Développement: ce dividende démographique qui hypothèque l’émergence
Le Rapport sur l’état de la population mondiale 2018, présenté le 13 novembre à Yaoundé, révèle que la liberté de décider du nombre, du moment et de l’espacement des grossesses peut renforcer le développement social et économique. Au Cameroun, la baisse de la productivité de la population active (-10%) entre 1990 et 2010 et une fécondité encore importante éloigne le pays de cet objectif.
Le Rapport sur l’état de la population mondiale 2018 a été présenté le 13 novembre à Yaoundé, sous la présidence du ministère de l’Economie, de la planification et de l’aménagement du territoire. Intitulé « Le pouvoir du choix : les droits reproductifs et la transition démographique », ce rapport révèle que la liberté de décider du nombre, du moment et de l’espacement des grossesses peut renforcer le développement social et économique. Le rapport établit un classement de l’ensemble des pays du monde selon l’évolution de leur taux de fécondité.
A partir des tendances démographiques des recensements de 1976, 1987 et 2005, le Bureau central des recensements et des études de population (Bucrep) indique que le Cameroun a atteint 23 794 164 habitants au 1er janvier 2018 et avoisinera 40 000 000 en 2035. Le pays comptait 19 406 100 habitants en 2010 et 17 463 836 en 2005. Cette population est caractérisée par sa jeunesse avec un âge médian de 17,7 ans et les moins de 15 ans représentent 43,6% de l’effectif total. Dans l’étude «le dividende démographique contribuera-t-il à l’émergence africaine? » publiée en 2017 par le réseau Franet (plus de 70 chercheurs en Afrique francophone), les analystes pensent que si l’évolution de la fécondité entre 1990 et 2010 se maintient dans les prochaines années, « la fenêtre d’opportunité s’ouvrira dès 2018 et restera ouverte jusqu’en 2035. Cette période favorable restera quasiment la même si la fécondité baisse un peu plus rapidement (hypothèse de fécondité faible). Si la fécondité baisse moins rapidement, la fenêtre d’opportunité s’ouvrira plus tardivement, c’est-à-dire autour de 2021 et restera ouverte jusqu’en 2035. »
Fenêtre d’opportunité
D’après le Pr. Parfait Eloundou Enyegue, coordonnateur du Réseau francophone pour le renforcement de la formation démographique en Afrique (Réseau Franet), il est souhaitable de mettre en place des politiques adaptées afin de bénéficier des avantages potentiels d’avoir une structure par âge de la population favorable. Ce d’autant plus que « dans le processus graduel d’obtention du dividende économique, on observe que la première étape ne s’est pas matérialisée au Cameroun », révèle l’étude. Or, les chercheurs expliquent que les facteurs qui occasionnent ce changement ont souvent des contributions relatives supérieures à 100%. En examinant ces facteurs, « on observe que la baisse de la productivité des personnes occupées a fortement contribué à la faible augmentation de la richesse par habitant (-638,3%). L’emploi des 15-64 ans en revanche a joué un rôle favorable à l’augmentation (358,3%) du PIB par habitant, tout comme la structure par âge de la population (+379,7%). »
Ainsi, même si le PIB par habitant a connu une légère augmentation de 2%, passant de 2197 dollars en 1990 à 2233 dollars en 2010, ce progrès cache les fluctuations qu’a connues l’économie après la dévaluation du FCFA en 1994. « Entre 1990 et 2010, on a observé une légère augmentation de l’emploi de la population en âge de travailler (75% en 1990 et 80% en 2010) mais une baisse importante de la productivité (-10%). » Cette baisse a donc contribué à la faible augmentation du PIB par habitant sur la période. Par ailleurs, la baisse moyenne annuelle de la fertilité a été quasi nulle entre 1990 et 2010. De ce fait, la population à charge n’a baissé que de 0,3% en moyenne par an sur la période.
Il apparait donc que le Cameroun ne bénéficiera du dividende démographique qu’en amorçant une baisse plus importante de sa fécondité et en augmentant la productivité des personnes occupée.
Un recensement général pour capitaliser le dividende démographique
Dans sa Vison du développement à long terme à l’horizon 2035, le Cameroun entend faire de la capitalisation du dividende démographique le principal objectif de sa politique de développement sur la période 2020-2029. Ceci, après la recherche de la croissance et l’emploi, cœur de cible de l’action gouvernementale de la période 2010-2019. Ainsi, l’article 3 du décret du 15 septembre 2015 précise que le quatrième recensement général de la population et de l’habitat (RGPH) vise « principalement à rendre disponible les données nécessaires à la planification du développement et à la prise en compte du dividende démographique dans l’élaboration des politiques permettant l’évolution du Cameroun vers l’émergence. »
Selon les démographes, le « dividende démographique » est, dans son sens le plus large, un bénéfice socioéconomique résultant d’un processus démographique caractérisé par un changement de la structure par âge de la population, et plus précisément dans la diminution de la charge de la dépendance de ceux qui ne travaillent pas vis-à-vis de ceux qui travaillent. Théoriquement, la baisse de la fécondité au niveau national a un effet sur la croissance du produit intérieur brut (PIB) par habitant à travers le changement de la structure par âge de la population. D’où l’enjeu que revêt le 4e RGPH institué le 15 septembre 2015, notamment les politiques qui en découleront.
Ainsi, l’entrée des femmes dans la population active peut permettre à une économie d’augmenter son réservoir de main-d’œuvre. Bien plus, la baisse du nombre d’enfants et le relèvement concomitant de l’espérance de vie étant associé à une montée de l’investissement privé, ils contribueront donc à améliorer la productivité de la main-d’œuvre. Comme les taux d’épargne les plus élevés tendent à être observés chez les personnes en âge de travailler, la croissance bénéficiera d’un coup de pouce temporaire, car cette épargne sert à financer les investissements. En outre, les facteurs importants pour la croissance (stabilité macroéconomique, ouverture aux échanges, solidité des institutions, etc.) le sont aussi quand il s’agit de saisir le dividende démographique, et plus encore quand la population en général et la part de la population en âge de travailler s’accroissent rapidement.
Dividende démographique: le nouveau gadget des bailleurs de fonds
Il faut remonter à la publication par le FMI, le 28 avril 2015, du rapport sur les perspectives économiques régionales 2015 intitulés « Comment l’Afrique subsaharienne peut-elle tirer parti du dividende démographique ». Dans un ton laudateur, cette institution de Bretton Woods invitait les pays africains à «saisir le train d’opportunité qu’offre le dividende démographique.
Ce processus se met en place de façon graduelle en quatre étapes. D’abord la baisse de la fécondité engendre une diminution de la population jeune (moins de 15 ans) et induit de ce fait un changement dans la structure par âge. La seconde consiste en une augmentation de la population en âge de travailler et donc une baisse de la charge démographique. La troisième étape établit le lien entre la production totale et l’ensemble des personnes en âge de travailler. Enfin, la quatrième étape met en exergue la conversion de la productivité des personnes en âge de travailler et le PIB par habitant. Le fonctionnement de cette chaine dépend, naturellement, des politiques publiques mises en place dans ce sens.
Depuis quelques temps donc et par une avalanche de mots lénifiant, les institutions de Bretton Woods semblent faire du nouveau concept, le nouveau gadget qui permettrait aux pays africains d’atteindre plus facilement leur émergence . La Banque mondiale a même débloqué 207 millions de dollars (environ 103,5 milliards de FCFA) pour encourager certains pays africains à tirer profit du dividende démographique.