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Mékin : 34,5 milliards, près de dix ans et toujours pas de barrage

25 milliards Fcfa, 15 MW d’énergie électrique à pro­duire au bénéfice, entre autres, du village du chef de l’Etat. Beaucoup pensaient en 2010, que la construction du barrage de Hy­droMekin se ferait sans histoires. Le Top-Management de HydroMekin, l’entreprise à la­quelle le projet fut confié annonçait d’ailleurs confiant, la réception de l’ouvrage pour 2014. Six ans plus tard, personne, pas même le Di­recteur général de HydroMekin qui s’interdit désormais cet exercice-ne peut aujourd’hui raison­nablement, avancer la moindre date de livraison définitive de l’ouvrage. Mieux que n’importe le­quel, le plus petit des projets structu­rants de première génération relatifs à l’énergie qui a déjà englouti 34,5 milliards Fcfa se­lon le pointage de HydroMekin-sub­sume aujourd’hui, les difficultés du pays à réaliser ses projets publics. EcoMatin, qui a décidé d’ouvrir une série pour faire le point et la lumière sur ces projets d’in­frastructure, a choi­si ce projet comme tête de liste. Et c’est naturellement au chef du projet que nous avons tendu le micro, après avoir pris le soin, d’interroger une ou deux sources. Dénoncé depuis des années comme étant au mieux incompétent et au pire irresponsable, le Pr Frédéric Biya Motto, est bien malgré lui, la figure non consentante de cet échec collectif du gouvernement. Et c’est un homme de convictions, vo­lontiers combattif, pédagogue et dé­terminé, qui n’est certes pas un Cen­tralien-il enseigne les mathématiques à l’université- mais qui a de ce projet et de ses dossiers une connaissance d’arpenteur, sou­vent dépité des dénonciations calomnieuses et malveillantes et des accusations injustes dont il est l’objet, mais qui comprend parfaite­ment l’impatience grandissante des Camerounais au sujet de ce projet, qui a reçu EcoMa­tin, sans notes ni fiches, plus de deux heures durant, ce jeudi 2 avril 2020. Dans ce dossier, sa faute majeure, c’est de n’être pas par­venu à aligner les agendas et les inté­rêts de la forêt d’ac­teurs qui s’agglu­tinent derrière ce projet, se marchent sur les pieds, et sou­vent se livrent une guerre feutrée sans merci. Mais le peut-on vraiment, quand un seulement Di­recteur général de HydroMekin?

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Monsieur le Directeur général, quel est le point à ce jour de l’aménagement de l’ouvrage, de la production de l’énergie électrique, de l’injection de cette production dans le Réseau interconnecté Sud et de l’alimentation des localités voisines que sont Mekin, Sangmelima, Meyomessala et Bengbis ?

L’Etat du Cameroun avait confié la construction de cet aménagement à une entreprise chinoise, la China national Electric Engineering Corporation (Cneec). A ce jour, la construction est quasi terminée conformément au marché. Le 23 janvier 2019, l’Etat du Cameroun a réceptionné, à travers une commission mise en place par le ministère en charge des Marchés publics, deux turbines. Il s’agissait en réalité d’une réception provisoire et partielle parce que le groupe 2 était non-fonctionnel. Seuls les groupes 1 et 3 ont été réceptionnés avec tous les autres aménagements que sont la Cité du maître d’ouvrage, le barrage, la retenue d’eau, la ligne d’évacuation d’énergie, les postes élévateurs et abaisseurs… L’objectif était que la réception définitive se fasse un an après cette réception provisoire, à la demande du contractant. Depuis le 29 janvier 2020, ce dernier n’a pas encore fait cette demande. Lors de la réception provisoire, nous avions formulé des réserves, que l’entreprise chinoise doit lever avant de nous soumettre le dossier de réception définitif. Et à cette heure, ce dossier ne nous a pas encore été soumis.

Quelles réserves avez-vous émises sur les livraisons?

Il y a des réserves qui sont d’ordre technique. Par exemple, nous n’avons pas de pièces de rechange. Pour la gestion et la maintenance du projet après sa réception définitive, on aura besoin de ces pièces de rechange. Le contrat stipulait que la Cneec nous fournisse ces pièces de rechange à la livraison de l’ouvrage. Ce qui n’a pas été fait lors de la réception provisoire. A ce sujet, je puis vous dire qu’il y a un stock de pièces de rechanges qui sont arrivées à Douala depuis le mois de janvier 2020. Mais il y a des difficultés de dédouanement qui se sont renforcées avec la situation sanitaire que nous vivons actuellement. Il y a également des réserves d’ordre administratif car nous n’avons pas reçu l’organisation de la gestion, de l’exploitation et de la maintenance du barrage, conformément aux termes du marché.

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Vous connaissez l’utilité de ce barrage pour l’économie camerounaise et pour les populations locales. Les Chinois ne vont pas faire attendre le pays Ad vitam æternam. Le délai d’un an est passé, est ce que vous les avez contactés pour leur demander de se hâter ?

C’est ce que nous faisons au quotidien ! Chaque jeudi, ils assistent à nos réunions et nous parlons de ce qui doit être fait par nous-même et par eux. A la fin de chaque réunion, un compte rendu est produit lequel est adressé au Président du Conseil d’administration et au ministre de l’Eau et de l’Energie (Minee)

Quid de la turbine non-réceptionnée ?

Elle a été montée et installée depuis la fin décembre 2019 et les tests à vide ont commencé au mois de janvier 2020 et donnent un résultat positif. Le problème est que nous n’arrivons pas à injecter de l’énergie sur le Réseau interconnecté Sud (RIS). Et ce pour plusieurs raisons. Sur le plan technique, le projet avait envisagé deux possibilités d’injection. La première est l’injection dans le RIS et la seconde, la possibilité d’un fonctionnement en iloté, c’est-à-dire que l’énergie produite à Mekin est directement injectée vers les populations soit à Sangmelima, à Meyomessala, ou ailleurs. C’est cette variante qui jusque-là a été possible et c’est avec elle que nous avons pu faire toutes les réceptions. Toutes les parties que sont Eneo, le Minee et le Minmap avaient compris qu’il n’était pas possible à l’énergie de Mekin d’être injectée directement sur le Réseau Interconnecté Sud (RIS) car il fallait des études d’intégration et malheureusement, ces études n’étaient pas été prévues dans le contrat conclu avec l’entreprise chinoise. Cette variante d’injection a donc été reportée au bénéfice du mode en ilotage, qui a m a l h e u r e u s e m e n t beaucoup de contraintes fortes à lever. La première est relative à la Bobine du Point Neutre (BPN). La plupart des consommateurs sont en monophasé, nous avons besoin de cette bobine pour alimenter sereinement les ménages monophasés. Pour la phase test, ENEO nous avait prêté une vielle bobine qui n’a pas malheureusement tenu sur la durée. Nous avons e n t r e p r i s la procédure d’acquisition de deux bobines neuves, procédure qui nous a pris pratiquement un an à cause de la lourdeur des procédures administratives qui impliquent d’autres administrations que la nôtre. Mais, depuis la fin janvier, nous avons pu boucler ces procédures. Le marché est donc signé et les frais y relatifs déjà payés par le Cameroun. Selon les termes de la lettre de crédit, nous rentrerons en possession de ces bobines dans un délai de quatre à cinq mois, c’est-à-dire en fin juillet 2020. D’autre part, la charge maximale que doit supporter un groupe en mode iloté ne doit pas dépasser 50% de sa charge maximale. De plus, les localités environnantes n ’ o n t p a s b e s o i n d’une grande quantité d’électricité. Meyomessala et Sangmelima par exemple utilisent au maximum 4 MW. Donc il est important que l’énergie produite par le barrage soit injectée dans le Réseau Interconnecté Sud, pour pouvoir être utile au reste du Cameroun. Et même au plan des finances, pour une entreprise qui compte sur cette production et la vente de ladite production, il est important que l’ouvrage soit utilisé au maximum de ses capacités. Au plan technique, les machines elles-mêmes doivent fonctionner à un régime supérieur à 80% du rendement pour que leur durée de vie soit la plus longue possible. Enfin, le mode en iloté présente une contrainte supplémentaire majeure : le réseau Moyenne Tension à travers lequel l’énergie doit être acheminée aux localités environnantes avait été abandonné depuis les années 1980. Ce qui fait que quand on fonctionne en mode iloté, les avaries dans le réseau de transport se produisent des dizaines de fois dans une journée, ce qui affecte même les équipements et les installations de production. Il faut donc la nettoyer. Pour toutes ces raisons, il est important que cette énergie soit injectée dans le RIS.

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Où en êtes-vous donc avec les études d’intégration au RIS ?

Nous avons engagé, à travers une commission interministérielle, une équipe chargée d’effectuer ces études. Le marché relatif à cette étude d’intégration est déjà passé, les premiers décomptes sont déjà payés. La livraison est prévue vers le milieu de l’année, c’est-à-dire 4 mois à compter de la notification du marché qui a été faite au mois de février 2020.

Le mode d’injection optimal reste donc celui d’intégration au RIS…

Tout à fait ! C’est lui qui concentre nous efforts et notre attention. Le mode iloté n’est qu’une variante stratégique, qui offre une seconde possibilité d’alimentation des localités avoisinantes, e n c a s d e r u p t u r e d’approvisionnement de ces localités à partir du RIS. Et c’est une très bonne option. Nous travaillons aussi à ce que ce mode soit totalement opérationnel et puisse servir d’alternative en cas de besoin. Mais il a surtout été activé pour des raisons contractuelles.

A cette heure, quelles sont les localités qui sont alimentées par le barrage de Mékin ?

Les localités qui étaient alimentées sont Meyomessala et Sangmelima, mais elles ne le sont plus depuis juillet 2019. Actuellement, l’alimentation s’arrête à Njom Yekombo, au niveau du poste de transformateur parce que comme je vous l’ai dit plus haut, la bobine prêtée par Eneo a lâché.

A quelle échéance, pensez-vous que l’énergie produite à Mekin pourra être acheminée vers le RIS ?

C’est une affaire qui c o n c e r n e b e a u c o u p d ’ a dmi n i s t r a t i o n s . Il faut déjà que nous ayons les résultats de l’étude d’intégration. Le Premier ministre, Chef du gouvernement a mis sur pied, il y a un an, un Comité qui suit le déroulement de toutes les contraintes techniques et nous prescrit des recommandations. Toutes les parties prenantes au projet s’y retrouvent chaque mois. Et je puis vous assurer que le projet avance beaucoup plus vite aujourd’hui. Sur le terrain pour le moment, nous travaillons à opérationnaliser le mode en ilotage parce qu’avec ce mode, il y a quand même des populations qui reçoivent l’énergie.

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Les premiers essais avaient causé la destruction d’ouvrages. Où en sommes-nous aujourd’hui avec la reconstruction de ces ouvrages et le recasement des populations qui avaient été affectées ?

Le recasement des populations a connu de nombreuses difficultés. Après que les marchés y relatifs aient été signés en 2017, les entreprises s’étaient mobilisées sur le terrain pour faire la route reliant Mékin au site de recasement futur que les populations elles-mêmes avaient identifié avec les autorités administratives. Cependant le problème de l’accès à ces sites s’était posé et les entreprises étaient dans l’obligation d’arrêter les travaux. Nous avons néanmoins engagé une autre procédure avec le concours du comité mis sur pied par le Premier Ministre pour faciliter l’accès au site de recasement.

Pouvez-vous estimer le nombre de personnes à recaser à ce jour?

Il s’agit d’une cinquantaine de familles vivant dans deux villages : 35 à Nyabizou, et 15 à Awoan.

Combien devrait coûter les travaux d’aménagement du site y compris la route qui y mène ?

Je n’ai pas les chiffres en tête, mais les montants sont connus dans les marchés qui sont passés. Les avances de démarrage ont déjà été payées depuis 2017.

Depuis l’an dernier, la partie chinoise réclame un paiement de 5 milliards de frais supplémentaires sur le montant initial du projet du fait de la réalisation des travaux qui n’étaient pas prévus dans le marché initial. La presse a même appris qu’une réunion avait été programmée à cet effet à Pékin. Cette réunion avait-elle eu lieu ? Si oui, quelles en ont été les conclusions ?

Tout cela est archifaux ! En réalité nous allions en Chine pour la réception de l’arbre de la turbine N°2 en sortie d’usine. Il ne s’est jamais agi d’une quelconque réunion en vue de parler d’argent, comme l’avait relayé une certaine presse. Ce qui est exact, c’est qu’il y a eu effectivement des travaux supplémentaires qui ont été réalisés hors marché par la partie chinoise, mais après autorisation du conseil d’administration de Hydro Mekin . Actuellement, n o u s sommes en train de préparer la validation de ces travaux supplémentaires afin de programmer les paiements. Mais parallèlement, nous aussi avons des revendications à leur endroit, par exemple, la voie d’accès qui n’a pas été pas totalement construite par les Chinois. La première partie l’avait été par l’Etat du Cameroun au moment de la pose de la première pierre. Donc une réunion de haut niveau sera organisée pour confronter les prétentions des deux parties, afin d’arrêter d’accord parties, une compensation éventuelle.

Est-il vrai qu’à ce jour ce projet a engloutit environs 80 milliards Fcfa comme l’assurent certaines sources ?

C’est très faux ! Je ne sais pas d’où sort ce chiffre car les dépenses du projet sont connues. Il y a encore quelques mois le ministre de l’Eau et de l’Energie nous a saisi pour avoir d’amples informations au sujet des dépenses sur le barrage de Mekin. Je lui ai adressé une correspondance dans laquelle j’ai fait un état exhaustif des dépenses et je peux vous rassurer que la totalité des dépenses y compris le coût des travaux supplémentaires validés par le Conseil d’administration n’atteignent pas encore 40 milliards Fcfa.

A combien évaluez-vous les dépenses courantes à Hydro-Mékin sur l’année? Certaines sources parlent de 7,5 milliards Fcfa…

Nos d é p e n s e s d e fonctionnement sont très largement au-dessous de ce chiffre. Nos dépenses de personnel par exemple se montent à 45 millions Fcfa. Ces 7,5 milliards Fcfa représentent en réalité le capital social d’Hydro- Mékin. C’est l’argent que l’Etat a mis à la disposition d’Hydro-Mékin pour fonctionner comme entreprise avant qu’elle ne commence elle-même à produire et à se prendre en charge. Mais en dehors de ce capital social, il y a des subventions de l’Etat venant soit du Minepat (ministère en charge de l’Économie ndlr), soit du Minee.

L’entreprise Hydro- Mékin est-elle endettée ?

Pour le moment, non.

Est-il vrai que vous avez eu un redressement fiscal d’un milliard de Fcfa ?

Une fois encore, ce montant n’est pas exact. Je sais néanmoins que nous avons un redressement en cours. Nous avons fait un examen en interne et nos experts nous ont effectivement fait part de ce que nous avions des impôts qui étaient mal payés. Je vous prends un exemple, celui de CIMA International, le maître d’oeuvre du projet. Quand nous avons versé les frais de la maîtrise d’oeuvre, il nous a été rapporté que CIMA n’a pas payé ce qu’il devrait payer au fisc en raison de son statut juridique. Nos experts en internes nous ont proposé de faire appel à un expert externe et c’est bien ce que j’ai fait et ils sont en train des travailler avec l’administration fiscale pour confronter et concilier les chiffres. Je voudrais souligner que tous nos marchés passent par le service des impôts avant d’être signés.

L’entreprise «SudCam Hévéa» a-t-elle émis le besoin d’être alimentée en énergie par le barrage de Mekin ? Si oui quelle est la suite que vous réservez à cette demande ?

Nous sommes effectivement en pourparlers avec cette entreprise. Mais nous faisons face à deux types de contraintes à savoir les contraintes techniques et les contraintes légales.

Quelles sont ces contraintes ?

Vous me permettrez de ne pas en dire plus pour le moment.

Dans les prochains mois vous allez réceptionner d é f i n i t i v e m e n t l’ouvrage, pensez-vous qu’HydroMekin ait la capacité de gérer le barrage après sa livraison ?

Nous avons déjà cette capacité. Je voudrais rappeler que dans les statuts de création d’Hydro- Mékin signés par le Chef de l’Etat en 2010, il y a le volet exploitation du barrage hydroélectrique. Donc, Hydro-Mekin est chargé de la construction, du financement et de l’exploitation de ce barrage. Nous allons certainement construire d’autres barrages, mais celui-là c’est notre priorité jusqu’à l’exploitation et nous nous y préparons déjà. Depuis janvier 2019, ce sont les Camerounais qui pilotent l’exploitation et la maintenance du barrage, avec certes l’assistance technique du constructeur du barrage. Nous à Hydro- Mékin, sommes prêts à assumer l’exploitation du barrage. Mais on ne s’opposerait pas à une autre option plus ambitieuse, plus lucide pourvu que ce soit dans l’intérêt profond de la nation.

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