Électricité: comment Eneo n’a pas préparé l’arrivée de Nachtigal
Faute d’un réseau de distribution adéquat, les 420 Mw d’électricité attendus de ce barrage hydroélectrique en construction sur le fleuve Sanaga dès septembre 2024 vont rester oisifs et ne permettront pas de combler directement la demande des industries installées à Douala, laquelle est estimée à 225 Mw. En situation de quasi-faillite, la filiale d’Actis qui a une dette globale de 700 milliards Fcfa n’a pas pu lever des ressources financières d’environ 210 milliards de Fcfa auprès de la SFI pour le financement des investissements surtout en prélude à l’arrivée de cette centrale.
Le plan de réforme du secteur de l’électricité 2023-2030 de l’Etat du Cameroun, qui comporte un plan d’urgence transport-distribution à mettre en œuvre sur la période 2023-2026 en guise de phase I, établit que le concessionnaire du service public de l’électricité Eneo Cameroon S.A n’a pas préparé l’arrivée du barrage hydroélectrique de Nachtigal, à cheval entre les départements de la Lekié, de la Haute-Sanaga et du Mbam et Kim, dans le Centre. Cet ouvrage dont la mise en eau a démarré le 18 juillet dernier et produira 60 MW d’électricité dès décembre prochain, avant d’atteindre sa pleine capacité à partir de septembre 2024. La direction de l’électricité du ministère de l’Eau et de l’Energie (Minee) signale cependant que ces capacités resteront oisives, faute pour Eneo de disposer d’une infrastructure de distribution adaptée. En effet, cette entreprise dont la dette globale s’élève à 700 milliards de Fcfa au 31 décembre 2022 n’a pas pu lever des ressources financières auprès de la Société financière internationale (SFI), filiale de la Banque mondiale dédiée au financement du secteur privé, soit environ 210 milliards de Fcfa, «pour le financement des investissements surtout en distribution en prélude à l’arrivée de la centrale hydroélectrique de Nachtigal».
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En conséquence, la demande des industries installées dans la capitale économique Douala, qui est évaluée à 225 Mw, ne sera pas comblée à court terme. Cette situation ne devrait pas manquer de générer des risques budgétaires pour l’Etat, notamment en termes de recettes. « L’absence de financements pour la distribution va davantage dégrader la qualité du service public de l’électricité fourni aux entreprises, notamment les industriels de la ville de Douala. Elle va occasionner une consommation supplémentaire de produits pétroliers, notamment le gasoil qui est fortement subventionné par l’Etat », redoute le ministère de l’Eau et de l’Energie. Et dans ces conditions, l’Etat va continuer d’être sollicité par les entreprises publiques ayant le statut de fournisseurs d’exploitation d’Eneo, telles que la Société nationale de transport de l’électricité (Sonatrel), Electricity Development Corporation (EDC), la Société nationale des hydrocarbures (Sonara), Hydro-Mekin, pour assurer le financement de leurs activités.
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En termes de recettes, ces capacités en attente vont continuer d’entraîner « la dégradation de la qualité de service auprès des industries de Douala, fait qu’aujourd’hui une très grande majorité des industries de cette ville fonctionnent grandement avec des groupes électrogènes dont le coût de production du KWh est de 200 Fcfa, ce qui augmente les charges des industries et limite leur contribution au Pib », indique le Minee. De manière permanente, le secteur connaît un faible rendement de distribution de l’électricité, marqué par un niveau élevé de perte en distribution qui est d’environ 30 % depuis près de 20 ans, répartis en parts égales, en pertes techniques (la vétusté des équipements, la surcharge des transformateurs, manque de redondance etc.) et non techniques (fraude massive, mauvaise facturation, etc.).
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Le rapport de réforme du secteur de l’électricité dresse un diagnostic inquiétant du secteur et décrit Eneo comme une entreprise en quasi-faillite, avec un fond de roulement négatif depuis plus de 7 ans. Eneo ne dispose pas suffisamment de ressources pour couvrir ses dépenses d’exploitation telles que le paiement des factures de KPDC/DPDC, Sonatrel, EDC, Sonara, etc., et « est obligée de recourir à l’emprunt de court terme pour financer ses activités », renseigne le document. D’un point de vue global, le secteur de l’électricité est dans un déséquilibre financier structurel, qui se traduit par un déficit de -29 milliards Fcfa/mois en mai 2023. Le ministère de l’Eau et de l’Energie prévient que « cette situation du secteur de l’électricité, si elle n’est pas réglée, aura des conséquences négatives sur le budget et la trésorerie de l’Etat, qui s’est déjà vu dans l »obligation de prendre en charge la dette de Lom Pangar en réglant 12 milliards Fcfa en lieu et place de EDC. Elle a aussi entraîné la réduction de 75 milliards de Fcfa des transferts de la Société nationale des hydrocarbures (Snh) vers le budget de l’Etat, notamment pour apurer les impayés de gasoil à l’égard du marketeur Tradex, etc.
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En dehors des défaillances du réseau de distribution, le Minee pointe l’absence d’un réseau unique de transport d’électricité, qui n’est pas sans impact sur l’exploitation des réseaux dans la mesure où, en cas de défaillance dans le réseau interconnecté Nord (Rin), les consommateurs ne pourront pas bénéficier de l’énergie provenant du réseau interconnecté Sud (Ris) qui regorge de la majorité des ouvrages de production.
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