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Emprunt obligataire: les faiblesses de la Commission des marchés Financiers face aux écarts de l’État

Suite au cinquième emprunt obligataire de 150 milliards bouclé le 9 novembre 2018, les observateurs avertis relèvent que la CMF n’a pas le pouvoir de contrôler l’usage initial qui sera fait de cet argent.

Baptisé « ECMR 5,6% net 2018-2023 », l’Etat du Cameroun a lancé un emprunt obligataire de 150 milliards de FCFA souscrit sur la période allant du 29 octobre 2018 au 9 novembre 2018. L’offre finale des différents investisseurs a franchi la barre de 200 milliards de FCFA.

Les infrastructures de la Coupe d’Afrique des Nations de football (CAN), que le Cameroun organisera en juin 2019, vont engloutir 107 milliards sur les 150 milliards de F CFA que le gouvernement s’apprête à mobiliser sur la bourse des valeurs mobilières de Douala ; ce qui représente 70% de l’enveloppe de financements sollicitée auprès des investisseurs.

En effet, selon la note d’information qui accompagne cette opération de levée de fonds du gouvernement camerounais, une enveloppe globale de 62 milliards de francs CFA sera affectée au financement des travaux finaux du complexe sportif d’Olembe (banlieue de Yaoundé), de ses stades annexes et ses voies d’accès (36 milliards FCFA) ; ainsi que le complexe de Japoma (banlieue de Douala), ses annexes et ses voies d’accès (26 milliards FCFA). En plus du complexe de Japoma, dans la capitale économique du pays, le stade de la Réunification recevra une dotation de 8 milliards defrancs CFA pour des travaux de réhabilitation.

A Garoua, seule ville de la partie septentrionale du Cameroun qui accueillera la grand-messe du foot africain en 2019, une somme de 20 milliards de francs CFA sera investie, dont 8 milliards de francsCFA pour la réhabilitation du stade Roumde-Adja et ses voies d’accès, contre 12 milliards de francs CFA pour la réhabilitation de quatre stades d’entraînement.

Mais, question : est-ce que la Commission des marchés financiers a le moyen de s’assurer que les fonds levés dans le cadre de l’emprunt obligataire 2018-2023 seront utilisés aux fins annoncées par l’Etat ? Le gendarme du secteur financier répond que, dans le cadre du contrôle des activités et de sanction des manquements, le règlement général de la CMF prévoit en son article 104 (a) que l’organisme peut « convoquer et entendre toute personne susceptible de (…) fournir des informations ». L’article 104 (b) dispose que la CMF peut « accéder directement à toute information administrative, financière, fiscale, douanière ou bancaire détenue par toute administration ou structure publique ou privée installée au Cameroun » et même « accéder aux locaux à usage professionnel pour procéder à des constations »

Le gendarme financier ajoute que, la CMF suit autant que possible la conformité de l’affection des fonds levés avec la grille présentée et validée dans la note d’information de l’émetteur. C’est elle qui enregistre l’opération et elle doit en suivre le respect conformément à la réglementation, cela fait partie de sa mission de protection de l’épargne des Camerounais investie en valeurs mobilières. Elle suit également le remboursement à date des différentes traites de l’emprunt. « C’est par exemple grâce en partie aux actions de la CMF que le règlement de l’emprunt du Tchad a été fait malgré des anicroches auprès des investisseurs du Cameroun. Actions qui sont allés jusqu’au FMI avec lequel l’Etat du Tchad était en programme. Le régulateur était encore là dans son rôle (épargne des Camerounais) bien qu’il se fut agi de l’Etat du Tchad », argumente la CMF.

Seulement, à l’épreuve des faits, notent certains observateurs, la CMF ne peut  que « suivre » mais n’a pas le pouvoir de contrôle de l’usage des fonds levés ». Ensuite, « l’indépendance proclamée de la Commission des Marchés Financiers est contestable dans la mesure où elle prélève un pourcentage sur les fonds recherchés par l’opération qu’elle surveille. Il y a donc forcément un conflit d’intérêts nuisible à son intime conviction », note une source avertie.

Un autre expert ajoute que, l’agrément du compte unique du trésor peut effectivement conduire à un détournement de l’affectation des fonds de l’emprunt, pour le règlement de certaines urgences. « Le ministre des Finances l’a implicitement reconnu en répondant cette question le jour du lancement de l’emprunt. ‘L’essentiel, a-t-il dit, c’est qu’au bout du compte le projet à financer par l’emprunt soit réalisé’ », fait remarquer l’expert.

Jurisprudence: le cas de l’emprunt qui a lancé Camair-Co

Certains se souviennent certainement encore de l’emprunt obligataire de 2010.  Pour la première fois, le Cameroun utilisait cet instrument d’endettement à moyen et long termes qui visait à mobiliser l’épargne nationale et sous régionale en vue du financement des projets structurants inscrits au budget de l’Etat au titre de la Loi de Finances 2010. Il était baptisé « ECMR 5,60% net 2010-2015« .

La quotepart du Cameroun était évaluée à un peu plus de 200 milliards de FCFA. L’argent était destiné à la réalisation des  infrastructures en eau et énergie (voies d’accès au barrage de Memve’ele 12 milliards, barrage de Lom Pangar 72 milliards dont 40 destiné au réalignement du pipeline Tchad- Cameroun, centrale à gaz de Kribi 07 milliards, adduction d’eau de Douala 09 milliards); des infrastructures portuaires (port en eau profonde de Kribi 21 milliards); des projets miniers (Projets cobalt et nickel de Lomié 30 milliards); des infrastructures routières et ouvrages d’art (Route Ayos Bonis 10 milliards, Ring Road 12 milliards, deuxième pont sur le Wouri 11 milliards, acquisition de matériel de génie civil 02 milliards); des projets de télécommunication (construction de 3200 km de fibre optique 05 milliards); des grands projets agricoles (amélioration de la production du riz et du maïs à travers la motorisation agricole 02 milliards de FCFA, filières de production 10 milliards deFCFA).

Seulement en 2011, le gouvernement camerounais va apprendre à l’opinion qu’il a prélevé au terme de l’opération 30 milliards de FCFA pour injecter dans le capital de la compagnie aérienne nationale Camair-Co. Ce qui n’était pas prévu. A aucun moment, la CMF n’a rappelé le gouvernement à l’ordre. Du moins pas officiellement.

Mais l’on se souvient que, c’est dans la rubrique sanction que la Douala Stock Exchange a fait parler d’elle au mois d’août 2013. La Commission des marchés financiers (CMF) du Cameroun a publié dans Cameroon Tribune le 5 août 2013 une série de sanctions à l’encontre de neuf opérateurs, dont huit établissements financiers de la place (UBA, BICEC, Banque Atlantique, SGBC, Afriland First Bank,Citibank, BMCE Capital, SCB Cameroun) et la Douala Stock Exchange (DSX), la Bourse des valeurs mobilières de Douala.

Globalement, les raisons évoquées par le gendarme du marché financier du Cameroun pour justifier cette gamme variée de sanctions sont des « manquements et irrégularités » constatés dans le déroulement de l’emprunt obligataire de l’Etat du Cameroun, libellé « ECMR net 5,6% 2010-2015 », lancé en 2010 et qui a abouti à la levée de la somme de 200 milliards de francs CFA destinés au financement des grands projets. Concernant spécifiquement la DSX, cette dernière a écopé d’une amende de 500 000 francs CFA « pour avoir, sans être prestataire de services d’investissement, fourni un service d’investissement consistant en la tenue du livre d’ordres dans une émission (centralisation de souscriptions) ».

Pour la CMF, cette fonction est interdite à toute personne non prestataire de services d’investissement. Ce n’est pas tout. En plus de cette amende, la CMF a adressé un avertissement aux dirigeants de la DSX « pour leurs multiples manquements à leurs obligations professionnelles ». Le gendarme du marché financier du Cameroun a concrètement parlé d’un entêtement de ces dirigeants à « ignorer ou à passer outre leur gestion de l’institution et des opérations boursières, les prescriptions et recommandations de la CMF ». Allusion faite spécifiquement aux accords de place non entérinés par le régulateur.

Une alerte quand même sur les standards internationaux

« Le Cameroun reste l’un des rares pays où pour l’émission d’un emprunt obligataire, il est fait recours à un contrat de marché public entre l’Etat et les prestataires pour la conduite de l’opération ». C’est le constat fait le 19 par la Commission des marchés financiers (CMF). Le gendarme national du secteur financier venait alors d’autoriser l’Etat du Cameroun a lancé un emprunt obligataire de 150 milliards de FCFA.

La CMF recommande à l’Etat du Cameroun, dans le cadre d’une démarche de conformité avec les standards internationaux sur les conditions d’accès au marché financier, de relever cette contrainte pour ses émissions obligataires ultérieures et de s’en tenir uniquement à une convention de mandat entre le ministre des Finances et les prestataires sélectionnés pour la conduite de ses émissions.

Pour l’heure, le consortium-chef de file constituée de Société générale, Afriland Firts Bank et EDC Investment Corp, conduira sa mission dans le respect de la règlementation en vigueur et des règles et pratiques internationalement reconnues. Dans un délai maximum de cinq jours à compter de la clôture des souscriptions, le consortium-chef de fil transmettra à la commission des marchés financiers, un compte rendu de l’opération qui comprendra, notamment toutes les informations sur le déroulement de l’opération ainsi que des résultats définitifs en termes de volume, montants et répartition du placement des titres auprès des personnes physiques, morales et établissements financiers bancaires et non bancaires.

Après clôture de l’opération et au plus tard trente jours après des souscriptions, le consortium-chef de file adressera à la commission des marchés financiers, un rapport de l’opération présentant son coût global, le détail des charges y relatives, par nature et par bénéficiaire. Baptisé « ECMR 5,6% net 2018-2023 », cet emprunt obligataire sera souscrit sur la période allant du 29 octobre 2018 au 9 novembre 2018.

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