Controverses autour de la cession des parts de l’Etat à la Commercial Bank-Cameroon
A trois mois de la fin de son contrat de performance signé avec la Commercial Bank-Cameroon (CBC), l’Etat du Cameroun pourrait bien ne pas céder, comme prévu ses parts à d’autres investisseurs qui se pressent actuellement aux portes de la banque. Si pour l’instant, rien n’est décidé, autour du président de la république, deux camps s’affrontent. L’une qui prêche la légalité et le retrait de l’Etat au sein de cette institution financière aujourd’hui perçue comme un exemple de réussite de restructuration bancaire au Cameroun, et l’autre qui défend son maintien comme principal actionnaire.
Selon un document interne dont EcoMatin a obtenu copie, le bénéfice net réalisé par Commercial Bank-Cameroon (CBC) au 31 décembre 2020 s’établit à 3,604 milliards de FCFA. La banque qui est aussi en règle avec ses ratios prudentiels réalise ainsi une marge bénéficiaire en hausse de 30% comparée aux 2,5 milliards de 2019. C’est une belle performance pour un établissement de crédit qui, il y’a 12 ans, était au bord de la liquidation. Placée sous administration provisoire entre 2009 et 2016, CBC avait été sauvée de justesse par l’Etat du Cameroun, qui en est devenu le principal actionnaire. Forte de ce nouveau souffle, la banque camerounaise s’est déployé à travers le pays et réussi à imposer sa marque dans un marché dominé en termes de total Bilan par Afriland First Bank.
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Avec cette bonne santé financière, l’ex-banque d’Yves Michel Fotso, dirigée de main de maître par Léandre Djummo, aiguise aujourd’hui les appétits, à tel point que l’Etat du Cameroun, détenteur de 98% des parts, hésite encore à se retirer. Si son contrat prend fin le 12 juillet prochain, l’actionnaire majoritaire pourrait choisir de déjouer tous les pronostics en prolongeant son séjour dans les instances financières de cette banque. « Avant la forclusion du délai, l’Etat qui a conduit le redressement doit lancer un appel à manifestation d’intérêt et les personnes physiques ou morales désireuses de faire partir du nouveau tour de table doivent faire leurs offres. Jusqu’ici je connais des investisseurs locaux qui sont prêts à prendre des parts à la CBC mais le silence des pouvoirs publics en dit long sur leurs intentions» commente un banquier. En haut lieu, l’avenir de la CBC est au centre des débats économiques.
Entre cession et prolongement
L’Etat va-t-il se séparer de la CBC ? La question posée par EcoMatin à des responsables proches du dossier n’a pas trouvé une réponse ferme. « Ce dossier est géré en haut lieu » nous souffle au téléphone, un cadre du Minfi avant de raccrocher. Par « Haut lieu », il faudrait voir ici l’œil vigilant de la présidence de la république qui suit de très près le dossier. En rappel, les désignations d’Alfred Tiki comme PCA et Léandre Djummo comme Directeur Général avaient été un choix de Paul Biya. Au risque de s’attirer le courroux de la Cobac, les partisans du prolongement du bail de l’Etat au sein de la banque s’appuient sur la bonne santé financière de cet établissement de crédit. En effet, au 31 décembre 2020 la CBC présente un Produit net bancaire (provisoire) de 24,378 milliards (hors provisions). Les provisions à la même date tournent autours 6,620 milliards. « Le maintient de l’Etat au sein de la banque n’est pas un fait inédit. Au Tchad et en RCA, les filiales de l’ancien Groupe Commercial Bank sont majoritairement détenus par l’Etat et ce malgré la forclusion du délai imparti », indique un des défenseurs du prolongement.
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« Le plan de restructuration prévoit qu’à terme, l’Etat se retire et cède ses parts à un privé, c’est ce principe contractuel que la Cobac va leurs opposer» commente une source interne à la banque. Mais au-delà l’institution n’aura pas à faire plus. Pourtant, en cédant ses parts, les analystes estiment que l’Etat pourrait s’en tirer avec au moins 50 milliards de FCFA. Si les chiffres de la banque poursuivent une tendance haussière celle-ci pourrait valoir bien plus. Permettant à l’Etat de dégager un bénéfice largement plus conséquent, lui qui n’avait investi au départ que 10 milliards de FCFA et garanti des passifs de près de 66 milliards (lesquels passifs sont en bonne voie de recouvrement).
Fort de cette marge, les défenseurs de la cession des parts opposent le respect par l’Etat de ses engagements. Ce d’autant plus qu’une kyrielle d’investisseurs frappent déjà aux portes de la banque. Pour cette tendance, l’Etat devrait conserver au moins 20% des parts et ne céder le reste qu’à des investisseurs locaux, y compris à la famille Fotso, fondatrice de la banque. L’objectif ici étant de préserver la coloration locale de CBC.
Contrat de performance
Pour rappel, c’est en 2018 que l’Etat camerounais, représenté par le ministre des finances Louis Paul Motaze signait avec les dirigeants de CBC un contrat de performance étalé sur une période de 3 ans (2018-2020). Il était exigé de la banque un triple objectif : « asseoir dans l’établissement un cadre de gouvernance conforme aux bonnes pratiques ; parvenir à une consolidation de l’assise financière de la banque au regard des normes prudentielles en vigueur ; préparer l’ouverture du capital de la banque au profit des investisseurs crédibles, conformément à l’engagement de l’Etat, actionnaire majoritaire ». Au plan financier, la banque devait conserver un certain niveau de profitabilité et honorer les ratios prudentiels. Il lui était exigé de détenir des fonds propres nets corrigés de 15,529 milliards FCFA en 2020 contre 12,016 milliards en 2017, 12,937 milliards en 2018 et 14,097 milliards en 2019. Toujours dans le cadre de ce contrat de performance, le résultat net bancaire devait se situer à 1,803 milliard de FCFA en 2018, 2,110 milliards en 2019 et 2,603 milliards en 2020. S’agissant des dépôts ceux-ci devaient être de 215,480 milliards FCFA en 2018 contre 172,384 milliards FCFA en 2017. Aujourd’hui CBC est une banque qui a surclassé ces objectifs contractuels. Sorti de restructuration en 2016, la Banque remplit bien ses obligations avec des résultats nets positifs de 1,5 milliards, 2,5 milliards et 3,6 milliards réalisés respectivement en 2017, 2019 et 2020, la banque ambitionne même de porter son capital à 16,5 milliards de FCFA.
Soutien à l’économie
Outre les bénéfices que l’Etat y réalise, CBC s’est davantage positionnée comme un acteur économique de poids. Toujours selon nos informations, en 2020 et malgré la crise sanitaire liée à la pandémie du coronavirus, elle a consentit des crédits à l’économie de l’ordre de 316 milliards de FCFA pour des dépôts collectés de 320 milliards. Sa contribution fiscale s’est établie à 723 millions en termes d’impôts sur les sociétés et 400 millions de FCFA d’impôts et taxes. Les charges du personnel s’évaluent à 6,5 milliards de FCFA.
Léandre Djummo : l’artisan de la réussite
Il avait le profil de l’emploi, au moment où le conseil d’administration de la Commercial Bank-Cameroun (CBC) a décidé le 6 mai 2016, de jeter son dévolu sur lui pour prendre les rênes de la banque, alors qu’il avait pris sa retraite depuis 2009. Léandre Djummo, 67 ans à l’époque, n’était pas forcément un cheveu dans la soupe car, il avait séjourné à la Commission bancaire d’Afrique Centrale (Cobac), où il avait déjà connaissance du dossier de la CBC en détresse, et dont le capital est détenu à 98% par l’Etat camerounais.
De sa riche expérience dans le secteur bancaire, il offrira également ses services à la Banque des Etats de l’Afrique centrale (Beac). Quoiqu’en retraite, il n’avait définitivement pas coupé le cordon avec le monde des finances et des affaires, puisqu’il exerçait, avant sa désignation, comme administrateur d’Afriland First Bank Cameroun et de la Société camerounaise d’équipement (SCE), tout en dirigeant un cabinet spécialisé dans l’audit et la restructuration bancaires.