Commerce extérieur: alerte rouge sur les devises dans les banques camerounaises
Cette rareté des monnaies étrangères cause un manque à gagner aux opérateurs car, les réserves de changes restaient estimées à 1,9 mois d’importations au 31 juin 2017
Dans son bulletin d’information publié le 16 janvier 2019, le secteur privé, à travers le Groupement inter-patronal du Cameroun (Gicam), se plaint de la rareté des devises dans les banques commerciales. Ce qui cause un manque à gagner aux opérateurs car, les réserves de changes restaient estimées à 1,9 mois d’importations au 31 juin 2017. Le Gicam cite l’Association professionnelle des établissements de crédit du Cameroun (Apeccam) qui révèle que, « les délais de traitement et de réponse aux demandes de devises par les banques commerciales à la Banque centrale sont devenus incertains et vont désormais de plusieurs semaines à plusieurs mois ». En outre, les banques commerciales sont notamment confrontées aux rejets de dossiers de demande de devises sans motif ou pour des motifs non portés à leur connaissance. « Les difficultés d’accès aux devises qui font traîner les ordres des clients pendant plusieurs semaines ou mois dans les banques dégradent ainsi la confiance des fournisseurs et des correspondants vis-à-vis de la Cemac.», se plaint le secteur privé.
Le Gicam propose une politique de rationnement de devises qui s’impose à l’ensemble des pays de la zone Cemac
Aujourd’hui des pans entiers de l’économie dépendent du commerce extérieur, notamment les industries dont l’essentiel des matières premières sont importées. Le pays est également dépendant de ses importations pour certains produits essentiels comme les médicaments, les matériels et engins industriels et importe également une grande quantité de produits alimentaires. Les difficultés d’accès aux devises qui font traîner les ordres des clients pendant plusieurs semaines ou mois dans les banques dégradent ainsi la confiance des fournisseurs et des correspondants vis-à-vis de la Cemac.
La proposition du rationnement
Le Gicam propose une politique de rationnement de devises qui s’impose à l’ensemble des pays de la zone Cemac. Elle devrait reposer sur le principe d’un arbitrage visant à orienter les réserves disponibles en devises vers les secteurs / opérations prioritaires pour l’économie camerounaise ainsi que vers les secteurs stratégiques afin de ne pas bloquer l’activité économique qualifiée « d’essentielle » dans les pays de la sous-région. Une circulaire de la Beac et/ou des trésors nationaux pourrait ainsi définir les secteurs prioritaires et/ou stratégiques et remplacer le mode First In-First Out (FIFO) dans la gestion des transferts à l’étranger.
Toujours selon le secteur privé, la définition de ces secteurs/opérations prioritaires devra tenir compte des orientations de politique économique, des nécessités sociales et des possibilités de substitution possibles au sein des pays. Ils pourraient ainsi concerner : les secteurs productifs (industrie, première et deuxième transformations,…) ; les secteurs à fort rendement fiscal (Filières agro industriel, NTIC, pétroliers,…) ; les secteurs stratégiques (hydrocarbures, exportations de produits de rente, médicaments, produits de première nécessité non manufacturés sur place…) ; les opérations d’investissements.
A l’opposé de ces secteurs/opérations prioritaires, la circulaire devra introduire des limitations conséquentes pour certaines opérations consommatrices de devises pour lesquelles des alternatives sont possibles ou qui peuvent être raisonnablement différées : importations de produits qui sont déjà manufacturés / disponibles sur place ; importations de produits non prioritaires (friperie,…) ; paiement des dividendes des actionnaires étrangers ; paiement des frais d’assistance technique (sauf urgence).
La Beac dénonce les pratiques peu orthodoxes des banques
«La problématique des avoirs extérieurs de la CEMAC et des transferts internationaux». Tel est le premier thème qui a ponctué la 10ème réunion annuelle de concertation, entre la COBAC, le régulateur du secteur bancaire dans les six pays de la CEMAC (Cameroun, Congo, Gabon, Tchad, Guinée équatoriale, et République centrafricaine), et les responsables des établissements de crédits en activité dans cet espace communautaire, organisée le 27 juin 2018 à Yaoundé. Abordant cette thématique, souligne le communiqué officiel ayant sanctionné les travaux de la capitale camerounaise, «le directeur général des études, finances et relations internationales de la BEAC, a relevé que la position extérieure nette des pays membres de la CEMAC continue de pâtir des pratiques peu orthodoxes des établissements de crédit». A en croire ce responsable de la Banque centrale, «pour la plupart, ces établissements s’inscrivent en marge de la réglementation applicable», en s’illustrant par des «manquements qui entachent les opérations de transferts», et brillent par le «non-rapatriement des recettes d’importation par le canal de la Banque centrale».
Pour rappel, au sortir du Sommet de crise des chefs d’Etats de la Cemac de décembre 2016, à Yaoundé, les chefs d’Etat des pays membres avaient prescrit la prise de mesures urgentes visant à arrêter la baisse drastique des réserves de change, qui exposait à une dévaluation du FCfa usité dans cette communauté. Aussi, la BEAC avait-elle entrepris d’être plus rigoureuse sur les conditions des transferts internationaux des fonds par les banques, au grand dam des opérateurs économiques, qui étaient alors montés au créneau ; notamment au Cameroun, où le principal importateur de poissons se plaignait de ne plus pouvoir payer ses fournisseurs à l’étranger, afin d’approvisionner le marché local. Interpellé sur la question le 21 mars 2018, au sortir de la première session du Comité de politique monétaire de la BEAC, pour l’année 2018, le gouverneur de cette banque centrale, le Tchadien Abbas Mahamat Tolli, s’était voulu plutôt rassurant. «Notre zone monétaire dispose de normes sur le transfert de fonds. Le respect de ces normes n’est pas un obstacle à l’activité économique. Par le passé, il y avait un certain laxisme. Les normes n’étaient pas appliquées avec rigidité. Aujourd’hui, nous avons des équipes qui étudient les dossiers de transferts, et aucun dossier n’est rejeté sans notification des motifs de ce rejet par la Banque centrale.»
Afin d’inverser la tendance des banques à ignorer la réglementation en matière de transferts internationaux, la rencontre du 27 juin 2018 à Yaoundé a donné l’occasion aux banquiers et au régulateur de l’activité bancaire, d’échanger sur les délais de traitement des opérations de transfert et de rapatriement des fonds, les motifs de rejet des opérations liées aux comptes en devises des résidents, la définition de la notion des avoirs injustifiés, le besoin de formation et d’accompagnement des établissements par la Banque centrale, ainsi que le principe de création d’un guichet unique.
Geoffroy Désiré Mbock, ex-secrétaire permanent du Groupe d’action contre le blanchiment d’argent en Afrique centrale (Gabac), a publié début mai, une tribune libre dans la presse camerounaise faisant état des volumes d’argent vendus, dans la zone Cemac (Cameroun, Congo, Centrafrique, Gabon, Guinée équatoriale, Tchad), au cours de la période 2013-2016. Citant une étude de la Commission bancaire d’Afrique centrale (Cobac), l’ancien responsable du Gabac révèle que, pendant la période sous revue, l’ensemble des pays de la Cemac a vendu 3050 milliards FCFA en contrepartie d’euros et 1434 milliards FCFA pour acheter des dollars US. Ce qui fait un total global de 4 484 milliards FCFA vendus via le change manuel en contrepartie de devises.
A cet effet, indique cette étude de la Cobac, sur les 3050 milliards vendus pour des euros, le Cameroun à lui seul totalise 1531 milliards, soit plus de la moitié des CFA vendus dans la sous-région
Le Cameroun, le Congo, et le Tchad apparaissent comme les plus gros acquéreurs de devises. A cet effet, indique cette étude de la Cobac, sur les 3050 milliards vendus pour des euros, le Cameroun à lui seul totalise 1531 milliards, soit plus de la moitié des CFA vendus dans la sous-région. Cela représente plus du quart du budget actuel dans le pays. Et sur les 1434 milliards cédés par la Cemac en contrepartie des dollars, le Cameroun a vendu 433 milliards FCFA. Soit un total de 1964 milliards sortis du territoire camerounais pour avoir des euros et des dollars. Deux autres données statistiques apparaissent : le Tchad a cédé 685 millions FCFA pour acheter des euros. Le Congo, quant à lui, a vendu 896,5 millions FCFA en contrepartie de dollars américains. Les autres pays de la Cemac, dont les données n’apparaissent pas dans l’étude citée, se partagent le reste du volume d’argent sorti de la sous-région.
Selon Geoffroy Désiré Mbock, il y a lieu de conclure que la saignée ci-dessus apparaîtrait certainement plus importante si les données intégraient les autres opérateurs et modes de transfert de fonds conventionnels. Il s’agit principalement des produits proposés par les banques pour les transferts de fonds intra-groupe : Africash, pour UBA ; Rapid Transfer et Cash Express, pour Ecobank ; Flash Transfer pour Afriland First Bank ; BGFI Express par Bgfi Bank et Wafacash pour le groupe Attijariwafa et les produits proposés par Express Union International. Auxquels, il convient d’ajouter les flux de transfert de fonds générés par les opérateurs de téléphonie mobile.