Le réquisitoire du géant Congelcam contre l’Etat et ses concurrents sur le marché des importations de poissons
Le poissonnier qui contrôle 80% du marché du poisson au Cameroun dénonce des pratiques concurrentielles déloyales, des privilèges généreux accordés à certains opérateurs de la filière et décrie l’institution de la taxe d’inspection sanitaire et vétérinaire par le ministère de l’Elevage, des pêches et des industries animales non sans minimiser l’impact de la mesure gouvernementale sur l’abaissement de 80% sur le fret maritime.
Au moment où les ménages subissent de plein fouet les affres de la vie chère imposée par les opérateurs des différentes filières de l’agroalimentaire et des denrées de grande consommation, l’un des opérateurs, Congelcam, justifie la conjoncture actuelle par l’explosion des coûts du fret maritime international qui a occasionné au passage une crise des containers, et l’augmentation de la demande internationale en poissons. Du coup, affirment l’entreprise dans son communiqué daté du 30 novembre 2021, le poisson se fait rare partout, et les prix flambent. «(…) la rareté du poisson à l’international, l’offre étant inférieure à la demande, impacte violemment les coûts de revient de nos différents produits», indique l’importateur.
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Après le contexte, l’opérateur met à l’index les surcoûts engendrés par la machine administrative à l’instar du Programme d’évaluation avant embarquement (Pecae) sous la supervision tutélaire du ministère des Mines et mis en œuvre par l’Agence des normes et de la régulation. «La levée de la suspension du Pecae sur le poisson frais importé, tout en augmentant davantage ces coûts de revient, prolonge nos délais d’approvisionnement et aggravent ainsi «notre risque pays», avec de fortes conséquences sur les stocks disponibles de nos produits», s’inquiète l’opérateur. Qui poursuit : «les tracasseries engendrées par ce Programme superflu sur le poisson empêchent certains fournisseurs à accepter la destination Cameroun». De plus, soutient le chargé de la communication de l’opérateur, «le Pecae ne représente même pas 10Fcfa sur un carton de poisson par rapport aux 400% induits par la crise des containers ».
Au-delà de ces aspects, l’importateur, par la voix de son chargé de la communication, Flavien Kankeu, justifie sa sortie par des allégations persistantes sur un soutien de l’Etat dont bénéficierait l’opérateur, l’abus de position dominante et une volonté questionnable de spéculer dans le but de contrôler seul le marché du poisson.
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«Les multiples sorties intempestives de certains individus annonçant un éventuel appui du gouvernement à Congelcam, les déclarations selon lesquelles on détiendrait le monopole alors qu’il y a au moins sept concurrents et donner des assurances que malgré tout nous avons pris des dispositions pour ravitailler le marché local, voilà ce qui motive notre sortie », explique Flavien Kankeu. Parlant des concurrents, le poissonnier pointe les avantages généreux dont bénéficient certains de la part de l’Etat.
«La société Foods and Fish Industries Cameroun SA, créée en 2018 pour les besoins de la cause, bénéficie toute seule de l’Avis technique ou d’une autorisation d’importation du ministère de l’Elevage, des pêches et des industries animales (Minepia), de Tilapia (kanga) depuis cette date, tandis que Queen Fish est seule entreprise autorisée par le même Minepia, à importer les découpes de la viande de porc depuis plus de neuf ans. Ces deux entreprises appartiennent au même opérateur économique qui a l’exclusivité de ces deux produits pourtant interdits d’importation sur notre territoire, alors même que nous avons tout fait auprès du Minepia pour avoir aussi l’autorisation d’importer ces produits, sans succès», assène le poissonnier.
Au ministère de l’Elevage, les responsables reconnaissent effectivement avoir donné à certains opérateurs des Avis techniques pu autorisations d’importer les produits incriminés. «Tout d’abord, le Cameroun a ratifié les règles de l’OMC qui consacrent le libre-échange. Du coup, on ne peut pas interdire les importations de découpes de viande de porc ; il n’y a donc pas un texte spécifique, formel, interdisant les importations de découpes de porc; autre chose, il y a une clientèle qui préfère les viandes de leurs pays raison pour laquelle dans certaines grandes surfaces, on voit en quantité négligeable ces viandes importées», explique-t-on à la direction des productions animales.
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Pourtant, le gouvernement a suspendu depuis 2006 les importations de poulets et de porc congelés pour protéger la santé des populations mais aussi pour développer les filières locales. Avant cela déjà, le 1er janvier 2005, les autorités ont levé l’exonération de TVA dont bénéficiaient ces viandes et ont ajouté deux autres taxes supplémentaires. «C’est la contrebande qui sévit dans ce milieu qui favorise les entrées sur le marché de ces produits parce que selon les règles de l’OMC, le Cameroun ne peut pas interdire les importations ; mais, pour importer, on doit avoir une autorisation ; du coup, on n’accorde pas ces autorisations pour favoriser les producteurs locaux : et puis comme je vous disais, il y a des ressortissants de certains pays étrangers qu’il faut satisfaire. Donc il y a des autorisations de moindre amplitude à ce niveau pour ce type de clientèle», se défend-on au Minepia.
Sans démentir le monopole sur les importations de tilapia accordées à certains opérateurs de la filière dont deux entreprises appartenant à un membre du gouvernement, le Minepia excipe la position dominante de Congelcam sur le marché du poisson au Cameroun. «Congelcam a eu une Avis technique d’importation de poisson qui lui donne le contrôle de 80% du marché du poisson au Cameroun. En 2020, cette société a importé 180 mille tonnes de poissons. Pourquoi ça leur fait mal qu’on accorde des autorisations aux autres sur le tilapia par exemple. Si le ministre, qui donne l’Avis technique et fixe les quantités ne répond pas favorablement, ça veut dire que la demande n’est pas conforme. Du coup, pas d’autorisation», précise-t-on au ministère de l’Elevage où l’on pointe du doigt une volonté de vouloir opérer un passage en force pour augmenter de nouveau les prix du poisson.
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« Faux ! », rétorque le poissonnier. «Notre entreprise citoyenne continuera, comme par le passé, à faire tout ce qui est en son pouvoir pour approvisionner régulièrement notre marché avec un niveau de prix publics acceptables. Nous avons pris des dispositions et des mesures nécessaires pour maintenir le même niveau de stock, en quantité et en qualité, jusqu’au mois de février 2022, voire au-delà, et ceci aux prix actuels.»
Queen Fish, Soacam, Green Sea, Zumi, Florida, La Grâce de Dieu, Nico, Aqua Mar, etc… sont entre autres opérateurs de la filière établis dans la filière rappelle Congelcam, et qui commercialisent de nombreuses espèces introuvables sur les côtes camerounaises chiches en poissons bon marché. Toutes ces sociétés acquittent la taxe d’inspection sanitaire et vétérinaire (Isv) dont la valeur est de 3% du coût total des cargaisons importées. «Cette taxe hors loi des finances plombe le développement de l’activité et devrait être supprimée. Elle n’a pas sa place d’autant plus que depuis des années elle nous est imposée sans qu’on ne sache sur quoi elle se base», tempête Flavien Kankeu.
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«La taxe d’inspection sanitaire et vétérinaire est une taxe bel et bien inscrite dans la loi des finances 2022 et elle existe depuis 1989 au Cameroun», précise-t-on au Minepia. En effet, c’est la loi N° 2000/017 du 19 Décembre 2000 portant réglementation de l’inspection sanitaire vétérinaire qui l’encadre. En son article 10, alinéa (1), il est précisé : «les opérations d’inspection sanitaire vétérinaire donnent lieu au paiement d’une taxe de service dont le taux est fixé par la loi de finances. A l’alinéa (2), le texte précise qu’«un décret du Premier ministre détermine les modalités de perception de cette taxe».
«Si on annule la taxe d’inspection sanitaire et vétérinaire que perçoit et manage le Minepia seul, le prix du poisson va baisser ; car c’est au moins trois milliards de Fcfa qu’on leur verse chaque année sans trace», plaide Congelcam.
Simon Pierre Mbarga