Les éditeurs camerounais enrichissent les pays étrangers
Pour maximiser leurs marges, les éditeurs locaux préfèrent imprimer les livres à l’étranger. Près de 90% du chiffre d’affaires généré par la filière du manuel scolaire est ainsi perdu.
Pour l’année scolaire 2020/2021, une cinquantaine d’éditeurs sont concernés par les livres inscrits au programme officiel. Ils étaient plus de 120 en 2017. Business florissant, le secteur occupe une place très importante dans le marché de l’édition. Frénétique à l’occasion des rentrées scolaires, il attire une myriade d’acteurs, allant des éditeurs aux libraires en passant par les distributeurs et les bourses du livre. Son chiffre d’affaires avoisine les 200 milliards de FCFA, selon des estimations. Un juteux marché qui nourrit une âpres bataille entre éditeurs locaux et étrangers.
Depuis l’année scolaire 2018-2019, les éditeurs locaux sont les plus représentés dans la liste officielle des manuels scolaires inscrits au programme. Selon des statistiques disponibles aux éditions Clé à Yaoundé, les nationaux s’en tirent avec près de 75% du marché. Nettement mieux que les 5% engrangés entre 2015 et 2016, ou encore 12,7% en 2004-2005, 15% en 1997-1998.
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Il y aurait donc matière à se féliciter de ce gain des parts de marchés par les éditeurs locaux. Malheureusement, le pays fait face à une rareté des livres à chaque rentrée scolaire. En 2019, le ministre des Finances, Louis Paul Motaze, a dû instruire l’ouverture exceptionnelle des bureaux le samedi 18 août, sur toute l’étendue du territoire, dans les principaux secteurs de la douane du pays. Cette mesure, « étendue sur tous les jours éventuellement déclarés fériés du mois d’août courant» visait à « permettre aux importateurs de manuels scolaires de procéder aux opérations de dédouanement de ces ouvrages.» Il apparait ainsi qu’une part non négligeable des manuels scolaires au programme au Cameroun est produite à l’étranger.
Délocalisation
Selon l’enquête camerounaise sur les ménages (Ecam), réalisée en 2001 par l’institut national de la statistique (INS), plus de 90% du chiffre d’affaires généré par le manuel scolaire sortent des frontières nationales pour renflouer les caisses des multinationales basées en Occident. Le Cameroun a ainsi déboursé Près de 80 milliards en 2012 pour les comptes des éditeurs occidentaux contre 45 milliards en 2009.
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La situation ne semble pas s’être améliorée depuis lors. Raison pour laquelle le président national du syndicat national des employeurs de l’industrie d’arts polygraphiques et activités connexes du Cameroun (Syneiapac), René Tchuitcheu, plaide auprès du gouvernement pour l’obligation de produire localement le livre scolaire. « L’Etat doit donner la priorité aux producteurs locaux en matière de produits finis d’imprimerie. Cela va assainir le secteur et favoriser de nouveaux emplois », a-t-il expliqué le 4 mai 2020 aux responsables de l’agence de promotion des PME. Le syndicat est en pourparlers avec le conseil national d’agrément du manuel scolaire.
Pour les analystes, le choix de l’impression à l’étranger tient surtout aux coûts de production. Le Cameroun ne produisant pas de papier, déjà, l’importation des intrants nécessaires à la conception du livre se heurte au non-respect de la part de la douane camerounaise des accords de Florence et de leur protocole de Nairobi (1956 et 1976) rédigés par l’Unesco et pourtant ratifiés par le Cameroun. Ces accords exonèrent de frais de douanes les produits nécessaires à la production du livre. Conséquence : un livre produit localement ne reviendra pas moins cher qu’un ouvrage produit à l’étranger, par exemple.
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