L’émergence conjuguée au conditionnel…
Le Cameroun a procédé en 2019 à l’évaluation de ses différents instruments de politiques publiques tant sur le plan national (Dsce) que sur le plan international (Revue Nationale Volontaire des Objectifs de Développement Durable). Les travaux réalisés dans le cadre de ces évaluations (RNV et Dsce) ont clairement démontré que la marge de progression vers les objectifs visés restait encore considérable. Le lancement de la Stratégie National de Développement (SDN), doit être l’occasion pour faire une évaluation objective des politiques publiques afin d’éviter que les causes ayant conduites à l’échec du Dsce, compromettent à nouveau les différents agendas de développement en cours d’exécution. Au regard des indicateurs de développement de l’heure et tenant compte de la conjoncture internationale, l’horizon se dessine en clair-obscur.
Le difficile accès aux services sociaux de base expose la gouvernance
L’accès de la population aux services de base tels que l’eau, le logement, l’électricité et l’alimentation reste un luxe pour la majeure partie de la pollution. En 2019, sur une population de près de 24 millions d’habitants, environ 9 millions de Camerounais n’ont pas toujours accès à un service d’eau potable. Le taux d’accès à l’eau potable au niveau national est estimé à 72,9 % en 2018. En ce qui concerne l’accès à l’électricité, à cause de la sous-exploitation des capacités de production des sources d’énergie renouvelable (environ 5% du mix énergétique en 2019), près de 10 millions de personnes vivent encore dans le noir. En matière d’accès au logement, dans le cadre du DSCE, le gouvernement s’est fixé pour objectif de construire 17 000 logements sociaux et d’aménager 50 000 parcelles. En 2018, l’évaluation faisait état de ce que le nombre de logements construits s’élevait à 2 400. Soit un déficit de 14 600 par rapport à l’objectif fixé.
Pour l’alimentation, le taux de croissance annuel de la production agricole, qui est de 2 %, reste inférieur au taux de croissance démographique de 3% constatait le Programme alimentaire mondiale (PAM) en 2017. Selon le rapport 2019 sur « l’état de la sécurité alimentaire et de la nutrition dans le monde », le pays comptait 17,1 millions de personne en situation d’insécurité alimentaire modérée entre 2016 et 2018, soit une prévalence de 71,2%, et 10,6 millions de personnes étaient en situation d’insécurité alimentaire grave sur la période 2016-2018 pour une prévalence de 44,2 %. Ce qui veut dire simplement que la quantité et la qualité de nourriture produite localement sont questionnables.
En matière de santé publique, en 2017 l’espérance de vie à la naissance dans le pays était estimée à 58 ans (PNUD, 2018). Pour l’année 2015, la densité moyenne du personnel soignant était évaluée par l’OMS à 6 pour 10 000 habitants contre 14,1 infirmiers pour 10 000 habitants. Selon une étude réalisée en juin 2016 par l’équipe d’appui technique du Bureau international du travail (BIT) pour l’Afrique centrale, il y a moins de 2 % de la population camerounaise qui bénéficie d’une assurance maladie. En clair, la population est exposée à tous les risques en cas de maladie.
Si la problématique de l’accès aux services sociaux de base n’est pas suffisamment agressée au cours des dix prochaines, le pays risque une véritable implosion sociale. Il va falloir, dans le cadre de la décentralisation en cours d’accélération, améliorer les indicateurs sociaux.
Une croissance démographique à l’épreuve du chômage jeune : la solution peut-elle venir de l’agriculture et du numérique ?
Le taux de chômage des jeunes (15-24 ans) était de 8.9 % en 2017 (PNUD, 2018) alors qu’il est seulement de 3,8% pour l’ensemble de la population. Le taux de sous-emploi global pour les personnes âgées de 15 ans et plus se situe à 77,6 % et le taux d’informalité est de 88,6 %. Ainsi, malgré le taux d’activité élevé, la qualité de l’emploi reste précaire et dominée par l’informel (+90%). Pourtant, selon les projections de Word Populations Prospects, le Cameroun pourrait avoir une population estimée à 38,870 millions d’habitants à l’horizon 2035, avec les moins de 30 ans qui représenteront plus des deux tiers de la population totale. Selon les données de l’ECAM 4, cette population est extrêmement jeune : 44% de celle-ci à moins de 15 ans. « Ce qui constitue soit un risque majeur vers une implosion sociale au cas où cette masse est mal maitrisée ; soit par contre une opportunité à saisir au cas où on tirerait profit du dividende démographique au moment où l’Europe et l’Asie sont vieillissantes » (Camercap-PARC, 2019). D’après l’Organisation Internationale du Travail (OIT), le Cameroun figure en deuxième place des pays ayant le plus fort taux de travailleurs indépendants avec un indice de 76,8%, derrière la Somalie, le pays le plus pauvre au monde.
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Les secteurs clés à travers lesquels l’Etat pourrait se positionner pour percer le mystère de l’emploi au Cameroun sont l’agriculture et l’économie numérique. Avec près de 7,2 millions d’hectares de terres arables, dont seulement 1,8 million d’hectares effectivement cultivés, le potentiel agricole regorge d’énormes opportunités. Le secteur agricole représentait, en 2017, 62.0 % du total des emplois (Pnud, 2018). Ce secteur se heurte aux contraintes d’accès à la terre. Il faudra lever les verrous et simplifier les procédures. Le même potentiel est visible dans le secteur des services notamment le numérique. En effet, d’après la Fondation africaine pour le renforcement des capacités en Afrique (Acbf), le Cameroun est considéré comme un pays ayant un « degré d’innovation élevé » avec un indice de 27,80 (ICA, 2019). Le secteur des services largement emporté par le numérique représente 28.7 % des emplois en 2017 (Pnud, 2018). Il est donc impératif de capitaliser sur le potentiel agricole et des Ntics pour lutter contre le chômage notamment en milieu jeune.
Une transition à haut risque vers la troisième République…
Sauf « glissement de date », les élections présidentielles se tiendront en octobre 2025. Le Président de la République, son Excellence Paul Biya, au pouvoir depuis 1982 et âgé de 87 ans aura donc 92 ans. Bien que légalement incontestable, sa réélection (victoire) pour le septième mandat, à la magistrature suprême en 2018, avec 71,28%, a été fortement contestée par une franche radicale de l’opposition. Situation qui a conduit le pays à une crise postélectorale donc les séquelles hantent encore à ce jour le climat social et politique du pays. Pour la présidentielle de 2025, trois scénarii se présentent. Le scénario de la continuité, le scénario de la transition apaisée et le scénario du blocus ou de l’imbroglio. Quel que soit l’hypothèse qui sera vécue, les indicateurs interpellent à un réel apaisement du climat politique. D’après le rapport 2019 du Think Tank Afrobaromètre, si 54 % de la population pensent être libres dans l’exercice de leur liberté d’opinion, il s’agit d’une liberté de façade notamment en ce qui concerne les sujets liés à la politique. L’étude nous renseigne que 74% (10ème sur 34) de la population reconnait être méfiant en ce qui concerne les sujets liés à la politique. La même impression est exprimée quand il est question d’adhérer à une organisation politique. En effet, 65% de la population déclarent être en danger en voulant s’engager dans une organisation politique. Cette situation influence leur confiance lors des échéances électorales. Interrogées sur la question « selon vous, à quelle fréquence dans ce pays est-ce que les populations doivent-elles faire attention à leur vote pendant les élections? », 69 % de la population déclarent faire preuve de prudence lorsqu’elles votent. Quelle que soit la nature des choses, le Cameroun passera de la deuxième République à la troisième voire la quatrième République d’ici à 2050. Il faut donc travaillé maintenant pour une transition apaisée.
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Pauvreté et inégalité sur une courbe ascendante
La persistance d’un taux de pauvreté élevé et l’accroissement des disparités entre populations urbaines et rurales continuent de creuser les inégalités au Cameroun. Le seuil de pauvreté du pays du Cameroun qui est passé de 40,2% en 2011 est estimé à 35,5% en 2018 très loin des 23% espérés par le pays en 2020 (projection Phase I du Dsce). En clair, la part de la population pauvre est estimée à 8,1 millions d’habitants avec des disparités importantes en fonction du milieu de résidence. Si le taux de pauvreté en zone urbaine a nettement diminué passant de 17,9 % en 2011 à 8,9 % en 2014, il a augmenté en zone rurale, où il est passé de 52,1 % à 56,8 % sur la même période. Au niveau du revenu final, où la valeur des services d’éducation et de santé en nature est comptabilisée, la réduction de la pauvreté et des inégalités a faiblement régressé ces dernières années avec des disparités relativement importantes. En zones urbaines, le niveau de pauvreté a baissé de 12 à 7 % entre le revenu consommable et le revenu final, et de 59% à 52 % en zones rurales. L’incidence de ce niveau de pauvreté a eu un impact légèrement plus marqué sur les inégalités en zones rurales, où le coefficient Gini est passé de 39 à 36, contre 36 à 35 en zones urbaines, reflétant la part relativement plus importante des revenus de ces services en zones rurales, généralement plus pauvres (FMI, 2018).
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Dans l’ensemble, entre 2011 et 2014, le coefficient d’inégalité a amorcé une courbe haussière, passant de 42,2 en 2001 à 46,6 en 2014. Cette contre-performance positionne le Cameroun parmi les pays où les inégalités demeurent supérieures à la moyenne des pays à faible revenu et à revenu intermédiaire de la tranche inférieure d’Afrique subsaharienne (FMI, 2018). En 2017, le coefficient d’inégalité de genre était de 34.2.
Le défi pour les gouvernants, au cours des prochaines années est de restaurer le contrat social. La persistance de la pauvreté et des inégalités exposent le Cameroun à des crises sociales profondes venant des couches vulnérables. Ceux qui gouvernent aujourd’hui ou aspirent à diriger le pays au cours des prochaines années doivent apporter, en urgence, des réponses à ces défis de développement afin de préserver l’unité nationale et de promouvoir le développement et le bien-être pour tous. Cela passe par la mise sur pied des politiques et institutions inclusives.
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