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Investissements : pourquoi l’Etat va nationaliser Neo Industry

Selon les informations de EcoMatin, le gouvernement aurait déjà pris l’option de faire échec au projet de SCB Cameroun, de prendre le contrôle de l’usine de Kekem. Lire l’enquête de EcoMatin et l’interview exclusive de Patrice Yantho, le Conseil en investissement qui a conçu et monté le projet de cette usine.

Depuis plusieurs semaines, Emmanuel Neossi est dans la tourmente. Contre ce serial entrepreneur multi-médaillé, «canonisé» il y a moins de deux ans par le gouvernement qui le présentait alors comme la figure de l’entrepreneuriat national dont le Cameroun a besoin pour porter ses rêves d’émergence, les dieux semblent s’être ligués. Plus une semaine ne passe, sans que son nom ne soit associé à un scandale d’affaires… Mais on doit à la vérité d’écrire, avant d’y venir, que le talent entrepreneurial de cet homme d’extraction sociale et professionnelle modeste est si rare qu’il a suffi, presqu’à lui seul, à lui forger une trajectoire hors-normes, le turbo-portant en quelques décennies de petit planteur dans la bourgade de Kekem (Ouest du Cameroun) à PDG d’un des groupes les plus diversifiés (agriculture, agro-industrie, immobilier, transit…) et les plus importants du Cameroun. Une des meilleurs et des plus inspirantes «Succes story» du Cameroun des dernières décennies, dont l’industrie cinématographique nationale, au moins, serait bien inspirée de se saisir.

Las…le broyeur de fèves qu’il a décidé d’installer dans son village (qu’il a offert à son village, persiflent certains pour souligner une des limites stratégiques de sa décision) depuis vingt mois n’arrive pas à honorer les traites de ses créanciers, au point que l’un d’eux, SCB Cameroun, qui détient jusqu’à 80% des 50 milliards FCFA d’engagements du système bancaire dans le financement du projet et de l’usine, a récemment et publiquement fait part de sa décision de procéder à un recouvrement forcé de ses créances, en démantelant purement et simplement l’usine.

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Pressée par la Commission bancaire de l’Afrique centrale (Cobac) de provisionner ce passif désormais requalifié en créances douteuses, la filiale locale du banquier marocain Attijariwafa Bank aurait, sur la base d’informations crédibles obtenues par EcoMatin, opté pour la prise de contrôle et l’exploitation de l’outil de production pour rentrer dans ses frais. L’annonce y relative publiée sur son site Web et dans la presse nationale, y compris dans votre journal, hâtivement considérée comme une faute professionnelle (tant les conséquences pour son client seront massives et même irréversibles) et ce quelque pertinentes en fussent les raisons, procédait, à la réalité, d’une première communication, avec valeur de test public, sur une stratégie plus globale qui vise à prendre le contrôle de l’entreprise défaillante.

Insuffisances managériales

Étroitement, cette conjoncture mérite quelques constats: si les capacités de Neo Industry à traverser sa «Death Valley», cette période de deux à trois après le début de l’exploitation dont la létalité est particulièrement forte pour les entreprises, sont si contrariées, c’est d’abord et surtout en raison des insuffisances managériales de son promoteur : construire une unité industrielle aussi puissante (les capacités annuelles de production du broyeur de Kekem se montent à 32 000 tonnes l’an) sans en avoir au préalable garanti l’approvisionnement autonome et suffisant en matière première ; décider d’aller installer une usine dont la production est destinée à l’exportation à Kekem, loin des bassins de production de sa matière première, mais surtout à l’autre bout des ports d’évacuation (Douala et Kribi) dans un pays dont les actifs en matière de capital physique (en particulier les routes) restent fragiles ; entre autres, ne furent pas les décisions les plus pertinentes pour garantir la compétitivité de cette unité industrielle, et donc sa rentabilité, et donc sa capacité à rembourser ses créanciers. Pour ses prêteurs et principalement SCB Cameroun, s’engager aussi massivement dans un projet et une entreprise qui réussit à totaliser 18 mois de traites non réglées en 20 mois d’exploitation ne peut signifier qu’une seule chose : le dossier de crédit du client avait été très légèrement étudié. Reste à savoir pourquoi. La pratique, dans le système bancaire camerounais, n’étant guère nouvelle, des motivations intéressées et illégales de certains banquiers ne sont pas à exclure…Les instances de contrôle et de régulation internes (à SCB Cameroun notamment) et externes éclaireront, à la lumière de leurs enquêtes, les conditions particulièrement questionnables d’octroi de ces crédits.

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Plus largement, ce dont le «Neo Industry gate» est la chronique actualisée, ce sont les échecs répétés du Cameroun, et de manière plus particulière et sans doute plus provocatrice, du Renouveau, de mouler, de forger et de se doter d’industriels et d’hommes d’affaires d’envergure continentale et même mondiale, ces fameux «champions nationaux».

Sens de responsabilité

Dès lors, l’enjeu de cette conjoncture devient simple : se refuser à voir les seuls intérêts camerounais dans un marché que se disputent les intérêts ivoirien (Atlantic Cocoa Corporation) et belgo-suisse (SIC Cacaos), dépérir ou passer sous contrôle étranger. Et on met le doigt sur la responsabilité du gouvernement dans ce dossier : c’est lui qui s’était engagé, il y a 10 ans, dans le cadre du Document de Stratégie pour la Croissance et l’Emploi (engagement renouvelé dans le cadre de la Stratégie Nationale de Développement, la SND30, qui couvre la décennie en cours) avec raison, à inscrire l’économie camerounaise dans un processus de transformation structurelle qui rééquilibrerait la distribution du PIB-actuellement dominée par le secteur tertiaire-en faveur du secteur industriel, plus capable de fournir au pays des emplois décents et de la valeur ajoutée. C’est lui qui a décidé d’engager, au titre d’un accompagnement résolu et multiforme, d’importantes ressources publiques, dans la transformation du projet de Emmanuel Neossi en entreprise. Laisser celle-ci mourir manquerait de cohérence, et de sens de responsabilité.

«Malgré son silence, le gouvernement est informé et très conscient de tous les enjeux autour de cette affaire. Et il travaille, certes de manière discrète à sauvegarder au mieux les intérêts du pays», assure une source de EcoMatin. Qui poursuit : «Le dossier est cependant délicat au moins pour deux raisons: d’abord en face de Neo Industry, il s’agit des intérêts marocains, et il ne vous a pas échappé qu’au cours des dernières années, ces intérêts sont devenus très importants et influents car ils ont en quelque sorte «infiltré» l’appareil de l’Etat. Deuxièmement, des informations émanant de certaines officines influentes dans l’establishment font état depuis des années de ce que certains membres du gouvernement auraient procédé à des prises d’intérêt dans le groupe de Emmanuel Neossi et en particulier dans l’usine de Kekem. La véracité desdites informations reste à établir, mais, depuis le déclenchement de cette affaire, des forces contraires se sont mises en branle, de manière formelle et informelle, au sein du régime. Ce qui a retardé ou compliqué l’actualisation d’une démarche unique, cohérente et pertinente. Aujourd’hui c’est chose faite. Des discussions avec les différents protagonistes sont en cours. Et l’option d’une intervention de l’Etat pour sauver et restructurer l’entreprise est acquise. Reste maintenant à en arrêter les modalités. Je peux cependant vous dire que la nationalisation est l’option la plus partagée à cette heure. Et de mon point de vue c’est sans doute la plus pertinente au regard de la situation».

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« Tous les acteurs doivent négocier » Par Patrice Yantho, conseil en investissement qui a conçu et monté le projet de l’usine de Kekem

Il y a quelques jours, SCB Cameroun a publié sur son site et fait publier dans des journaux locaux un avis d’appel d’offres pour le recrutement d’un expert en montage des usines afin de démonter les équipements d’une unité agro-industrielle à Kekem, localité située dans la région de l’Ouest du Cameroun. Le rapprochement avec l’usine de Neo Industry a très vite été fait. Que vous inspire cette situation ?

D’entrée de jeu je tiens à préciser que j’ai été, comme beaucoup de Camerounais, surpris par cette publication, qui est peu orthodoxe dans la pratique de recouvrement sur la place bancaire nationale. Forcément, on s’est posé des questions sur les causes, les raisons et les objectifs visés par une telle publication. Je dois ensuite le dire de manière claire: l’usine de Kekem est l’aboutissement d’un bon et beau  projet porté par un entrepreneur visionnaire. Mais aujourd’hui, ce projet dépasse son promoteur. Il s’agit d’un fleuron de l’industrie nationale, qui contribue significativement à l’équilibre de la balance commerciale du pays, qui contribue à structurer l’agriculture du Cameroun, qui offre des emplois directs et indirects, qui de manière globale, contribue significativement à la promotion du «Made in Cameroon» et à l’inscription de notre pays dans l’économie mondiale. Pour réfléchir sereinement à cette affaire, il faut parvenir à séparer la personne physique, M. Neossi Emmanuel, de la personne morale qui est Neo Industry.

Je rappelle aussi que les entreprises ont des cycles de vie. La vie des entreprises suit une trajectoire qui ressemble à la courbe de Gauss. Durant les deux à trois premières années, baptisée «vallée de la mort» en raison du fort taux de mortalité des entreprises, la survie est difficile et même critique. Neo Industry vient seulement de dépasser le cap de sa première année. Il est de ce point de vue compréhensible qu’elle rencontre d’énormes problèmes. Et chacun de ces problèmes est une opportunité pour améliorer son équilibre et sa performance.

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Enfin, il me plaît de rappeler que c’est l’Etat qui, dans sa stratégie de développement économique du pays, a toujours incité et encouragé les investissements dans la transformation locale de nos matières premières et en particulier le cacao, qu’il s’agisse de Neo Industry ou des autres usines. C’est l’Etat qui les a toujours soutenus. On ne peut donc pas se permettre de publier un tel communiqué, qui, à en juger par le buzz qu’il fait dans les réseaux sociaux, aura un impact préjudiciable à la bonne marche de l’entreprise, notamment dans ses relations avec partenaires, ses créanciers, ses fournisseurs et offtakers. Ce qui fait de cette publication un fait fautif préjudiciable au service de la dette de l’entreprise. Il y a donc, de mon point de vue, matière à faire appel à la retenue, au calme et aux négociations pour une exploitation sereine de l’usine. C’est le seul moyen de préserver les emplois, d’améliorer le niveau de vie des producteurs de cacao, d’améliorer la balance commerciale du pays, l’équilibre financier de l’entreprise et des prêteurs.

Cette évolution tend à remettre en cause le modèle économique de cette usine. Est-elle viable selon vous qui y avez travaillé dès le projet ?

Un conseil de mon niveau est astreint à une obligation de réserves. Mais puisqu’il s’agit d’un sujet public et de faits plus ou moins connus, je peux vous confirmer que nous avons travaillé à monter et structurer ce projet, dans les toutes premières heures, en obtenir les autorisations, réaliser les études de base, choisir même l’usine et dimensionner cette unité. C’est nous qui avons conduit les négociations d’achat de cette usine en Suisse chez l’équipementier Bühler. Nous avons arrêté de travailler sur ce projet au moment des opérations de levée de fonds. Donc nous connaissons ce projet depuis ses premières heures. Je peux donc vous dire, et je mets quiconque au défi de démontrer le contraire, l’usine de Kekem est économiquement viable car elle est le produit d’un bon projet. C’est même un projet formidable qui rend notre pays fier. Ce n’est pas là qu’il faut chercher le problème, mais plutôt dans l’efficience, l’efficacité et la pertinence des synergies opérationnelles entre les acteurs de l’exploitation en adéquation aux prévisions de bases.

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Qu’y a-t-il lieu de faire maintenant pour sauvegarder l’essentiel ?

S’agissant d’abord de l’Etat, l’importance d’une entreprise comme Neo industry, et toutes les autres usines de transformation locale n’est plus à démontrer pour la réduction  du déficit de de la balance commerciale, la contribution à la constitution de nos réserves de changes pour nos opérations de commerce international, la transformation locale de nos matières premières, l’offre d’emplois directs et indirects et la contribution aux charges publiques à travers l’impôt. L’Etat a l’obligation et le devoir de continuer de soutenir Neo Industry. C’est le lieu pour moi d’exhorter le Premier ministre chef du gouvernement, les ministres sectoriels concernés de mettre en urgence un cadre de concertation entre l’Etat et les différents broyeurs pour garantir la performance durable de ces industries, le maintien des emplois qu’elles créent et leurs impacts multiformes sur l’économie et la balance commerciale du Cameroun.

S’agissant des banques, il importe de rappeler que leur rôle est primordial dans toutes les phases du cycle de vie d’une entreprise et d’un projet. Après l’investissement, c’est le moment de faire face à la gestion et l’exploitation de l’entreprise. Tout acte, tout fait fautif de la banque ou d’une autre partie est susceptible d’avoir des conséquences lourdes sur l’exploitation paisible de l’entreprise financée, le service de la dette et le retour sur investissement. En toute circonstance, il faut donc de la mesure, surtout lorsque la relation banque-client reste active. Le financement de l’investissement et de l’exploitation sont essentiels pour que le service de la dette soit honoré. L’usine Neo Industry est en phase d’exploitation, il faut que l’exploitation et la gestion honorent le service de la dette. Il faut donc se mettre autour d’une table pour se concentrer sur la production qui reste la source première de remboursement du projet, et trouver les meilleures options pour l’entreprise et non pour le projet qui est bel et bien réalisé.

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S’agissant du promoteur de Neo Industry, je tiens à lui dire que c’est le moment d’être fort et de travailler, de ne plus communiquer et de rentrer à l’usine, de se faire accompagner par de bons experts et des partenaires de qualité pour une restructuration globale réussie car la maladie n’est pas la mort. Et quelque soit le niveau de problèmes, il y a des solutions. Son usine a besoin de cacao, de la bonne maintenance pour tourner et des acheteurs qui n’aiment pas le bruit, mais les produits de qualité. M. Neossi a réalisé son rêve. Il a inspiré beaucoup d’autres entrepreneurs. C’est que qu’on attend des leaders.

Quant aux équipes de Neo Industry, elles ont réussi à réaliser un projet formidable. Maintenant, il faut faire fonctionner une entreprise industrielle et la rendre performante de manière durable. C’est un challenge différent, avec ses contraintes et ses défis, et dont la gestion de l’endettement fait partie, car il faut retourner à l’équilibre post-endettement et elles ont besoin de gagner ce nouveau challenge, même s’il faut passer par une restructuration. La banque ne démontera pas cette usine si la crise est bien gérée. Il faut donc se mettre résolument au travail.

Enfin, la compétition entre entreprises a un coût bien souvent sous-estimé, alors que la collaboration cumule les avantages. Neo Industry gagnerait, avec les autres broyeurs locaux, à mettre sur pied une plateforme de collaboration car leur marché est international. Elles survivront mieux avec des synergies opérationnelles aussi bien au niveau de l’approvisionnement en fèves sur le marché local, que dans la vente des produits issus des usines à l’international. Il s’agit du cacao d’origine camerounaise et nous y avons tous intérêt : l’Etat, les producteurs, les employés et les autres acteurs directs et indirects.

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