Fichier solde de l’Etat : Emmanuel Lebou à nouveau épinglé
Le Dr Bell dit avoir relevé des suppressions frauduleuses des remboursements des avances sur solde. Ces opérations sont réalisées sur les postes de travail des accusés Emmanuel Leubou, Lefang Célestina Nkeng, Amadou Haman.
Emmanuel Leubou, Lefang Célestina Nkeng, Amadou Haman sont les détenteurs des postes dont l’usage est sujet à caution. Ces postes ont servi de base aux « suppressions frauduleuses » des remboursements des avances sur solde au ministère des Finances (Minfi) : « L’étude faite par la cellule informatique a permis de savoir que le poste 1056 à 1058 étaient utilisés par le chef de la cellule informatique et la solde. Le poste 1077 était utilisé par monsieur SEUDJEU, porte 225. Le poste 1079 était utilisé par madame Mouluh, le poste 1109 par madame Lefang Célestin Nkeng, le poste 1255 par monsieur Haman porte 226». Ainsi, expose le Dr Bell, témoin du Ministère public entendu le 22 octobre 2021 au Tribunal criminel spécial (TCS) à Yaoundé. Dans le cadre de son interrogatoire principal, il évoque l’insécurité dans la gestion des données informatiques à travers l’application Antilope.
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Le Dr Bell parle d’une confusion née de plusieurs facteurs, à l’instar de l’absence des caméras de surveillance, d’un système de contrôle d’ouverture et de fermeture des portes, avec des paramètres biométriques des individus. A cela s’ajoute l’absence d’archivage des donnés « je tiens à préciser que le risque en l’absence d’archivage c’est qu’il y ait la possibilité d’écraser les suppressions et les faire disparaitre». En outre, l’expert évoque l’inexistence de la signature numérique dans le système Antilope. Ce qui n’est pas sans conséquence dans le traitement des données. « Celui qui pose l’acte n’est pas lié à celui-ci, mais plutôt le compte. » Or, aux dires de l’expert, l’application Antilope donne la latitude aux usagers de travailler sur un poste de travail sans en être le détenteur. Le témoin du Parquet général indique qu’à la période des fêtes, les habilitations relatives à l’application Antilope ne dépendent pas du poste de travail. Elles relèvent des comptes d’utilisateur. « C’est la raison pour laquelle les paramètres USER et PASSEWORD, attribués à un utilisateur quelconque lui permettaient de se connecter à son poste de travail, même s’il n’est pas assis à son poste d’ordinateur habituel. Pourvu que le poste auquel il se connecte soit lui aussi connecté au réseau».
Plus de 80 000 matricules analysés
L’audition du témoin porte sur le USER 01X. A la question de savoir si des variations ont été notées dans le cadre de l’emploi de ce USER, le Dr Bell explique : « Il faut le mot de passe et le USER pour se connecter. Mais, il y a eu des connexions qui ne se sont pas faites aux heures de travail. Des suppressions de grandes intensités, à des intervalles de temps très courts». Il en déduit, l’usage frauduleux dudit USER.
Par ailleurs, l’expert affirme avoir procédé à l’analyse de plus de 80 000 matricules pendant la période querellée. « Il y a eu des matricules qui ont reçu des montants au-delà de ce qui est prévu par le cadre règlementaire ; des matricules qui n’avaient jamais remboursé, d’autres ont fini le remboursement et continuent ; d’autres qui ont terminé le remboursement et n’avaient plus de difficultés ». Le Dr Bell déplore aussi les failles sécuritaires de l’application Antilope. Il est affirmatif sur la possibilité de contourner le mot de passe d’un poste de travail sur cette plateforme.
95% des suppressions frauduleuses enregistrées sur les avances de soldes
L’audition du Dr Bell est consécutive à celle de Sieur Biteck, en service à la cellule informatique au ministère des Finances (Minfi). Ce dernier a été entendu devant le TCS. Le 07 juillet de l’année en cours, il dépose sur la gestion du fichier solde de l’Etat : « Qui sont les personnes habilitées à procéder à la suppression des avances de solde et pension conformément à la règlementation en vigueur au Minfi? » Questionne l’Avocat de l’accusé, Amadou Haman. « 2 personnes : le chef du service des oppositions au trésor, qui le fait lorsque l’agent présente une quittance de reversement au trésor public. Il y a également le chef de la cellule informatique qui va le faire soit sur instruction de sa hiérarchie, soit en cas de défaillance technique rencontrée par le chef du service des oppositions. Dans ce cas, la quittance de reversement doit être présentée», détaille le témoin du Ministère public.
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Au cours de son interrogatoire au Tribunal criminel spécial (TCS), sieur Biteck note qu’à l’époque des faits, il existait une faille. « Elle consistait pour les utilisateurs à s’échanger les Users et les mots de passe». A la question de savoir s’il existe des cas de collègues ayant avoué avoir remis leur habilitation pour accéder à l’application antilope, sieur Biteck répond par l’affirmatif : « Oui. Pis encore, on a eu des collègues du trésor, travaillant avec l’application Antilope qui ont fait la prison en raison de la manipulation des comptes des utilisateurs et les mots de passe. Au trésor, cela implique d’énormes sommes d’argent». Le témoin du Ministère public précise tout de même que cette faille a été remédiée au fil du temps.
Poste querellé
Dans l’affaire, le dossier de procédure, indique que 95% des suppressions des avances de soldes et pensions ont été enregistrées. Ces opérations décriées l’ont été à travers le poste de travail 255 appartenant à l’accusé Amadou Haman.
Ledit poste est ensuite renommé en « Amadou 226 » par les soins de sieur Biteck. « Qu’est-ce qui vous a déterminé à croire que l’adresse Ip que vous recherchiez était rattaché à la personne physique Amadou ? », s’enquiert une fois de plus le conseil de l’accusé Amadou Haman. Sieur Biteck affirme avoir procédé à un scan du réseau. Ensuite, il parcourt les bureaux, inspectant ordinateur après ordinateur. « Nous avons trouvé monsieur Amadou assis dans son bureau. Nous nous sommes présentés et nous lui avons dit que nous voulons effectuer un travail sur son ordinateur. Ce travail nous a permis de découvrir effectivement que c’est cet ordinateur qui était à l’origine du conflit. Nous lui avons posé la question de savoir s’il travaillait sur ce poste 226. Il nous a répondu par l’affirmatif ». C’est ainsi qu’il décide de changer l’adresse Ip pour permettre à ce dernier de continuer à travailler.
Le corps spécialisé des officiers de police judiciaire du Tribunal criminel spécial est entré en possession des données émanent du poste de travail de sieur Amadou Haman. Aux dires de sieur Biteck, l’on n’a pas besoin de mot de passe pour avoir accès à ces informations. « Lorsque l’utilisateur travaille, son ordinateur n’est qu’une passerelle vers le serveur antilope qui est logé au Cenadi. Pour chaque action réalisée sur son ordinateur, il y a une trace qui reste au niveau du serveur et non pas dans la machine». Ce dernier fait savoir que l’ensemble de ces opérations a été transmis par le Cenadi au Tribunal sous forme de listing.
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Le témoin précise qu’à l’époque des faits, il était possible pour un utilisateur de se servir de ses propres habilitations pour accéder à n’importe quel autre poste. « Mais, le User de celui qui y a travaillé reste sur la machine». Du côté de la partie civile, cela démontre que les opérations sont traçables.
Notons que Sieur Biteck est auditionné dans le cadre d’un procès collectif. Ce procès implique Emmanuel Leubou, Amadou Haman, Lefang Célestine Nkeng, Assiatou Boullo Bouba, Méfiro Pempemé Inoussa. La cause porte sur les infractions de détournement de biens publics (Dbp), coaction et complicité de Dbp. Des détournements présumés au travers des paiements des avances de solde et pensions retraite à hauteur de 5,5 milliards de Fcfa.
A l’audience du 23 juillet 2020, un témoin est auditionné. Pierre Sekenne dit avoir pris service le 25 mars 2016. « Très vite, j’ai instruit la brigade de vérification à faire un contrôle des différents services sous ma direction afin de me faire une idée claire. C’est au cours de cette opération que je découvre que Célestine Nkeng Lefang a des difficultés pour travailler. Son logiciel ayant été suspendu par Emmanuel Leubou». Le trésorier payeur général à la direction du Trésor à l’époque des faits entend y apporter une solution. Il dit avoir proposé à Emmanuel Leubou, chef de la cellule informatique et du fichier solde, la création d’un groupe de travail mixte,ce groupe de travail devant être constitué du personnel de la direction du Trésor dont il faisait partie, et du personnel de la direction du Budget. Le but étant de permettre à Célestine Lefang Nkeng, chef du service des oppositions à la Trésorerie, de faire son travail. « Il (Emmanuel Leubou) n’a pas voulu s’exécuter ».
René Ombala