Directeur Général dans le cadre de ses missions et attributions en entreprise ou établissement public dans la mesure où elle peut englober les approches institutionnaliste, interactionnelle et personnelle. Au-delà des conceptions du pouvoir d’injonction et du pouvoir coercitif dont l’applicabilité ne nous semble pas adéquate dans le management moderne des entreprises à orientation marché, à but lucratif ou tout au moins des entités obéissant aux principes du budget programme, nous considérons le concept de pouvoir d’influence d’abord comme une émanation normative du paradigme institutionnel ou étatique ; lequel consacre, à partir de sa désignation ou nomination par le Conseil d’Administration ou par décret présidentiel, le pouvoir institutionnel, légal et par conséquent légitime du Directeur Général. Une légitimité cependant issue de plusieurs dimensions. Ce pouvoir assure à son tour, par les principes des théories de l’agence et des conventions, un droit de planification stratégique, de coopération, de coordination, de supervision et de sanctions (positives et négatives) des activités des agents.
Le Directeur Général dont la rémunération est dorénavant fonction des résultats (ou niveau du chiffre d’affaires et du bénéfice pour les entreprises publiques et niveau du budget pour les établissements publics) conformément aux récentes lois du 12 juillet 2017 et décrets du 19 juin 2019 sur les entreprises et établissements publics, est appelé à optimiser son pouvoir d’influence sur ses agents et son environnement Politique, Économique, Sociologique, Technologique, Écologique et Légal (PESTEL). Le Directeur Général est désormais invité à intégrer bon gré mal gré, les notions de performance, compétitivité et rentabilité pour, non seulement, maximiser sa propre rémunération, mais également et surtout, être à la hauteur des attentes fixées par le Conseil d’Administration et par extension par le Chef de l’État. In fine, ces attentes se résument à maximiser le bénéfice de l’entreprise publique pour fournir au Trésor Public des ressources financières additionnelles en ces temps de « difficultés de trésorerie » ayant conduit à la signature en 2017 d’une « facilité élargie de crédit » avec le FMI comme le précisait le Chef de l’État, S.E Paul BIYA le 31 décembre 2017 d’une part, et de réalisation optimale des activités gouvernementales dans le cadre des exigences du budget programme pour les établissements publics d’autre part. Dans l’exercice de son pouvoir d’influence, le Directeur Général est appelé à définir un cadre de collaboration clair, référencé et évaluable (mensuellement pour plus d’efficacité) avec ses agents.
L’évaluation mensuelle tient lieu de contrôle permanent de l’action de l’agent dans la mesure où les guerres de pouvoirs et les intérêts divergents des acteurs au sein de l’entreprise entraînent une rationalité limitée dans la prise de décisions et la conduite des activités au sens d’Herbert Simon (Quinet, 1994). Il faut donc un ensemble de référentiels pour gérer les rapports entre les uns et les autres. En effet, « pour qu’il y ait échange, coordination entre des agents, il faut qu’il y ait des conventions entre les personnes concernées ; c’est-à-dire un système d’attente réciproque entre les personnes et leurs comportements » d’après Bernard Oberson cité par des auteurs camerounais (Tedongmo Teko & Bapes Ba Bapes, 2010). L’approche institutionnelle donne lieu à l’élaboration d’un organigramme que nous pouvons qualifier d’institutionnel ou procédural (c’est-à-dire issu du manuel des procédures). Cet organigramme devra impérativement être accompagné : des missions clairement définies ; des profils de compétences attendus des titulaires des postes (pour une adéquation entre missions du poste et profil académique, technique ou expertise/expérience) ; des objectifs discutés et arrêtés de commun accord entre le Directeur Général et ses agents à chaque niveau de la chaîne organisationnelle ; des sanctions (positives et négatives) prévues en cas d’atteinte ou de non atteinte des objectifs. Tout ceci doit être réuni avant consolidation et agrégation desdits objectifs par la Direction Générale et soumission au Conseil d’Administration pour validation. Les objectifs doivent être SMART (Specific, Mesurable, Achievable, Realistic and Timebound) dans leur élaboration.
Le Directeur Général et ses agents (au sens de la théorie de l’agence) doivent aller au-delà de la conception de l’organigramme institutionnel et la détermination des tâches formelles (approche holistique de la structure organisationnelle) pour s’intéresser à la conception interactionnelle de leur entité. L’approche interactionnelle leur permettra de mieux percevoir et voir les jeux d’influence entre les individus (salariés), les réseaux et les liens informels qui se manifestent au quotidien et qui prennent naissance, le plus souvent, au mode de recrutement de ces individus au sein de l’entreprise ou de l’établissement public ; leurs interactions ou connectivités avec les acteurs du système politique et économique gouvernant sont également une source explicative de ces jeux d’influence. Il s’agit donc d’une conception par le Directeur Général de « l’organigramme réel » (Ngok Evina & Kombou, 2006) à partir du système global de management pour optimiser l’exercice de son pouvoir d’influence. L’organigramme réel met en exergue les luttes de pouvoir qui existent entre les individus aux intérêts divergents et parfois même opposés à ceux de l’entreprise ou de l’établissement public. Le Directeur Général doit ainsi, par son pouvoir d’influence, neutraliser ces « micro-pouvoirs » aux finalités individuelles, sectaires ou de réseaux afin d’asseoir une universalité de conduite qui brisera les blocages organisationnels créés par les micro-pouvoirs. Il s’agit donc de reconstruire « la logique subjective de chaque acteur confronté aux déterminations du système global ou des systèmes locaux de pouvoir » (Ferréol & Norreck, 2015, p. 219). Il faut ainsi partir de l’organigramme institutionnel établi et cadrant avec une volonté de système d’action souhaité ou visé pour définir des « systèmes d’action concrets » (Crozier & Friedberg, 1977) apparaissant comme systèmes optimaux.
Vers une légitimité personnelle du pouvoir d’influence du Directeur Général
L’approche personnelle retenue au sein des organisations pour légitimer le pouvoir du Directeur Général se justifie par sa capacité personnelle à influencer l’atteinte des objectifs de toute son équipe d’une part, et des objectifs individuels de chaque agent ou membre de cette équipe d’autre part. Ainsi, les agents qui se sentiront influencés seront en fait convaincus par la corrélation positive qui existe entre l’objet social, les missions de l’entreprise ou l’établissement public et l’expérience personnelle, l’expertise-connaissances, les compétences techniques et humaines du Directeur Général. À ces critères personnels justifiant la légitimité de son pouvoir, le Directeur Général influent sera celui qui saura également réussir sa communication verbale et écrite, à faire bon usage de son intelligence émotionnelle pour séduire ses agents et démontrer une confiance en soi authentique dénuée de toute attitude d’arrogance et de pédanterie. L’humilité professionnelle manifestée par un chef est souvent source émotionnelle de motivation de son collaborateur.
La légitimité personnelle du pouvoir du Directeur Général rend ce dernier véritablement autonome conformément aux textes statutaires et réglementaires. Le manager en chef qui aura maîtrisé son pouvoir d’influence grâce à sa légitimité personnelle (par ailleurs associée à sa légitimité institutionnelle), sa compétence ou au moins présomption de compétence avérée en management, saura prendre des initiatives pour innover sur les plans technologiques, organisationnels et financiers au sein de son entreprise ou établissement public dans le respect des grandes orientations (politiques générales) validées par l’Assemblée générale des actionnaires ou par le Conseil d’Administration. Dans l’exercice de ses missions opérationnelles, la légitimité personnelle du pouvoir du Directeur Général lui permettra en outre d’arrimer constamment son entreprise ou son établissement public aux changements opérationnels ou tactiques que lui impose son environnement, sans attendre des autorisations formelles additionnelles du ministère de tutelle ou d’une tenue de session extraordinaire du Conseil d’Administration. Étant entendu que lesdites autorisations sont déjà pourvues par la validation, en début d’exercice, au niveau du Conseil d’Administration, des Plans de Management Stratégique.
Au demeurant, la légitimité personnelle du pouvoir d’influence du Directeur Général lui permet d’éviter les pertes d’opportunités opérationnelles et l’établissement de blocages organisationnels dus aux lourdeurs de la bureaucratie. Cette dernière est entendue ici dans son sens courant comme l’ensemble des dysfonctionnements de l’administration de l’entreprise ou de l’établissement public. Pour ceux des Directeurs Généraux et Directeurs Généraux Adjoints qui ne jouissent pas d’une légitimité personnelle du pouvoir d’influence, il est fortement recommandé de se former en Management Stratégique afin d’être à la hauteur, voire au-delà, des attentes des critères de performance, de compétitivité et de rentabilité. Ces critères sont des principes cardinaux des entités évoluant dans un contexte d’économie de marché, de recherche du bénéfice optimal, et de gestion axée sur la performance imposée par le budget programme (confère Manuel de pilotage et d’exécution du budget programme, MINFI, janvier 2013).
Joseph Désiré OKALA EDOA
Enseignant-chercheur
Spécialiste en Management Stratégique