Cemac : le marché des titres publics sous haute tension
Alors qu’il s’est imposé au cours de ces dernières années comme une place de choix pour la levée de fonds pour les trésors de la CEMAC, le marché des titres publics de la BEAC peine aujourd’hui à satisfaire aux besoins de financement des États. Politique monétaire, profils des émetteurs, faible activité sur le marché secondaire…, pourquoi malgré la liquidité abondante, les investisseurs de la région rechignent à prêter aux États.
Il y’a comme un air de crise de liquidités sur le marché monétaire de la Banque des États d’Afrique centrale(BEAC). Selon le rapport « Statistique mensuelle des valeurs du trésor » que vient de commettre la banque centrale, le taux moyen de souscription des Spécialistes en valeurs du Trésor aux opérations de levée de fonds des États de la CEMAC est passé de 89% en janvier 2023 à 66,5% en juin avant de plonger à 54,9% au mois d’ août. Traduction : les investisseurs réduisent au fur et à mesure leurs prêts aux États.
Cette tendance est encore perceptible sur les dernières opérations. Au cours de la semaine du 9 au 13 octobre dernier, le Trésor gabonais émetteur de BTA de 20 milliards FCFA sur le marché des adjudications n’a obtenu que 1,1 milliard de FCFA soit un taux de souscription de 5,5%. Libreville peut s’estimer heureux car une seconde opération d’abondement de 20 milliards FCFA a été déclarée infructueuse. Malgré 2 remboursements effectués le même jour pour un paiement global de 5,7 milliards de FCFA, le Tchad n’a pas mieux fait que 3,3 milliards sur 7 milliards recherchés via des BTA de 52 semaines soit moins de la moitié. Le Congo pour sa part s’en est tiré avec un peu plus de 16,7 milliards FCFA sur un objectif de 25 milliards FCFA. Jadis émetteur de référence sur le marché de la CEMAC, le Cameroun n’échappe pas à cette vague d’échecs. Une semaine plus tôt, le Trésor camerounais n’avait capté que 9,5 milliards FCFA sur des BTA de 26 semaines alors qu’il avait émis un besoin 20 milliards.
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L’envolée des taux
Pourtant, les banques principales investisseurs sur le marché disposent d’ un volant de liquidités assez intéressant. Au 30 juin 2023, la cinquantaine de banques en activité dans la région affichait un excédent de liquidités de plus de 7600 milliards FCFA en hausse de 44%. En effet, si les États échouent autant, lors des séances d’adjudication, c’est parce que les rendements sollicités par les investisseurs sont particulièrement élevés. Sur l’opération du Cameroun évoquée plus haut, les investisseurs ont sollicité jusqu’à 6% d’intérêts mais le pays a préféré se limiter aux offres se situant en dessous de 5,7%. La courbe des taux sur le marché est assez illustrative de ce durcissement des conditions d’emprunts. Selon la BEAC, le coût moyen des BTA sur le marché est passé de 5,39% en janvier à 6,29% en septembre tandis que les OTA, qui sont les titres de longue maturité, sont passés de 8,66% à 8,75%. Sur cet instrument, en dehors du Cameroun, aucun État d’emprunte en dessous de 8%. Le Tchad et la RCA paient même des taux de rémunération à 2 chiffres.
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Politique monétaire rigide
Le durcissement des conditions d’emprunts sur le marché monétaire est corrélé à plusieurs facteurs dont l’un d’eux est le resserrement de la politique monétaire en amont par la Banque centrale pour endiguer la hausse de l’inflation. La BEAC a relevé son taux directeur de 50 points de base à 5 % fin mars 2023 pour maîtriser la hausse de l’inflation et soutenir l’accumulation de réserves extérieures, soit une augmentation cumulée de 175 points de base depuis novembre 2021. Elle a également resserré les conditions de refinancement des banques, en mettant fin à ses injections hebdomadaires de liquidités dans le marché monétaire. Autant de décisions qui réduisent les capacités d’interventions des banques sur le marché. En dépit d’un basculement prudent de sa politique monétaire au cours des deux dernières sessions(Juin et septembre) le CPM a pour beaucoup été dans le durcissement des conditions d’emprunts sur le marché régional.
Profil émetteur
Autre élément non négligeable, c’est la perception du risque émetteur. Si les remboursements sont garantis par la BEAC via le mécanisme de débit d’office, la disparité des taux traduit bien une hétérogénéité dans la perception du risque souverain par les investisseurs de la région. Le Cameroun dont la note de crédit a été détériorée par les agences Moody’s et S&P a un peu perdu de sa notoriété sur le marché. Le taux moyen pondéré des BTA du pays est par exemple passé de 1,98% en 2021 à 4,30% en janvier 2023 puis à 5,67% en septembre. Ce qui illustre bien une prudence affichée par les investisseurs vis-à-vis de la première économie de la CEMAC. Objet d’ un coût d’État militaire en août, le Gabon continue de payer les frais de cette situation avec des taux particulièrement élevés qui lui sont servis sur ce marché. La RCA, le Tchad et la Guinée Équatoriale, pays non noté par les agences, paient naturellement plus cher sur leurs emprunts. C’est dans l’optique de sortir de cette spirale que le ministre centrafricain a récemment entamé les démarches d’obtention d’une note souveraine auprès de l’agence Bloomfield Investment.
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Marché secondaire
Au-delà de cette explication qui relève d’un fait de conjoncture, l’obésité qui caractérise aujourd’hui le portefeuille titre des banques pourrait également être une des raisons de la réduction de l’offre. Elles détiennent à elles seules plus de 77% de l’encours des titres en circulation à fin septembre 2023 ce qui selon la Beac « expose grandement le système bancaire au risque souverain ». A moyen terme, la capacité des SVT à soutenir cette dynamique pourrait se buter à moyen termes aux contraintes prudentielles visant à préserver le secteur bancaire en contenant son exposition aux risques souverains dans les limites acceptables. Pour la Beac, inverser la tendance de saturation actuelle passe inéluctablement par la dynamisation du marché secondaire ; celui auquel ont accès les particuliers. « Afin d’accroître la SVT à soutenir la dynamique croissante de ce marché sans être exposés aux contraintes prudentielles d’exposition au risque souverain, il est utile de mettre en place des stratégies visant à impulser le marché secondaire » explique la banque centrale. Dans la Cemac, les SVT ont l’obligation de céder annuellement au minimum 30% de leurs souscriptions des valeurs du trésor, et de participer annuellement à au moins 2% de l’ensemble des transactions sur le marché secondaire afin de le rendre dynamique. Des exigences qu’elles peinent à remplir et qui handicapent fortement le développement de ce marché.
Conséquences budgétaires
Dans la dynamique actuelle, il sera difficile pour les États de mobiliser des financements sur ce marché ce qui affectera l’exécution des budgets au cours des exercices à venir. Cette situation est de plus en plus plausible car pour les raisons évoqués plus haut la quasi-totalité de ces États rencontreraient des difficultés à lever à des coûts abordables des financements sur les marchés internationaux.