FCFA : de la France ou de la Cemac, qui décidera de la dévaluation?
Emmanuel Macron prétend que la décision sur le changement de parité revient aux leaders de la sous-région. Et pourtant, à l’analyse de la convention de coopération monétaire c’est Paris qui décide.
La Banque des Etats de l’Afrique Centrale (Beac), a rendu publique hier, un communiqué assurant que ses réserves de change se situent à 5 348,8 milliards de FCFA, représentant près de 5 mois d’importations de biens et de services pour un taux de couverture extérieure de la monnaie de 74,16%. Ce communiqué a eu le don de rassurer les observateurs. Car quelques jours plus tôt, la même Beac avait déjà alerté que si les Etats de la sous-région Afrique Centrale ne contrent pas efficacement les conséquences économiques et financières de la crise sanitaire liée à la Covid-19, les réserves de change de la sous-région diminueraient drastiquement et exposeraient la zone à une dévaluation de sa monnaie.
Dans cette hypothèse qui reste d’actualité, à qui reviendrait-il de prendre la décision d’une modification de la parité entre le franc CFA (FCFA) et l’euro ? La question hante les esprits alors que la pandémie de coronavirus a fait ressurgir le risque d’une dévaluation de la monnaie de la Communauté économique et monétaire des États de l’Afrique centrale (Cemac). La question préoccupe d’autant plus que tous les experts s’accordent à dire qu’il s’agit d’une décision plus politique que technique. « D’une manière générale, le choix du régime de change d’un pays ou d’un groupe de pays relève du pouvoir politique », affirmait en juillet 2017, le gouverneur de la banque centrale, Abbas Mahamat Tolly.
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En effet, ni la convention de coopération monétaire entre les États de la Cemac et la République française, ni la convention de compte d’opérations de la banque des États de l’Afrique centrale (BEAC), ni ses statuts, encore moins la convention régissant l’union monétaire d’Afrique centrale ne définissent les conditions techniques qui devraient déclencher un changement de parité. Dans son article 12, la convention de coopération stipule que la parité « est susceptible d’être modifiée (…) compte tenu des exigences de la situation économique et financière des États membres ».
Dans l’article 1 des statuts, il est juste indiqué que la banque centrale « garantit la stabilité » de la monnaie. Ce que la Beac traduit dans ses documents internes par le maintien d’un taux d’inflation inférieur à 3% et d’un taux de couverture extérieure de la monnaie supérieur à 20% (c’est-à-dire que les avoirs en devises doivent toujours représenter au moins 20% des importations). Et selon l’article 11, lorsque ce taux est inférieur à 20%, « le conseil d’administration est immédiatement convoqué pour délibérer sur les mesures de redressement approprié à mettre en oeuvre dans les États en position débitrice ».
Écran de fumée
En plus, en vertu de la garantie de convertibilité illimitée, « en cas de choc sur la situation des comptes extérieurs de l’une des sous-régions de la zone franc qui se traduirait, par exemple, par l’impossibilité pour les États de la sous-région d’assurer en devises le paiement de leurs importations, le Trésor français s’engage à apporter les sommes nécessaires en euros », indique le ministère français de l’Économie et des Finances.
À Paris, on estime que la décision revient aux autorités de la Cemac. « C’est une discussion, ce n’est absolument pas à moi de dire ça aujourd’hui. C’est avant tout aux leaders de ces pays et aux instances régionales d’en décider », indiquait le 15 mars le chef de l’État français Emmanuel Macron lors d’une interview accordée à Radio France internationale (RFI).
Sur le continent, le discours officiel tend également à le penser. « Les chefs de l’État ont relevé d’emblée que le renforcement de la stabilité macroéconomique ne nécessitait pas un réajustement de la parité monétaire actuelle ».
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Cet extrait du communiqué final du sommet extraordinaire de la Cemac de décembre 2016, au plus fort de la crise économique provoquée par la baisse drastique du prix du pétrole enregistrée dès le milieu de l’année 2014, suggère que ce sont les chefs d’État de la sous-région qui décide de la question. Il en est de même du communiqué annonçant la dévaluation de 1994, lu par Antoine Ntsimi, le ministre camerounais des Finances de l’époque. « Les chefs d’État de gouvernement ont marqué leur accord pour modifier la parité du franc CFA, qui s’établit à 100 FCFA pour 1 franc français à compter du 12 janvier à zéro heure », avait-il indiqué.
Le rôle central de la France
Mais contrairement au discours officiel, la France joue un rôle de premier plan. Selon l’article 12 alinéa 2 de la convention, le changement de parité se fait « après concertation entre les États signataires ». En d’autres termes, après concertation avec la France. « Le terme précédemment employé était “accord” et non pas “concertation”. La différence est avant tout d’ordre psychologique », indiquait en décembre 1972 la Commission des finances, des contrôles budgétaires et des comptes économiques du Sénat français en commentant le projet de loi autorisant l’adoption de la convention de coopération monétaire entre les États de la Cemac et la République française.
« Dans une concertation, il peut y avoir débat. Mais in fine, quelle est la décision qui sera adoptée ? Ce sera la décision qui arrange le plus fort, car les concertations entre pays sont une affaire de rapports de pouvoir », fait observer le géoéconomiste Maurice Simo Djom. À ce jeu, la France va vainqueur, estime l’auteur de « La guerre économique ». Et pour cause, « La France est une puissance nucléaire, son PIB est 15 fois supérieur aux PIB réunis des 15 pays africains de la zone franc », ajoute-t-il.
En plus, son statut de garant de la convertibilité illimitée « lui donne trop de pouvoir », commente un ancien cadre à la Beac. « C’est ce que le Nigeria ne veut pas dans le cadre de la nouvelle monnaie de la Cedeao », assure-t-il. « Être garant vous donne la responsabilité de surveiller le débiteur et de vous assurer qu’il rembourse. Donc le garant s’assure même que les dispositions sont prises pour qu’on n’ait pas recours à lui. La présence de la France dans les conseils d’administration des banques centrales se justifie par cela. Dans le cas présent, la dévaluation fait partie de ces dispositions », soutient la même source.
Embarras
On est donc loin du simple « accompagnement » revendiqué par Emmanuel Macron. C’est que la question est « politiquement sensible » pour la France, analyse un haut cadre d’une organisation sous régionale d’Afrique centrale. Maurice Simo Djom est du même avis. « Le franc CFA est une question embarrassante pour l’oligarchie française. C’est un dispositif qui ne trouve pas de justification 60 ans après les décolonisations, peu importe le bout par lequel on le prend. N’oublions pas que c’était une monnaie coloniale visant à faciliter le commerce entre la France et ses colonies », explique cet expert très proche des milieux financiers.
Et pourtant, « au lieu de parler de garant, nous devons parler de parrain. La France fait tout pour donner l’impression que nous ne sommes pas aptes pour gérer notre monnaie », observe un expert en programmation monétaire. En réalité, la France « profite du dispositif » notamment pour renforcer son influence internationale. Elle « ne souhaite donc pas y renoncer ». « C’est pour cela qu’elle opte pour la tactique de l’ambassadeur : en amont, elle s’assure par tous les moyens que les chefs d’État des PAZF sont acquis à sa cause. En aval, elle se dissimule derrière ces dirigeants pour continuer d’administrer sa monnaie coloniale », tranche Maurice Simo Djom.
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