Financements aux privés : la présidence de la République ordonne l’audit des lignes 65 et 94 sur 10 ans
C’est la substance d’une correspondance du secrétaire général au ministre en charge du Contrôle supérieur de l’Etat.
Depuis quelques jours, une correspondance du secrétaire général de la présidence de la République (SGPR) au ministre en charge du Contrôle supérieur de l’Etat (Consupe) circule dans les réseaux sociaux sur « l’audit de la gestion des ressources issues ses chapitres budgétaires 65 et 94 sur la période de 2010 à 2021 ».
Par cette missive à Mbah Acha Rose Fomundam, Ferdinand Ngoh Ngoh dit revenir « dans le prolongement de ma correspondance visée en référence, par laquelle je vous répercutais les très hautes instructions du président de la République vous prescrivant d’ouvrir une enquête sur le financement par le Trésor public des projets appartenant à des promoteurs privés ». Pour être plus précis, le SGPR se fait l’écho, dans sa correspondance datée du 18 janvier 2022, des instructions du chef de l’Etat. Selon M. Ngoh Ngoh, Paul Biya demande de « procéder à l’audit de la gestion des ressources issues ses chapitres budgétaires 65 et 94 sur la période de 2010 à 2021 ». Pour finir, et comme il est de tradition en pareilles circonstances, et « pour très haute appréciation du président de la République », le SGPR attend du Consupe, « après objet rempli, un rapport y afférent ».
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La correspondance de relance du SGPR au Consupe arrive dans un contexte de suspicions nées de la circulation, toujours dans les réseaux de documents faisant état de l’utilisation des lignes en question pour le financement des activités de Jean-Pierre Amougou Belinga, le président directeur général (PDG) du Groupe L’Anecdote composé d’un bihebdomadaire, d’une radio urbaine et d’une chaine de télévision au Cameroun auxquels s’est ajoutée Télé Sud, une chaine de télévision émettant en France et rachetée il y a quelques années. Selon les documents, Louis Paul Motaze, à l’époque ministre de l’Economie, de la Planification et de l’Aménagement du territoire (Minepat), accordait une subvention de 680 millions de Fcfa à Jean Pierre Amougou Belinga comme frais de subvention de l’Etat pour la construction de l’Institut supérieur des sciences, arts et métiers. L’argent public ainsi remis à un privé provenait de la ligne 94 logée dans ce ministère et « Interventions de l’État ». L’on parle d’« une provision annuelle estimée à 1 000 milliards de FCFA ». Parti du Minepat, l’actuel ministre des Finances (Minfi) semble avoir obtenu de la présidence de la République la création d’une ligne semblable, la ligne 65, dans son nouveau département ministériel. « La générosité de Motaze s’était étendue au transfert de plus de 2 milliards à Amougou Belinga en un an en plus de quelques faveurs fiduciaires accordées aux entreprises Vision 4 et Tour d’Horizon », pouvait-on lire çà et là dans la presse camerounaise et même étrangère.
Interdiction de sortie
Interrogé sur la question par un sénateur le 30 novembre 2021, Louis Paul Motaze n’avait pas nié les faits. Bien au contraire, il avait appelé l’hémicycle à « applaudir Jean Pierre Amougou Belinga ». Et pour cause, pour M. Motaze, « celui que vous cité a racheté une télé européenne. On se plaint tout le temps que les autres, comme on dit, viennent prendre les choses ici. Mais Monsieur le sénateur, vous devriez applaudir lorsque vous apprenez que même les Camerounais ont acheté chez les Blancs. Et quand vous avez un citoyen de votre pays qui a cette ambition, qu’est-ce que vous pouvez faire : l’encourager ou le décourager ? »
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Ce soutien n’avait pas empêché que, le 15 janvier 2022, le concerné soit interpellé à l’aéroport de Yaoundé Nsimalen en partance pour la France. Les policiers le traquaient suite à une interdiction de sortie du territoire national qu’ils lui avaient brandie ce jour-là. Malgré ses protestations, M. Amougou Belinga avait été obligé de rebrousser chemin. Entre-temps, Yaoundé lui a rendu son passeport diplomatique centrafricain et l’homme d’affaires a pu s’envoler pour Paris, la capitale française, le 1er février 2022. Même s’il se gaussait de ceux qui l’avaient humilié quelques semaines plutôt, Jean Pierre Amougou Belinga est bien conscient de ce qu’il n’a eu qu’un moment de répit. Et qu’il est dans la nasse de l’opération qui vise les auteurs de la distorsion de l’orthodoxie financière au Cameroun. C’est le sens de l’audit de la gestion des lignes 65 et 94 sur la période de 2010 à 2021 commandité par la présidence de la République.
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