Financement des économies africaines : le Cameroun en mission impossible à Paris
Le président de la République a décidé de se faire représenter par le ministre des Finances au Sommet sur le financement des économies africaines organisé dans la capitale française. Mais ce déplacement parisien était plus une course d’obstacles.
“Le ministre des Finances, Louis Paul Motaze, représente le Chef de l’Etat au Sommet sur le financement des économies africaines qui se tient ce 18 mai 2021 à Paris”. C’est par ce communiqué laconique que les auditeurs de la Crtv, la radio publique au Cameroun, ont appris que le pays participe au conclave organisé dans la capitale française. Invité par son homologue français Emmanuel Macron, Paul Biya a préféré se faire représenter… « New Deal », annulation partielle de la dette, injections massives de liquidités : quelle stratégie économique pour l’Afrique d’après-crise?
Le conclave de Paris a une résonance particulière au Cameroun, pays le plus affecté par la pandémie de la Covid-19 et première économie de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac). C’est le président de la République, Paul Biya, qui assure actuellement la Présidence en exercice de la Cemac. Une partie de l’opinion s’étonne donc que le porte-voix de la Communauté ait choisi de ne pas faire le déplacement de Paris, comme s’il n’y avait pas d’enjeux. Or, la troisième session extraordinaire du Comité de Pilotage du Programme des Réformes Économiques et Financières de la Cemac (Pref-Cemac) tenue le 28 mars 2020 à Brazzaville a permis à la sous-région de prendre la mesure de la menace, de ses impacts socioéconomiques et de la nécessité de procéder à un « aggiornamento » tant au niveau national, communautaire qu’international.
Lire aussi : Le taux d’endettement du Cameroun du Cameroun baisse de 2,7%
Le président en exercice de la Cemac a la responsabilité de s’assurer de la mise en œuvre de cette option. Sans doute que le ministre des Finances qui le représente à Paris a reçu des consignes dans ce sens. D’ailleurs, pour ce qui concerne la coopération internationale, Pilier 5 du Pref-Cemac, “les ministres ont décidé d’adopter une approche régionale dans les négociations des programmes avec le FMI, la Banque Mondiale et les autres partenaires internationaux”, peut-on lire dans le communiqué final de la session extraordinaire du Pref-Cemac du 28 mars 2020.
Intérêt régional
Concrètement, les ministres avaient décidé que “les nouveaux accords à conclure avec ces partenaires devront dépasser les objectifs de stabilisation financière, pour mettre l’accent sur la croissance et le développement.” Pour ce faire, “les ministres ont recommandé aux Etats de négocier collectivement et d’obtenir pour tous les Etats, l’annulation de l’ensemble de leurs dettes extérieures, pour se donner des marges budgétaires leur permettant de faire face à la fois à la pandémie et à la relance future, sur des bases saines, de leurs économies.”
Louis Paul Motaze devait jouer des coudes à Paris. Ce d’autant plus que la dette est devenu un fardeau pour certains Etats de la Cemac. Fin février 2021, la Mission de revue du programme FMI réaffirmait que la dette publique du Congo, qui a atteint 100% du PIB en 2020 est “insoutenable”. Selon les données de la Banque mondiale publiées le 21 janvier 2021, la dette publique du Congo s’élevait à 6 milliards de dollars en décembre 2019 [soit près du double du budget de l’État de 2021, Ndlr], dont 4,5 milliards de dette bilatérale. Mais ces comptes de la Banque mondiale n’intègrent pas les dettes contractées par la Société nationale des pétroles du Congo (Snpc), plus grande entreprise d’État, auprès des traders pétroliers.
Lire aussi : La dette du Cameroun s’élève désormais à 10 334 milliards de FCFA
De même, en janvier 2021, le Tchad a sollicité officiellement une restructuration de sa dette auprès des grands créanciers publics en parallèle à un accord de soutien conclu avec le FMI. Il s’agit de la première initiative de ce type dans le cadre du « cadre commun » mis en place en 2020 entre le G20 – sous présidence saoudienne – et le Club de Paris pour faire face aux risques d’insolvabilité des pays les plus vulnérables apparus suite au ralentissement économique engendré par la crise du Covid-19.
100 milliards DTS pour relancer les économies africaines
L’Afrique a été fortement impactée par la pandémie de Coronavirus, et ses économies sont désormais exsangues en raison de cette crise sanitaire mondiale. La problématique de la relance de ces économies est au cœur d’un sommet qui s’est ouvert mardi à Paris à l’initiative du président français Emmanuel Macron. A l’occasion, le président français Emmanuel Macron, le président en exercice de l’Union africaine, Félix Tshisékedi, par ailleurs président de la RD Congo, et la directrice du Fonds monétaire international (Fmi), Kristalina Georgieva, ont donné un point de presse conjoint pour révéler les prémisses de la démarche qu’entend adopter les partenaires de l’Afrique pour lui permettre de se remettre de la pandémie.
« Il est question de voir dans quelle mesure, nous pouvons relancer nos économies. Il y a cette proposition de droits de tirages spéciaux (DTS) que nous adressons énormément, mais qui risqueraient malheureusement d’être insuffisants. Nous allons voir dans quelle mesure nous pouvons obtenir l’augmentation de ces droits de tirage spéciaux pour l’Afrique », a indiqué Félix Tshisékedi. L’Afrique va bénéficier dans un premier temps de 100 milliards de DTS, quoique cette somme n’est pas suffisante pour satisfaire ses besoins de financements, évalués à près de 285 milliards de DTS par le Fmi entre 2021 et 2025. « Nous défendons l’idée que les pays les plus aisés puissent réallouer leurs droits de tirage pour qu’ils aillent aux plus pauvres, en particulier en Afrique, pour que les 33 milliards d’aujourd’hui deviennent 100 milliards, et surtout, pour que nous puissions les allouer à la Banque Africaine de Développement (BAD), innover en termes de financements et accompagner aussi cette ambition de financements que nous allons mobiliser grâce à la Banque Mondiale », explique Emmanuel Macron.
Lire aussi : Finances publiques : la dette du Cameroun est-elle soutenable ?
L’idée de ce « Sommet sur le financement des économies africaines » a germé à l’automne 2020, lorsque le Fmi a alerté sur le risque du continent africain de se heurter à un déficit de financement de 290 milliards de dollars d’ici 2023. La réunion de Paris rassemble une trentaine de dirigeants africains et européens, avec la participation des grandes organisations économiques internationales. Deux sujets centraux meublent ces échanges : « Le financement et le traitement de la dette publique » et « le secteur privé africain ». En effet, les pays africains réclament un moratoire immédiat sur le service de toutes les dettes extérieures jusqu’à la fin de la pandémie. Ils ont également exhorté le FMI à leur attribuer des droits de tirage spéciaux (DTS) pour leur fournir « les liquidités indispensables à l’achat de produits de base et de matériel médical essentiel. » Ces « DTS » peuvent être convertis en devises par les pays qui en ont besoin sans créer de dette supplémentaire.
Yannick Kenné et Philippe Nsoa