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Facturation de l’énergie électrique au Cameroun : braquage en plein jour de Eneo ?

Par Habib Wowe, spécialiste des questions financières et douanières

Jamais la société de distribution d’énergie électrique n’aura fait couler autant d’encre et de salives au Cameroun. En effet, que ce soit les légendaires problèmes de délestage et de disponibilité de l’énergie électrique sur toute l’étendue du territoire, ou celui des factures anormalement élevées de l’avis des consommateurs, la société ENEO est au centre de toutes les conversations sur les réseaux sociaux, dans la rue ou dans les ménages. Un citoyen camerounais doit d’ailleurs sa notoriété subite à une phrase qui résume la conscience populaire « A cause de L’ENEO on souffre ».

Récemment encore, nous avons vu circuler sur les réseaux sociaux deux correspondances, l’une du régulateur du secteur (ARSEL), et l’autre du ministre de tutelle (MINEE), rappelant à l’ordre l’opérateur la société ENEO, concessionnaire du service public de distribution de l’électricité, relativement aux violations observées des dispositions réglementaires en matière de facturation. A la lecture de cette dernière correspondance, il ressort que de nombreuses plaintes ont été formulées pour surfacturation. Aussi, une mission conjointe ENEO-ARSEL-MINEE aurait été conduite auprès des services déconcentrés de l’opérateur. Il ressort de cette mission que l’opérateur ENEO aurait mis en place de façon unilatérale, en raison des contraintes imposées par la lutte contre la pandémie liée au COVID-19, une nouvelle méthode de facturation basée sur une estimation des six derniers mois de consommation, et non plus sur les relevés réels des index tels que prévu par le Règlement du service de distribution publique d’électricité qui dispose en son article 7.1.1 que « la facturation est effectuée soit sur la base des relevés des compteurs des Clients soit au moyen de tout autre mode de facturation qui pourra être mis en place par AES SONEL avec l’accord de l’ARSEL ». C’est ce qui justifierait les écarts constatés par les consommateurs sur leurs factures de ces derniers mois.

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Cependant, ce mode de facturation ne saurait à lui seul expliquer une multiplication par deux, voire trois des factures du simple fait qu’une estimation basée sur des consommations passées ne saurait s’éloigner de ces dernières. Aussi, qu’est ce qui pourrait être à l’origine de ces écarts constatés par les consommateurs ? Le régulateur du secteur joue-t-il réellement son rôle afin de préserver les intérêts du consommateur camerounais ? Afin de répondre à ces questions, nous allons dans un premier temps tenter de comprendre l’approche dans laquelle s’inscrit le mode de facturation de l’opérateur. Nous présenterons ensuite le mode de facturation tel, que prévu par le cadre réglementaire. L’étude de quelques factures d’électricité produites par l’opérateur nous permettra de déduire la méthode de calcul effectivement appliquée. Ceci nous permettra de mettre en évidence les écarts, et poser le problème de droit qui en découle, et de questionner le rôle du régulateur. Il ne s’agit donc pas ici de procéder au calcul du coût réel du kwh, et partant du prix de vente, mais de s’intéresser aux approches par lesquelles ce coût est facturé aux consommateurs camerounais. Ces approches sont largement tributaires des orientations politiques car le secteur électrique est généralement contrôlé directement par l’État ou indirectement par les diverses réglementations.

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1.       Qu’est-ce que la tarification progressive de l’énergie électrique ??

 La tarification progressive de l’électricité est très souvent considérée comme une solution miracle pour une utilisation efficiente des ressources rares et une répartition équitable de ces dernières. A titre d’illustration, le cas où l’électricité a deux prix unitaires. Le premier est très faible, voire nul, et est facturé sur un volume limité de KWh considéré comme consommation vitale. Le second prix, plus élevé, n’est facturé que sur les kWh consommés au-delà de cette limite, considérée comme consommation de confort. Les prix plus élevés payés par les riches participent ainsi au financement du prix bas payé par les pauvres, et les incitent par ailleurs à réduire leur consommation. Ce système est utilisé par plusieurs pays dans le monde au nombre desquels l’Afrique du Sud, l’Australie, le Japon, ou même le Sénégal.

La tarification progressive s’oppose à la tarification dégressive, pour laquelle le prix de l’électricité comporte une partie fixe, l’abonnement ; et une partie variable indexée sur les consommations. Cette structure de prix permet aux gros consommateurs de payer un coût moyen du kwh plus faible que les petits consommateurs du fait de l’étalement de l’abonnement sur une plus grande quantité consommée. Il convient de noter que, quel que soit l’approche de tarification retenue, les tarifs de l’électricité sont généralement établis selon les catégories de consommateurs (résidentiels, professionnels, industriels) qui correspondent très souvent à un classement par niveau de tension de raccordement (basse tension, moyenne tension, haute tension).

2.       Que dit la réglementation sur la tarification de l’énergie électrique au Cameroun ??

 La facturation des consommations de l’énergie électrique au Cameroun obéit à une structure tarifaire progressive. Nous illustrons notre propos à l’aide de la tarification pour la catégorie Clients basse tension, pour les usages domestiques ou résidentiels. Cette tarification est fixée par la DECISION N°_0096_/ARSEL/DG/DCEC/SDCT DU_28 mai 2012_ FIXANT LES TARIFS DE VENTE HORS TAXES D’ELECTRICITE APPLICABLES PAR LA SOCIETE Eneo Cameroon DES L’ANNEE 2012 ; et se présente sous la forme de Plages de consommations mensuelles Tarifs : · Consommations inférieures ou égales à 110 kWh 50 FCFA/kWh ; · Consommations comprises entre 111 kWh et 400 kWh 79 FCFA/kWh ; · Consommations comprises entre 401 et 800 kWh 94 FCFA/kWh ; · Consommations comprises entre 801 et 2000 kWh 99 FCFA/kWh. Le prix unitaire du kWh est défini en tranches de consommations mensuelles de l’usage tel que le prévoit l’ARRETE N°00000013/MINEE DU 26 JAN 2009 portant approbation du Règlement du Service de distribution publique d’électricité de la société AES SONEL. Il en ressort que différents tarifs sont applicable à chaque tranche de consommation, et que une même facture peut comporter des quantités facturées à des prix différents en fonction des tranches de consommation.

3. Quid de la pratique de ENEO ??

L’observation des factures de plusieurs clients situés dans des zones géographiquement éloignées nous fait formuler le constat suivant : le système de tarification appliqué par ENEO est le fruit d’une interprétation partisane du cadre réglementaire. Cette interprétation veut que les plages de consommation définissent les prix applicables à toutes les quantités consommées. En effet, un client de la catégorie Basse tension dont la consommation mensuelle dépasse les 110 kwh mais n’excède pas 400 kwh, se voit facturée son entière consommation au prix de 79 FCFA/kWh Hors taxes. Il en ressort donc un surcoût sur sa facture hors HT de 29FCFA par Kwh, soit 3 190 FCFA HT sans incidence de la TVA. Pour les clients dont la consommation est comprise entre 401 et 800 Kwh, le surcoût est de 44 FCFA HTpar Kwh pour les 110 premiers Kwh, et de 15 FCFA par Kwh pour les 290 kwh suivants. Il en ressort un surcoût total de 9 190 FCFA sans incidence de la TVA.

3.       Quel est le problème de droit suscite une telle méthode ??

 Ce mode de facturation pose le problème de droit d’égalité des usagers devant le service public de distribution de l’électricité au Cameroun. En effet, comment peut-on comprendre qu’au sein d’une même catégorie, pour les mêmes 110 premiers kwh consommés, certains sont facturés à 50FCFA, d’autres à 79 FCFA, et d’autres à 94 FCFA le Kwh ? Cela va à l’encontre même des principes qui régissent le service public. La Société ENEO étant concessionnaire du service public de distribution de l’électricité au Cameroun, elle se doit de respecter dans le cadre de ses activités les règles de droit encadrant l’exécution de tout service public. Est-il besoin de le rappeler, les principes généraux du droit sont source du droit administratif, droit régissant tout contrat administratif au nombre desquels figure les contrats de concession de service publics.

4.       Et l’ARSEL dans tout ça ?

L’ARSEL est le régulateur du secteur de l’électricité au Cameroun. A ce titre, elle assure la régulation, le contrôle et le suivi des activités des exploitants et des opérateurs du secteur de l’électricité, dans le cadre de la politique définie par le Gouvernement. Elle a donc entre autres missions de veiller aux intérêts des consommateurs et d’assurer la protection de leurs droits pour ce qui est du prix, de la fourniture et de la qualité de l’énergie électrique.

Le fait qu’une telle tarification soit mise en place par la société ENEO depuis au moins 2019 au mépris des principes généraux du droit révèle soit une incompétence totale des personnels et des dirigeants de cette institution à mettre en place des outils destinés à s’assurer de la bonne exécution du service ; soit d’une complicité passive de ces derniers. Il revient donc aux pouvoirs publics, notamment au ministre de tutelle de prendre les mesures qui s’imposent, à savoir faire rétablir les mécanismes de facturation conformes à la réglementation et s’assurer que les sanctions soient appliquées à l’opérateur conformément à ladite réglementation. Par ailleurs, les associations de consommateurs ne doivent pas être en reste pour s’assurer du respect de leurs droits face à un opérateur puissant et un régulateur défaillant.

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