Grève des avocats : péril sur les procès d’affaires en référé
Les grands groupes internationaux installés au Cameroun, les établissements publics, les entreprises privées ou parapubliques dont les dossiers sont pendant en urgence dans les Cours et Tribunaux du territoire national subiront de plein fouet l'arrêt de travail projeté par les avocats du Cameroun. Des milliards de FCFA menacés de compromission.
Le principal point inscrit à l’ordre du jour de la session de l’Ordre des avocats au Barreau du Cameroun portait, le 31 août 2019, sur «les questions relatives à l’entrave à l’exercice professionnel et aux atteintes physiques contre les avocats», d’après la résolution rendue publique au terme de cette concertation convoquée par Charles Tchakoute Patie, le Bâtonnier de cet ordre. L’Ordre constate dans ladite résolution, «….que très souvent, le libre accès des avocats à leurs clients dans les lieux de détention leur est refusé »: citant le secrétariat d’Etat à la Défense, les commissariats de police, les brigades de gendarmerie et les prisons. Il constate «que les droits de la défense consacrés par les lois et les traités internationaux ratifiés par le Cameroun, sont de manière récurrente violés tant à la phase d’enquête préliminaire qu’à celle d’instruction de jugement». Notamment, énonce la résolution, «l’audition et conduite des débats dans les langues autres que celles des personnes poursuivies, la comparution nue des détenus aux audiences publiques, l’obtention des aveux par la torture et le dol, la détention illégalement prolongée, la transformation illégale des gardes à vue judiciaire en gardes à vue administratives, les situations de maintien abusif en détention malgré les décisions de mise en liberté, la non réponse à certaines requêtes des avocats, refus de délivrer des décharges laissant traces écrites de correspondances».
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Le Barreau constate encore «l’exigence des frais de justice abusifs», notamment, d’après l’Ordre, «la consignation aux taux disparates et illégaux, ainsi que les frais de transports judiciaires exorbitants». Le Conseil fustige par ailleurs, «l’accaparement des dossiers par certains chefs de juridictions ( Tribunaux et Cours), créant ainsi un engorgement artificiel à l’origine des lenteurs judiciaires inacceptables», «que malgré les dénonciations antérieures, les avocats continuent d’être victimes d’interpellations et détentions arbitraires dans l’exercice de leur ministère, au sein de certaines unités de gendarmerie et de police», «la récurrence des violences physiques sur les avocats par les éléments des forces de l’ordre ».
Plus inquiétant, les procès d’affaires pour la plupart enrôlés en procédure de référé, subiront incontestablement les effets néfastes de cet arrêt de défense des avocats.
Faits que, Me Charles Tchakoute Patie, Claire Atangana Bikouna, Suzanne Evelyne Tam Bateky, Gladys Fri Mbuyah epse Luku, Nzoh Divine Mboke, Benjamin Enow Agbor, Pierre Robert Fojou, Raphaël Deugoue, Souleymanou Mohamadou, Mbah Eric Mbah, Sylvain Souop, Daniel Blaise Ngos et Nche Akum Michael, signataires de la résolution, condamnent «une fois de plus». Après près de trois heures de session, le conseil de l’Ordre des avocats au Barreau du Cameroun décide de «la suspension du port de la robe et de la non-fréquentation des Cours et Tribunaux sur toute l’étendue du territoire», ce, pendant 5 jours, du 16 au 20 septembre 2019 prochain. Le mouvement de grève des avocats du Cameroun pourrait d’ailleurs prendre d’autres formes au terme de celui du 16 septembre à venir: «…à l’expiration de cette période, d’autres mesures pourraient être prises, s’il y a lieu», prévient l’Ordre.
Les juridictions de Droit traditionnel, Les tribunaux de première instance, les tribunaux de grande instance, les tribunaux militaires, les cours d’appel, ou encore le Tribunal criminel spécial (Tcs) devraient par conséquent fonctionner au ralenti. Plus inquiétant, les procès d’affaires pour la plupart enrôlés en procédure de référé, subiront incontestablement les effets néfastes de cet arrêt de défense des avocats. Nos tribunaux regorgent pourtant en grand nombre, d’importants litiges impliquant les opérateurs économiques, les sociétés privées, parapubliques, publiques, les établissements publics, les grands groupes internationaux. Litiges aux enjeux financiers vertigineux : cas par exemple de l’affaire société Apm Terminals B.V et Bolloré S.A contre le Port Autonome de Douala (Pad) sur la concession du Terminal à conteneurs du Port de Douala Bonaberi.
Triyah Swebu: « L’impact sera très négatif non seulement pour les opérateurs économiques, les investisseurs étrangers… »
L’opérateur économique revient sur les conséquences de la mise en œuvre de la grève des avocats sur le plan économique.
Que pensez-vous de la grève annoncée des avocats du Cameroun en votre qualité d’opérateur économique ?
L’actualité du Cameroun depuis un moment est dominée par un climat social qui paralyse le système économique de notre pays. Nous sommes encore en train de payer le prix d’un mouvement social enclenché par le corps judiciaire de notre pays le Cameroun à la fin de l’année 2016. Avant de vous donner ma pensée à cette autre menace de grève lancée par les avocats du Cameroun, permettez-moi de vous rappeler qu’un système judiciaire s’appuyant sur une justice impartiale et de qualité est facteur d’une bonne santé économique. Aucun entrepreneur ne peut prospérer dans un environnement qui ne présente pas ces caractéristiques-là. L’avocat est celui qui accompagne chaque étape du développement d’une Entreprise dans une économie. Le corps des avocats, les médecins, les enseignants sont des corps typiquement indispensables dans une économie. La grève annoncée par les avocats vise justement à accomplir une mission inachevée par les grévistes de 2016. Ils sont en quête à travers ce mouvement, d’un véritable changement de notre système judiciaire. Rappelez-vous que la fameuse crise dit anglophone au Cameroun qui met en mal notre vivre ensemble et paralyse depuis plusieurs années notre système éducatif et juridique surtout celui de la partie anglophone de notre pays avait débuté par les avocats et enseignants.
Quel impact ce mouvement peut-il avoir sur les dossiers d’affaires en instances?
En ma qualité d’opérateur économique, je pense que la croissance économique du Cameroun est conditionnée par la bonne santé des Petites et Moyennes Entreprises et pour ce fait, il faut un accompagnement quotidien des juristes et pratiquants du droit. Aucun investisseur ne peut engager des projets dans un pays sans tenir compte de la situation politique, économique, sociale, technologique et surtout judiciaire. Nous avons déjà une situation politique, économique et sociale qui est au point rouge, comprenez que si le ministre de la Justice et le gouvernement en place ne mettent pas un mécanisme visant à étouffer le dit mouvement en préparation croyez-moi que l’impact sera très négatif non seulement pour les opérateurs économiques, les investisseurs étrangers et même des consommateurs de services et de biens pour les raisons que nous traversons en ce moment une crise financière et économique à cause d’une balance commerciale qui est négative entre le Cameroun et les pays européens. Aujourd’hui, il est pratiquement impossible d’importer un produit ou un service de l’étranger pour manque de devises, le pouvoir d’achat reste faible, les salaires n’augmentent pas.