Climat social : le barrage de Nachtigal va-t-il sortir de la zone de turbulence ?
Le conseil d’administration de la Société camerounaise de construction du barrage de Nachtigal (CCN) a reconduit à la mi-avril le mandat du français Christophe Denat au poste de chef de ce projet. Le dernier acte d’une batterie de mesures prises par cette entreprise, dans le but de sortir définitivement le chantier de Nachtigal du cycle de mouvements d’humeur dans lequel il était empêtré.
C’était une visite aussi surprenante que discrète. Le vendredi 16 avril 2021, le colonel Jackson Kamgaing, directeur du génie militaire, effectue une visite du site de construction du barrage de Nachtigal. Une descente peu anodine, intervenue juste trois jours après que les ministres Gaston Eloundou Essomba de l’Eau et de l’Energie, et Grégoire Owona du travail soient parvenus à un accord avec les responsables de ce chantier et leurs employés, engagés dans un mouvement de revendication au sujet de leur condition de travail. La descente de ce haut gradé de l’armée a pourtant échappé à la plupart des médias qui étaient braqués sur cette grève et dont l’impact continue d’affecter l’évolution des travaux sur le site.
31 millions de pertes
Selon les responsables du consortium CCN en effet, les pertes causées par le mouvement d’humeur des employés de Nachtigal se sont élevées à près de 31 millions de francs Cfa. Les dégâts les plus importants ont été enregistrés au niveau du réfectoire, où les provisions stockées dans la chambre froide se sont avariées après qu’un groupe de manifestants ait entrepris de débrancher les groupes électrogènes qui en assurent le fonctionnement. L’entreprise a également été contrainte de prendre en charge le stationnement forcé des camions de ses fournisseurs, dont les cargaisons n’avaient pas pu être réceptionnées en raison de l’arrêt des travaux sur le site.
Autant d’écueils qui avaient amené Christophe Denat, le chef de projet, à mettre de l’eau dans son moulin et à céder à certaines revendications des employés. Le français avait ainsi consenti à attaquer le problème posé par son personnel à la racine, en s’engageant à régler la question du logement : l’un des principaux points de discorde.
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« La hiérarchie est retournée au respect de la loi », affirme un responsable des ressources humaines de l’entreprise. Car si l’arrêté n° 018/MTPS/SG/CJ du 26 mai 1993 du code du travail stipule que les primes de logement doivent être versées aux membres du personnel vivant entre 10 et 25 km du lieu de travail, aucune prime de ce genre n’était reversée aux employés du barrage par CCN. 65% de ce personnel réside pourtant à Batchenga, qui se trouve à 15 km du site. « Les responsables de CCN ont été induits en erreur au début du projet. Lors des recrutements, ils avaient privilégié une main d’œuvre « locale », en pensant que cela les affaiblirait afin de payer la prime de logement. Mais la loi c’est la loi », explique la même source.
Mesures d’apaisement
Pour y remédier, le chef de projet a depuis reversé 5 mois de rappel de cette prime qui représente 25% du salaire de base à l’ensemble du personnel. Elle a d’ailleurs été étendue à tout le personnel, y compris ceux vivant à Obala (40km du site) et qui ne sont pas concernés par l’arrêté de 1993. L’accès au réfectoire, la prime de nourriture et de transport ont aussi été étendus à l’ensemble du personnel. Des mesures qui ont ramené la sérénité dans les équipes de travail qui se sont activement remises à l’ouvrage. Et bien que des irrégularités aient encore été constatées sur les rémunérations de certains travailleurs, la situation est désormais bien loin de celle qui prévalait avant la crise.
A côté de ces mesures sociales, CCN a également pris de nouvelles dispositions sécuritaires drastiques. Sous la houlette de l’armée, des miradors et des checkpoints ont été installés à plusieurs points stratégiques du chantier. La force dissuasive a été renforcée sur le site, vraisemblablement le fruit de la visite du colonel Jackson Kamgaing. On y retrouve policiers, gendarmes et militaires. Les responsables de CCN ont encore en souvenir les frayeurs occasionnées par la furie d’employés en colère, qui avait intimé à tous les expatriés de libérer les bureaux. A ce titre, les 6 représentants du personnel et la vingtaine d’ouvriers licenciés n’ont pas été réintégrés, bien qu’aucun lien n’ait été établi entre eux et les auteurs du shutdown occasionné par les grévistes.
Avec le renouvellement du mandat de Christophe Denat, CCN fait le choix de la continuité. Cette décision sera-t-elle salutaire ? Le retour au calme laisse présager un déroulement serein des travaux pendant les semaines à venir. Les regards sont d’ailleurs tournés vers l’élection des membres du personnel qui devrait se tenir le 18 juin prochain. De quoi espérer une livraison à date de l’ouvrage dont les premiers kw sont attendus courant 2023.