Loi des finances : ces écueils qui plombent l’exécution du budget 2022
Covid-19, répercussions de la guerre en Ukraine, inflation galopante, lenteurs dans l’ajustement budgétaire, problèmes techniques et opérationnels constituent entre autres facteurs endogènes et exogènes qui rendent difficile la réalisation de plusieurs opérations en dépit du fait que l’Etat honore nombre de ses engagements régaliens et que certains chantiers se poursuivent sur le terrain.
Lorsque l’on pose la question à des responsables de certains départements ministériels, notamment les ministères de l’Economie ou encore des Travaux publics, la réponse fuse tout de suite : «Le budget est exécuté normalement comme chaque année. Il n’y a pas de couacs». En effet, au ministère des Travaux publics, le 4 mai, l’on a procédé à une évaluation de l’exécution du budget d’investissement public au premier trimestre. En ce qui concerne l’exécution du Budget d’investissement public, sachant que le budget de fonctionnement s’exécute par blocage de précaution de 15% et par quotas trimestriels, un quota de 16% a été autorisé pour les engagements.
«Au 30 avril 2022, la situation consolidée affiche un montant de 55,937 milliards FCFA des ressources internes à gestion centrale, engagées dans le budget d’investissement public, sur une dotation de 163,100 milliards de Fcfa, soit un taux d’engagement de 34,30%. Pour le compte du premier trimestre 2022, au 30 avril 2022, les décomptes en cours de traitement entre le contrôle financier et les services de la direction des affaires générales se chiffrent à 23,338 milliards de Fcfa », explique la note d’information publiée au terme de la réunion de cabinet tenue ce jour-là.
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Au ministère des Finances, l’on rencontre les avis sur l’exécution du budget vont dans le sens de la régularité des opérations budgétaires. «Il y a la Can 2021 qui a été organisée au Cameroun en janvier ; les chantiers engagés par le gouvernement sont en cours de réalisation, la dette du pays est payée suivant les échéances en plus de la mobilisation des ressources budgétaires telle que prévue dans la loi des finances, les dépenses de personnels sont assurées pour ne citer que celles-là », explique un cadre de la direction du budget.
Si ces aspects font l’unanimité et sont observables par tous, reste que, assure un analyste budgétaire, des soucis existent dans l’exécution du budget cette année. «Il y a par exemple la réforme informatique que le ministère des Finances a engagée dans le but de donner plus d’efficacité dans la gestion du budget ; mais l’application Probmis ne marche pas. Elle est à l’origine de beaucoup de blocages ou de ralentissement de la chaine de dépenses budgétaires », explique un responsable de la direction du budget.
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Des soucis relevés par le ministère des Travaux publics lors de sa réunion de cabinet le 4 mai dernier. «Certaines difficultés ont été mentionnées en rapport avec la dématérialisation des procédures de traitement, avec l’application Probmis Web. On peut, entre autres, citer la mobilisation laborieuse des fonds de contrepartie; l’exigence du paramétrage dans l’application métier du mode de calcul spécifique aux fonds de contrepartie pour leur traitement effectif et des contraintes liées à l’appropriation progressive de la nouvelle application », fait savoir le ministère.
Pour résoudre, l’on apprend tout juste que les ingénieurs sont à pied d’œuvre et que la situation devrait revenir à la normale d’ici quelques semaines. Si le budget s’exécute s’agissant de certains aspects, il y a cependant des facteurs inquiétants qui plombent le déploiement efficace de la machine budgétaire. «Lorsque le pays fait face à des difficultés conjoncturelles comme c’est le cas e ce moment avec la crise sanitaire qui ‘est totalement finie, la guerre en Ukraine et ses répercussions sur le commerce mondiale, les Etats recherchent des voies qui les amènent à créer de la ressource financière. Donc le Cameroun doit engager des réformes pour faire face à la bourrasque qui vient d’Ukraine et à laquelle il ne peut pas échapper», explique un analyste économique.
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En fait, le pays qui ploie sous une dépendance accrue des importations de denrées alimentaires et de produits pétroliers se trouve en situation de crise budgétaire. «Nous avons déjà la crise sanitaire qui n’est pas finie ; à cela est venue s’ajouter la guerre en Ukraine. Or, avec la guerre, nous sommes handicapés parce que nous importons tous les produits pétroliers que nous consommons au prix du marché international ; or en ce moment, les prix du baril de pétrole sont en hausse et nos provisions n’avaient pas plafonné ce prix à ce niveau. Quand on sait que tous les secteurs de l’économie sont tributaires du prix du pétrole, le transport aérien, maritime et terrestre, le Cameroun ne peut que subir et cela a un impact sur l’exécution du budget parce que nous devons faire face à des situations conjoncturelles imprévues», poursuit-il.
Face à la situation, le pays, admet-il, le pays ne peut qu’agir sur le levier de l’augmentation des transferts. «Dans la loi des finances, les subventions ont été plafonnées à un niveau ; mais il se trouve que si on doit afficher la vérité des prix à la pompe, l’inflation va battre des records et les ménages e pourront plus rien acheter. Du coup, on augmente le soutien de l’Etat dans les subventions des produits pétroliers. Ce qui a un coût budgétaire énorme », étaye-t-on à la direction générale du budget.
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Il y a donc, de l’avis des experts de la direction générale du budget, un effet d’éviction qu’exercent ces dépenses supplémentaires sur l’exécution du budget qui doit, en attendant l’adoption de réformes structurelles audacieuses et inter-temporelles plus affinées, à sauver le plus urgent : payer les salaires et assurer la consommation des ménages. S’agissant des subventions sur les produits pétroliers par exemple, elles sont budgétisées à hauteur de 100 milliards de Fcfa il y a un an ; mais avec la hausse des cours du baril de pétrole, le pays qui est importateur net de pétrole, elles vont s’établir en fin d’exercice à 672 milliards de Fcfa, soit une hausse de 572 milliards de Fcfa.
En plus de l’explosion des subventions, le pays doit également faire face aux salaires des enseignants rentrés en grève en février. La dette des deux ordres éducatifs que sont le primaire et le secondaire s’établit à 331 milliards de Fcfa, dont 180 milliards de Fcfa pour les professeurs de lycées et collège et 150 milliards de Fcfa pour les instituteurs. «On a découvert qu’il y avait une dette salariale parce que les gens ne sont pas payés et si l’Etat ne les paie c’est un mauvais signal. En prenant en compte tous ces problèmes, on se retrouve face à des problèmes importants qui appellent des mesures drastiques », conclut un analyste budgétaire.
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Ainsi, au-delà de l’exécution physico-financière du BIP, le budget 2022 a du plomb dans l’aile en raison de l’inflation galopante, des chocs exogènes, de la flambée des prix des produits de grande consommation à l’instar des carburants, de la hausse des engagements budgétaires ou encore des lenteurs dans la prise de décision devant conduire à l’ajustement du train de vie de l’Etat et de la rectification des projections macroéconomiques.
Ajustement budgétaire : la pilule amère
Les difficultés liées à l’exécution du budget appellent de l’Etat, au regard de la conjoncture économique actuelle, appellent de sa part une révision de la loi des finances. «Il faut que l’Etat s’ajuste ; son niveau de vie n’est plus soutenable. Bien qu’étant un pays producteur de pétrole, ce que nous gagnons en exportation, on le perd doublement en importation. C’est cela que les grands analystes appellent le win-fall. Avec la hausse des revenus salariaux des enseignants et le soutien des prix à la consommation qui va vertigineusement augmenter, il ne reste que cette réforme à appliquer. Tout est prêt, il ne reste qu’à liquider les procédures», souligne-t-on à la direction générale du budget.
En réalité, ces facteurs plombent l’exécution rapide du budget et posent le problème d’efficacité budgétaire. «Nous devons apprendre à être efficients et efficace c’est-à-dire faire avec le peu de moyens dont on dispose avec célérité pour ne pas gripper la machine budgétaire. Deuxièmement, nous devons pratiquer des politiques de ciblage qui ont été évacuées depuis des années dans le pays. Celles-ci permettent de minimiser l’effet d’éviction que pourraient avoir certains sacrifices de l’Etat sur les recettes
publiques et agissent de manière efficace sur les couches vulnérables sans que les riches ne continuent d’en bénéficier au même titre que les pauvres », préconise un expert de la DGB.
Au moment où des voix s’élèvent pour invoquer de possibles baisses de salaires et d’effectifs à la fonction publique, à la direction générale du budget, l’on est catégorique. «Ça n’existe pas ! En temps de crise conjoncturelle, la relance ne se fait pas par la baisse mais par la hausse de l’activité. Cela veut dire que l’Etat ne peut pas adopter cette mesure qui n’est même pas envisageable parce que si les travailleurs ne peuvent plus consommer faite de travail, le poste TVA va prendre un sérieux coup parce que le plus impôt et c’est lui qui permet de soutenir les subventions et autres. Au contraire, l’Etat qui a choisi de ne pas augmenter les salaires mais de recruter davantage, va poursuivre cette politique en réglant la dette salariale des enseignants grâce à la mobilisation de tous les postes de financements et autres guichets qui existent pour avoir de la ressource budgétaire. Donc il y aura plutôt augmentation de salaires», tranche-t-on à la division de la préparation budgétaire.