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Fusion Gicam-Ecam: André Siaka rompt le silence (interview exclusive)

Accusé de tirer dans l’ombre les ficelles pour positionner un fidèle à la tête de la première organisation patronale du pays, l’ancien patron des brasseries du Cameroun, qui a présidé aux destinées du patronat camerounais pendant 15 ans, donne pour la première fois et ouvertement son avis sur la fusion entre le Gicam et Ecam (Entreprises du Cameroun).

Monsieur le Président, l’actualité économique au Cameroun a récemment été dominée par la fusion annoncée entre le Gicam et Ecam. Votre nom a même été évoqué dans ce qui peut apparaître comme une guerre de positionnement au sein du Gicam, tant des camps se sont formés. Mais, vous êtes resté silencieux alors même qu’est en jeu l’avenir de la principale organisation patronale du pays, dont vous avez contribué à forger la respectabilité. Maintenant que vous avez accepté de parler, quelle est votre position en ce qui concerne la fusion dont le traité a été signé le 5 avril 2023 à Douala ?

Je vous remercie de l’opportunité que vous m’offrez de m’exprimer sur le projet de rapprochement entre le Gicam et Ecam. Je suis resté jusqu’ici silencieux pour prendre le temps de bien mesurer les enjeux et comprendre les motivations de chaque partie.

L’annonce du rapprochement Gicam-Ecam a été unanimement saluée par la classe économique dans son ensemble, et sans nul doute par une bonne frange de l’opinion. En effet, la défense des intérêts du secteur privé et, d’une manière générale, la promotion de l’économie nationale, serait mieux assurée si toutes les forces qui œuvrent dans ce sens étaient regroupées au sein d’une même organisation patronale.

Alors que le processus de ce rapprochement suivait son cours, des voix discordantes se sont élevées, les unes pour encenser, les autres pour dénoncer une initiative annoncée à grands renforts de publicité. Dans un emballement médiatique dont le monde des affaires se serait bien passé, tout ou presque a été dit avec au passage des invectives, des insinuations, des quolibets voire des attaques personnelles, qui ont révélé au grand jour des manquements sur les plans de l’éthique et de la gouvernance.

Ces manquements, s’ils ne sont pas corrigés rapidement, risquent de jeter le discrédit sur le Gicam, organisation dont la respectabilité est unanimement saluée tant dans l’écosystème national qu’à l’international. Dans un contexte où des interrogations fusent de toutes parts, et compte tenu de mon attachement historique à cette organisation, j’estime que je ne pouvais garder indéfiniment le silence malgré le devoir de réserve que je me suis imposé depuis que j’ai quitté la présidence du Gicam.

Vous évoquez des manquements aux plans de l’éthique et de la gouvernance. Commençons par les considérations éthiques ?

L’éthique professionnelle est une garantie de transparence à l’égard du grand public et de la communauté à laquelle on appartient. Cette démarche morale incarne des valeurs que le Gicam a de tout temps, non seulement prônées, mais également appliquées. A cet effet,, et compte tenu des différentes étapes du processus d’une fusion entre le Gicam et Ecam, la cérémonie du 5 avril 2023 m’a semblé questionnable au moins sur deux aspects : Premièrement, par respect pour les adhérents, il aurait été plus honnête et juste de parler d’un « Projet de traité de fusion », point de départ d’un processus codifié. En second lieu, le parterre et la stature des personnalités conviées à la cérémonie du « Traité de fusion », notamment le gouverneur de la région du Littoral, le représentant de l’OIT (Organisation internationale du travail), un conseiller spécial du Premier ministre, laissent croire que la fusion est déjà actée et que le reste du processus n’est que simple formalité. J’ai peur qu’il ne puisse s’avérer un jour que ces personnalités ont été abusées, la charrue ayant été mise avant les bœufs. Ce qui serait vraiment dommage.

Également sur le plan éthique, nos partenaires, notamment de l’administration publique, nous observent. Comme vous le savez, le Gicam a parfois pris des positions, dont certaines très incisives, sur des questions d’intérêt national. De quoi aurions-nous l’air si nous étions pris en flagrant délit de ce que nous reprochons aux autres ? Nous cesserions d’être crédibles.

Qu’en est-il des considérations en matière de gouvernance ?

A priori, l’annonce d’une fusion entre le Gicam et Ecam aurait fait penser à une absorption de la seconde par la première, compte tenu du poids et du niveau de représentativité de chacune des deux organisations. Mais à l’arrivée, ce qui est présenté est une fusion-création, entraînant ainsi la dissolution du Gicam qui va, de ce fait, se fondre dans une nouvelle organisation.

Curieusement, lors de son investiture le 29 juin 2017, le président actuel du Gicam déclarait : « l’exigence de rassemblement nous imposera de ne ménager aucun effort pour réunir et fédérer tous les patrons au sein de la maison commune qu’est le Gicam… D’ores et déjà, nous tendons officiellement la main à ceux qui, pour une raison ou une autre, ont tourné le dos à notre groupement ». Virage à 180° ou oubli ?

Par ailleurs, puisque le traité signé le 5 avril 2023 annonce sans ambages la mise en place « d’une nouvelle centrale patronale unifiée » entraînant d’office la dissolution du Gicam, une question de fond se pose : Qui a qualité pour décider de la dissolution de cette organisation ?

La réponse est sans équivoque : Ni le président, ni le Conseil d’administration n’ont compétence pour poser un tel acte qui relève du pouvoir exclusif de l’Assemblée générale extraordinaire des membres après consultation pour avis de conformité du Comité des sages.

Ensuite, d’après le Traité de fusion signé le 05 avril 2023, « …les administrateurs des deux structures ont convenu de constituer dorénavant une structure unifiée, objet du présent Traité, qui sera entériné par les délibérations de leurs Assemblées Générales extraordinaires respectives ». Et, dans une lettre non datée adressée au Président du Comité des sages, le président du Gicam indique que la décision de fusion a été prise « à l’unanimité par le Conseil d’administration du Gicam » ; or, le Conseil d’administration tenu le 5 mai 2023 s’est terminé dans la discorde, des membres dudit Conseil ayant émis des réserves voire marqué leur opposition au Traité de fusion. Une autre session du Conseil d’administration a d’ailleurs été convoquée pour le 30 mai 2023.

Enfin, dans ce schéma, l’Assemblée générale du Gicam, l’organe suprême et souverain du Groupement, devra se réduire à donner une caution juridique (entériner) à cet acte élaboré sans son accord et sans sa consultation. Le Conseil d’administration devient de fait l’organe suprême du Gicam donc au-dessus de l’Assemblée générale transformée en simple chambre d’enregistrement.

S’agissant du Comité des sages que vous mentionnez et dont vous êtes membre, il s’est réuni le 25 mai suite à la saisine du président du Gicam ?

Effectivement, le Comité des sages s’est réuni le 25 mai. Vous comprendriez que je ne puisse pas dévoiler le contenu des délibérations. En conclusion de la réunion, le Comité demande au président et au Conseil d’administration du Gicam, de surseoir à la poursuite de cette opération de fusion, jusqu’à ce que les conditions de forme et de fond soient réunies, et cela dans le sens des meilleurs intérêts de notre organisation.

M. le président, vous semblez militer plus pour une fusion-absorption ?

L’histoire des entreprises ou des organisations abonde de cas de fusions ayant abouti à la création de nouvelles entités. Mais à quelles conditions?

Dans l’acte signé le 05 avril dernier et des communications qui s’en sont suivies, de nombreuses informations ont été diffusées sur les poids respectifs des deux organisations : d’une part, côté Gicam, date de création : 1957 (66 ans), nombre de membres : 1000 adhérents dont 27 associations professionnelles, poids économique : 74,9% du Chiffre d’affaires des entreprises modernes, 73,8% des recettes fiscales de l’État et 185 426 employés et représentation : siège au sein de 56 instances et plateformes de dialogue. D’autre part, côté Ecam, date de création : 2009 (14 ans), nombre de membres : 400 et poids économique : RAS. Mais en réalité, cette organisation compterait à ce jour 49 membres dont 22 à jour de leurs obligations au 31 décembre 2022. Côté Gicam, lors de la dernière Assemblée générale élective tenue le 16 décembre 2020, seulement 223 votants avaient été enregistrés.Malgré cette revue à la baisse du nombre des adhérents, le déséquilibre entre les 2 organisations est patent.

Une fusion devant être motivée par le désir d’un renforcement mutuel, même si l’on fait l’impasse sur le déséquilibre du nombre d’adhérents, les membres du Gicam sont en droit de se demander ce qu’apportera concrètement au Groupement le mouvement Ecam pris comme organisation. En matière de patrimoine, le Gicam dispose d’actifs et d’un immeuble situé en plein cœur de Bonanjo pouvant être valorisé à plusieurs milliards de F CFA. Après 15 ans d’existence, peu de personnes peuvent aujourd’hui indiquer où se trouve le siège social de ECam. Dans le domaine de la gouvernance, l’expérience d’Ecam, loin de pouvoir constituer un acquis, est loin d’être exemplaire, pour ne pas dire plus. Sa dernière Assemblée générale, par exemple, remonterait au 25 février 2021. Et si cet exemple était transposé à la nouvelle Centrale patronale devant résulter de la fusion, il s’agirait d’un bond en arrière de plusieurs décennies pour le Gicam, groupement qui se distingue par la régularité du fonctionnement de ses instances de gouvernance.

Comment sortir de cet imbroglio qui, comme vous l’avez dit, déteint sur la respectabilité du Gicam et du secteur privé camerounais en général ?

Faut-il le rappeler, le Gicam a 66 ans d’existence et le chemin parcouru a été jonché de défis que les pères fondateurs et les générations actuelles ont su et pu relever grâce au travail acharné de tous, ce qui a permis de faire du Gicam plus qu’une organisation, mais une véritable institution dans l’écosystème économique camerounais et sous-régional.

J’invite donc les porteurs du projet de fusion, ceux du Gicam comme ceux d’Ecam, à revenir à la raison afin d’éviter de jeter le discrédit sur le patronat camerounais. La grandeur des grands Hommes se mesure aussi à leur capacité à se remettre en cause.

Dans un environnement où les questions de gouvernance ont souvent été identifiés comme facteur limitant à la réalisation de tout le potentiel du Cameroun, par notre silence ou notre inaction, nous (j’y associe tous ceux qui partagent mon point de vue) serons coupables devant l’opinion publique et devant l’Histoire de nous être rendus complices de délit de mal-gouvernance de notre organisation dont la respectabilité doit être protégée et préservée.

Notre pays a plus que jamais besoin d’une organisation patronale crédible et respectée pour œuvrer aux côtés des pouvoirs publics à la transformation structurelle de notre économie. Le Gicam est cette organisation. Protégeons-le ! Préservons-le de toute dérive.

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