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Opinions

L’intelligence ou renseignement économique : arme secrète de la guerre commerciale et du capitalisme mondialise

La fin de la guerre froide a laissé place à l’extension du capitalisme et de l’économie de marché à l’échelle mondiale, rendant l’ environnement des affaires plus complexe, plus riche en opportunités et menaces et des changements plus rapides. Face à ces profondes mutations, comment les principaux acteurs de l’économie mondiale que sont les Etats, et les entreprises s’adaptent et tirent avantage de la globalisation ?

Economie de la connaissance et nouvelle forme de compétitivité

Eric Denécé, directeur du Centre Français de Recherche sur le Renseignement (CF2R) lors d’une conférence au Cercle Aristote de Paris, le 25 février 2013, faisait observer que les marchés ne se gagnent plus  seulement sur le prix et la performance d’un produit ou la qualité d’une offre. La différence se crée sur l’anticipation pour agir et réagir avec un temps d’avance sur les concurrents. L’ère de l’information et de l’intelligence actuelle se distingue des ères agraires et industrielles. L’information apparaît comme un actif  indispensable, une ressource-clé de l’entreprise.

L’économie camerounaise a reculé de 03 places en matière de compétitivité par rapport à 2017 selon Global Competitiveness  Report 2018 du Global Economic Forum

Après avoir connu la compétitivité-prix, c’est-à-dire les avantages comparatifs pendant des siècles, et la compétitivité hors prix, c’est-à-dire les avantages hors prix pendant un demi-siècle, voici venue le temps de  la compétitivité informationnelle et stratégique fondée sur la maitrise des informations et des connaissances dont les avantages concurrentiels englobent les deux notions précédentes d’avantages prix et d’avantages hors prix (Baulant, 2008). L’économie camerounaise a reculé de 03 places en matière de compétitivité par rapport à 2017 selon Global Competitiveness  Report 2018 du Global Economic Forum. Le pays a occupé la 121 e place sur les 140 retenus. Ce mauvais classement est une évidence que nous n’avons pas encore pris en compte cette nouvelle forme de compétitivité pouvant permettre de maintenir et attirer les investissements directs étrangers (IDE) et aider  les entreprises locales à faire face à leurs concurrents à l’international.

Le capitalisme synonyme de compétition

Le capitalisme repose sur l’appropriation privée des moyens de production et instauration d’un système de marchés libres.  D’après le courant libéral de la science politique contemporaine (Oneal & Russet, 1999), ce système économique est complètement absous des relations violentes et conflictuelles. Néanmoins, les travaux des auteurs tels que Crouzet(1996), et Herzog (1919) mettent en évidence que la guerre économique est liée à l’histoire du capitalisme. En effet, la thèse du « doux commerce » de Montesquieu, que soutiennent les naïfs et les ultras libéraux, n’est qu’une illusion.  De même qu’en  politique, Laïdi Ali (2016)  chercheur à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris) de Paris, maintient que « l’ADN du libéralisme, du capitalisme, c’est la compétition, l’affrontement, le conflit, la polémologie et la violence. A ne pas admettre cela, on ne comprend pas le monde ».

L’économie mondiale, un nouveau champ de bataille

Tous les pays sont confrontés à l’accroissement de l’intensité de la compétition économique avec la mondialisation et le développement de la société de l’information. D’après l’économiste Levet (1992) le sens politique de l’économie dans le contexte actuel prend, avec la mondialisation et les affrontements  économiques une nouvelle dimension : « les nouveaux outils de souveraineté sont d’ordre technologique, industriel et culturel ».

 Guerre Economique

Chaque jour apporte la preuve que la compétition économique est une réalité planétaire. Au Cameroun, deux entreprises locales ont été des cibles des raids capitalistes. Il s’agit de SITRAFER SA déstabilisée  par le groupe BOLLORE et de CODILAIT anéantie par le géant NESTLE. Le cas CODILAIT avec sa marque Super Milk est tout simplement pathétique. Une enquête réalisée par Judith Rueff, journaliste Française, diffusée sur France 5 rapporte que, cette société mise en place et dirigée par Pius Bissek, un industriel camerounais dont le chiffre d’affaires avoisinait plus ou moins les 5 milliards FCFA, avec 200 emplois directs et qui faisait vivre près de 2000 personnes, fut contrainte de fermer ses portes à cause d’une action de commerce déloyale de son concurrent NESTLE. Si la guerre selon Clausewitz (1999) est un acte de violence destiné à contraindre l’adversaire à exécuter notre volonté, voire de l’anéantir, alors la compétition économique mondiale en est une.

Les polémiques portant sur la qualité, la sécurité sanitaire, le non-respect des cadres réglementaires en matière environnementale des produits rentrent dans cette logique de guerre d’un genre nouveau où les Etats jouent le rôle de généraux, les entreprises bras armés de la conquête celui des « soldats » et les chômeurs les victimes

La notion de « guerre économique souvent entendue au sens de guerre commerciale » d’après Bosserelle (2012) renvoie à un ensemble d’actions mises en œuvre par des firmes et/ou des Etats dans le but d’obtenir (ou de maintenir) un (des) avantage(s) concurrentiel(s) dans les domaines industriels et commerciaux. La guerre économique est une réalité cachée mais un affrontement réel. Les attaques que l’on subit sont souvent floues, imprécises et sournoises. Luttwak(1993) la définit comme l’utilisation des   techniques subversives (pratiques déloyales ou illégales, sabotage, désinformation, espionnage industriel, dumping…) par des acteurs étatiques ou privés dans leurs rapports économiques. Pour Christian Harbulot, directeur de l’École de Guerre Economique de Paris, c’est la combinaison de l’art militaire et de l’art subversive sur le terrain économique, en vue de maintenir ou accroître sa puissance. Les polémiques portant sur la qualité, la sécurité sanitaire, le non-respect des cadres réglementaires en matière environnementale des produits rentrent dans cette logique de guerre d’un genre nouveau où les Etats jouent le rôle de généraux, les entreprises bras armés de la conquête celui des « soldats » et les chômeurs les victimes.

 L’affrontement économique, n’a aucun caractère officiel nous renseigne Alain Juillet, ancien haut responsable chargé de l’intelligence économique auprès du Premier Ministre Français. Chaque Etat tente de créer chez lui ou à son profit des emplois, des revenus et augmenter ses ressources et son influence, garantir le succès de ses entreprises publiques ou privées,  gagner coûte que coûte des parts de marches extérieurs contre la concurrence,  même lorsque l’excellence de l’offre n’est pas établie.

Les  armes invisibles de la compétition économique

Dans un monde de compétition effrénée, volatile et instable, les entreprises, constatent que leurs moyens traditionnels d’action sur la concurrence et l’environnement économique sont devenus inopérants. Cette transformation du contexte a entrainé des changements dans les mentalités, dans les méthodes de travail, de gouvernance et de management des entreprises. Les operateurs économiques doivent décider efficacement à temps.  Ce qui suppose des connaissances fiables. La course à l’information stratégique mobilise  non seulement des moyens légaux mais aussi illégaux.

Intelligence économique(IE)

Le recours à lʼintelligence économique résulte du besoin des entreprises de se doter d’un outil adapté au nouveau contexte des affaires. Cet instrument permet de  réduire le champ d’incertitude et de créer de la vision pour rendre les décisions moins aléatoires.  L’intelligence économique est la capacité de compréhension et d’adaptation d’une entreprise à l’évolution de l’environnement  des affaires (Baumard, 1991).  C’est  une démarche qui consiste à collecter l’information avec des impératifs éthiques et légaux, de la traiter et de diffuser le produit fini aux décideurs afin d’agir à bon escient. Savoir et prévoir sont les deux raisons d’être de l’intelligence économique. Ce n’est donc pas un phénomène de mode mais une exigence absolue. L’intelligence économique est d’abord une politique publique menée par un État pour une triple finalité : la compétitivité du tissu industriel, la sécurité de l’économie et des entreprises et le renforcement de l’influence du pays.

La veille n’est qu’une démarche partielle qui permet de surveiller les actions de la concurrence, afin de réagir face aux comportements des adversaires, mais n’offre pas la possibilité de prendre des initiatives

La veille, l’influence &lobbying et  la sécurité économique  forment le triptyque de l’intelligence économique. Cependant, l’appropriation de ces trois dimensions par les entreprises camerounaises est encore peu visible. Un nombre important d’entre elles ne dépassent guère le stade de la veille concurrentielle. La veille n’est qu’une démarche partielle qui permet de surveiller les actions de la concurrence, afin de réagir face aux comportements des adversaires, mais n’offre pas la possibilité de prendre des initiatives. Le fait de ne pas dépasser le stade de la veille fait de nos entreprises des acteurs inoffensifs et seulement de réactions.

La non maitrise des méthodes sulfureuses (espionnage, chantage, désinformation, déstabilisation, effraction numérique…) permettant de modifier l’environnement concurrentiel à son avantage, s’explique d’abord par le fait que l’intelligence économique est l’application civile des techniques du renseignement issues du militaire (Kahaner, 1996), ensuite le manque d’expertise et des moyens financiers alloués à ces d’actions d’influence jugées parfois inutiles. Par ailleurs, dans la guerre économique tous les coups sont permis comme dans une vraie guerre, alors les agents des services secrets relativisent l’importance populairement accordée  à l’éthique et à la morale contrairement aux « non initiés ». Loin d’être une création ex nihilo, l’intelligence économique est une adaptation du renseignement à la problématique des activités économiques concurrentielles, à l’ère de la connaissance et du numérique.

Le renseignement d’Etat au service de l’économie

L’engagement des moyens des services de renseignement dans l’économie, et notamment dans les secteurs stratégiques, s’est généralisé depuis que l’approche de l’économie est devenue intelligente dans les années 1990. Le but étant de protéger les entreprises locales des ingérences extérieures ainsi que le patrimoine économique et industriel national. Confrontés aux nouvelles réalités, tous les pays émergents ou qui gagnent économiquement ont orienté leurs services de renseignement sur les  questions commerciales, pour conquérir les marchés sur les concurrents, ou maintenir leur puissance politique. Espions et patrons forment aujourd’hui le nouveau couple infernale de l’économie. Les services de renseignements modernes (Beau, 2010) combinent à cet effet « une culture du renseignement militaire avec une orientation sécuritaire et défensive et en ajoutant à leurs prérogatives, le renseignement économique ».

Les Réflexes protectionnistes des grandes puissances

L’une des difficultés rencontrées dans l’opérationnalisation du libre-échange vient de ce que, les États puissants ont toujours eu une attitude de protéger leurs marchés nationaux. La clause «achetez américain» contenue dans le plan OBAMA en 2009, avait pour but de réserver les fonds publics aux entreprises nationales. De même,  en 2005,  Dominique de Villepin alors Premier Ministre en France, dans une lettre de mission aurait demandé de protéger les entreprises nationales, en structurant l’information très «en amont», en particulier, celle qui porte sur les normes internationales. On observe la réémergence du nationalisme économique et du protectionnisme depuis l’infarctus de la mondialisation avec la crise financière mondiale de 2008. On dénombre à ce jour près de 2000 mesures de protectionnismes dans le monde, nous apprend François Lenglet journaliste de France 2.A armes égales avec nos partenaires et compétiteurs

La guerre économique  est une menace réelle pour tous les pays lançait le Président Nicolas Sarkozy le 1er décembre 2003 du haut de la tribune de l’Ecole Militaire de Paris. Dans un contexte international où tout va très vite, le Cameroun pèche par l’immobilisme. Comparativement à nos partenaires et compétiteurs, nos armes ne sont pas adaptées à cette nouvelle guerre. Ce qui nous prive des bénéfices de la mondialisation commerciale. Il y a donc urgence pour nos gouvernants de prendre conscience de cette situation et de doter le pays d’outils offensifs à la dimension de cette forte menace. C’est pourquoi, il serait indispensable de:

 

  1. Eriger l’intelligence économique en politique publique

L’intelligence économique doit être une vraie et grande politique publique de l’État dans notre pays. Pour ce faire, un changement de mentalités très important doit intervenir pour doter les cadres camerounais d’une culture de renseignement, c’est-à-dire d’une  posture et d’un bon sens, d’un savoir faire approprié et d’une tournure d’esprit intelligente (être intelligent minded) dans leurs rapports économiques.

 

  1. Recentrer les priorités des services de renseignement vers le champ économique

Accompagner et  soutenir discrètement les champions nationaux des secteurs stratégiques, et aider l’industrie Camerounaise à se développer à l’international  doivent être les nouvelles missions des services de sécurité. Pour ce faire, il faut créer au sein de la direction des renseignements généraux (DRG) et  celle de la surveillance du territoire (DST), des unités chargées de récolter de l’information à des fins économiques, ainsi que des unités de contre-espionnage économique et de cyber-défense.

 

  1. Rapprocher les grands  groupes  locaux  des services de renseignement

Dans un contexte concurrentiel où la compétitivité des nations dépend énormément du dynamisme des entreprises, les dirigeants des firmes camerounaises misent à mal par la concurrence internationale, ainsi  que  les présidents des organisations patronales (CCIMA, GICAM, E-CAM, MECAM.. etc) doivent pouvoir rencontrer régulièrement les directeurs des services de sécurité intérieure (DST) et extérieure (DRG) pour examiner leurs différentes préoccupations, obtenir des informations utiles visant à appuyer leurs choix stratégiques ou prendre le dessus sur la concurrence lors des grands appels d’offres internationaux.

 

  1. La sous-traitance, un  vecteur potentiel de captation technologique

L’activité de sous-traitance favorise des opérations de rétro-ingénierie, offre la possibilité de siphonner les secrets technologiques, industriels,   commerciaux, les procédés de certification et les nouvelles méthodes de travail. Il serait donc judicieux en amont des grands projets structurants de passer des contrats de sous-traitance à des sociétés étrangères à cette seule fin pour permettre à nos  entreprises locales d’acquérir le savoir faire et la maîtrise relative à la technologie la plus secrète.

 

  1. Rapprocher les stagiaires, étudiants et académiciens basées à l’étranger, ainsi que les membres de la diaspora des services de renseignement

Nos services de renseignement doivent  pratiquer une « collecte de masse », c’est-à-dire obliger les stagiaires, étudiants et académiciens basés à l’étranger, ainsi que les membres de la diaspora à leur livrer les informations sur des secteurs où le Cameroun accumule des retards.

 

  1. L’espionnage industriel comme un impératif national

Nos petites et moyennes industries (PMI) utilisent encore des techniques de production peu appropriées ou dépassées. Pour rattraper notre retard sur le front industriel il faut ériger l’espionnage industriel en système d’Etat. Presque toutes les formes de transferts de technologies ne donnent pas satisfaction parce que la technologie est un facteur clef de puissance pour les pays développés. Pour avancer rapidement et combler ce gap technologique, nous devons savoir assumer les pratiques peu convenables avec pour seul mot d’ordre « pas vu pas pris ». L’espionnage industriel doit être un moyen de nous affranchir des processus de recherche et développement (R&D) lents et coûteux, de drainer les technologies des nos alliés et concurrents  par diverses méthodes : usage de sociétés écrans, d’infiltration des taupes, prises de participation dans des grandes entreprises étrangères bien ciblées, cyber espionnage …etc.

  1. Une nécessaire solidarité entre « Public » et « Privé »

Pierre Zumbach, promoteur de la fondation inter-Progress au Cameroun, invité lors d’une émission Décryptage  présentée par Frank Noudofinin en 2016 sur la chaine de télévision AFRICA 24, faisait remarquer que beaucoup reste encore à faire dans l’amélioration du dialogue secteur public et secteur privé au Cameroun. Pour cet acteur majeur de notre économie, il faut aider ce dialogue à mieux s’organiser, se moderniser, à devenir plus simple, moins formaliste, et plus concret. « Les patrons du secteur privé doivent pouvoir communiquer, échanger dans la confiance avec les encadreurs publics de l’économie dans la réalité de l’activité économique de tous les jours » a-t-il conclu.

Notre capacité de résister à la concurrence  internationale passe par la mise en place d’un véritable dialogue public-privé qui doit réunir non seulement le gotha des hommes d’affaires et des administrations publiques mais également des services de renseignement et des diplomates. D’après Carayon (2003) les besoins des acteurs privés  sont de deux ordres : l’information et l’accompagnement. Nos entreprises doivent trouver, auprès des partenaires publics, l’information qui leur est nécessaire. A travers une diplomatie économique plus active, elles doivent pouvoir être accompagnées par les administrations publiques et consulaires dans leurs démarches de prospection de nouveaux marchés ou validation des choix des partenaires  à l’étranger.

 

  1. Le patriotisme économique comme politique sociale

Si le Cameroun veut renouer avec l’idée de croissance économique, nous devons affirmer un patriotisme économique. Un concept tout à fait adapté aux réalités et aux défis nouveaux que pose la mondialisation. Selon  le professeur Kassé (2009), le patriotisme économique est un comportement spécifique du consommateur, des entreprises et des pouvoirs publics consistant à favoriser le bien ou le service produit au sein de leur nation ou de leur groupe de nations.

Contrairement au nationalisme économique, Deblock (2006) soutient que le patriotisme économique évoque plutôt un profond sentiment d’attachement à des institutions et à des valeurs qu’il s’agit de défendre contre la menace extérieure, économique et financière en l’occurrence. Les actions telles que l’octroie des contrats publics sans appel d’offres pour soutenir tel ou tel « champion » national rentrent dans ce cadre. Le patriotisme économique n’est pas une idéologie, c’est une politique sociale (Carayon, 2006) qui doit mobiliser les consommateurs à travers un « made in Cameroun ». Comme l’observe Zaki Laïdi, professeur à Sciences Po « Le patriotisme économique, nous devons le pratiquer mais pas trop en parler ».

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