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Banques et Finances
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Cemac : comment résoudre l’équation du sous financement de l’économie

Pour une croissance forte et créatrice d’emplois, les économies de la Cemac avaient besoin d’un financement d’au moins 24500 milliards de F CFA en 2019. Mais ont reçu moins de 20% de cette enveloppe ; ce qui plombe le développement et hypothèque l’émergence. Entre des débiteurs qui ont du mal à rembourser et des banques « surliquides » et qui veulent éviter des défauts de paiement, l’on se dirige vers une impasse. Yannick Achille Fogne, expert camerounais en ingénierie financière, et auteur de « Fondement du capitalisme africain et réforme monétaire » propose des voies de sortie de cette impasse.

Qu’est ce qui, selon vous, explique la frilosité des établissements de crédits au Cameroun et en zone Cemac à accorder des crédits à l’économie ?

La frilosité des établissements de crédit au Cameroun et en CEMAC est le fait de trois principales raisons : la première est la difficulté des banques à maîtriser le risque de crédit. Selon le rapport sur la stabilité financière en CEMAC paru en 2019, le taux de créances en souffrance était de 21,2% des crédits bruts, soit 1 crédit sur 5 en valeur. Les instruments de maîtrise du risque déployés par les autorités monétaires et les banques sont encore insuffisants, car les informations qui sont prises en comptes sont assez partielles et en plus les banques ont du mal à être exigeantes avec les grandes entreprises. Il est difficile pour les analystes de crédit d’avoir le comportement de l’exhaustivité des engagements d’un client, ainsi que la réalité économique et comptable de son affaire. Par conséquent l’appréciation de la solvabilité et de la liquidité clients est le plus souvent biaisée.  Les grands clients de la place, à cause de l’étroitesse du marché font jouer leur pouvoir de négociation très fort et ne confient leurs engagements qu’aux banques qui font le plus de concessions, jusqu’à ne plus pouvoir lever le ton quand les choses commencent à aller de travers. La seconde raison est la structure des financements prévus par le système monétaire: en effet, le Franc CFA et la BEAC ne financent que la consommation, car la banque centrale ne dispose pas de guichets de refinancement des crédits à l’investissement, c’est à dire des refinancements sur 7 ans et plus. A consommer sans produire, les déficits commerciaux hors pétrole sont assez importants et ponctionnent les réserves de change qui servent de base pour l’émission de la monnaie à travers le crédit bancaire. Selon le rapport de la trésorerie française, le déficit commercial hors pétrole du Cameroun était de 2000 (deux mille) milliards en 2018, soit pratiquement 50% du Budget. La part de financement des investissements n’était que de 3% de l’encours de crédit en CEMAC en 2018. La troisième est l’environnement administratif et judiciaire qui ne consacre pas la protection des investissements et des investisseurs. Elles sont nombreuses les licences et autorisations octroyées et retirés sans compensation, les titres fonciers dument délivrés et annulés par la même chaine administrative, les débiteurs passe-droit faute de justice forte et bien d’autres.  Ces éléments sont de nature à compromettre tout schéma de financement et pousse les banques à reculer devant chaque imperfection. Ils pourraient constituer la cause indirecte de nombreuses défaillances.

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Quel impact ce « sevrage » aura, à court et à long terme, sur les économies de la sous-région et du Cameroun en particulier ? 

L’impact à court est l’entrée dans une impasse. Sur le long terme c’est la pauvreté qui va continuer de s’accroitre si des réformes substantielles ne sont pas apportées. Déjà le Cameroun par exemple est sous ajustement structurel depuis plus de 2 ans, car le service de la dette n’est pas aisé. N’eussent été les circonstances politiques défavorables et très risquées, la monnaie aurait peut-être été dévaluée. A l’issue de la crise des prix des matières premières de 2016, la banque centrale a eu deux options : dévaluer la monnaie pour maintenir la masse monétaire disponible en contrepartie de moins de réserves de change, ou réduire la masse monétaire pour réduire la demande en biens et services d’importation et par là la pression sur les réserves de change. C’est la seconde option qui a été retenue et la BEAC a relevé ses taux. En outre, Il n’est pas juste question de financer les entreprises, mais d’orienter les ressources vers celles qui produisent les réserves de change, soit directement à travers les produits exportations, soit indirectement en produisant localement les biens importés. La fiscalité et autres instruments sont disponibles pour le faire.  L’équation de base du système monétaire et financier en place est désuète et il faut la changer. Depuis une quinzaine d’années l’avenir du pétrole est de plus en plus compromis par l’émergence de nouvelles sources d’énergie, il est donc impératif et urgent de revoir le modèle économique et monétaire en place depuis l’époque coloniale pour le rendre moins dépendant du pétrole.

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Dans un contexte marqué par la hausse des créances en souffrance, comment encourager les banques (et microfinances) à accorder plus de prêts dès lors que le non-remboursement du crédit semble être un sport national ?

La discipline des débiteurs partout dans le monde entier est le fruit d’un système global de gestion du risque performant. Les autorités monétaires et assimilés doivent construire un système de gestion de risque solide. Les banques de leur côté doivent s’entendre pour mettre sur pied des covenants pour les grands clients. Cela revient pour les banques à faire une cartographie des risques qui se sont réalisés dans les dernières années et à adopter des exigences communes par niveaux d’engagement pour anticiper, de telle sorte que ces grands clients soient obligés de prendre un certain nombre de dispositions pour réduire les risques internes à leurs entreprises qui se répercutent généralement sur les banques lorsqu’ils se réalisent.

Les banquiers se plaignent souvent de la difficulté de réalisation des garanties, qu’en pensez-vous ?

Certes la facilité de réalisation des garanties constitue un atout au processus de crédit, mais en réalité l’objectif des banques n’est pas de réaliser les garanties. Rien que le fait qu’une traite ne soit pas payé à la seconde où c’est prévu ne constitue déjà un défaut. Arriver à la liquidation des garanties n’est que la dernière des options, il est plus important pour tout le monde d’améliorer la gestion prospective du risque. Parmi les clients défaillants une bonne proportion ne le devient pas volontairement, c’est bien souvent la conséquence de la mauvaise gouvernance dans leurs propres entreprises. La minorité qui devient défaillante de mauvaise foi doit être exclue du système ou sévèrement sanctionnée, et la gestion prospective du risque doit permettre d’alerter les clients dès qu’ils commencent à chavirer.

Eu égard aux effets positifs espérés de l’accès du plus grand nombre au crédit, existe-t-il (ou peut-on imaginer) une possibilité de contraindre les banques à accorder plus de prêts ?

On n’a pas besoin de contraindre les banques pour qu’elles accordent des crédits et services connexes qui leur font gagner du PNB (Produit net Bancaire). Il s’agit là des entreprises à but lucratif et elles sont assez matures pour savoir ce qu’elles ont à faire. Il faut construire un environnement moins risqué et les banques se feront du plaisir à créer plus de valeur pour l’actionnaire et plus d’intéressement pour les collaborateurs en accordant plus de crédit à l’économie.  

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Au demeurant, un assouplissement éventuel des normes prudentielles des banques et des microfinances permettrait-il au système de mieux financer l’économie ? Et dans ce cas, cela ne risque-t-il pas d’encourager le non-remboursement du crédit et ce faisant, accroître le risque de faillite ?

Il existe les normes prudentielles règlementaires issues des institutions comme la BRI (Banque internationale de règlements), et les normes internes à chaque institution. Pour ce qui est des normes prudentielles règlementaires la question de l’assouplissement ne se pose pas dans un monde où les capitaux à faible coûts affluent. Le problème comme nous l’avons dit plus haut c’est la faible maitrise des risques qui pousse les banques à plus de provisions, donc à consacrer les bénéfices qui auraient pu servir à capitaliser l’entreprise à la couverture des impayés. Néanmoins l’absence des guichets de refinancement à long terme empêche les banques de financer suffisamment l’industrie pour ne pas s’exposer au risque de liquidité ou au risque de refinancement. Cependant les techniques d’ingénierie financière et les financements désintermédiés permettent de réduire un certain nombre de contraintes règlementaires. Il faut développer le private equity et le marché financier, mais dans le contexte de la CEMAC il ne doit pas s’agir de transférer les risques que les banques subissent aux particuliers, ce qui serait fait si on développe la bourse sans prendre des mesures pour réduire le taux de créances en souffrance. La Douala stock Exchange qui aura 20 ans en 2021 devrait faire son bilan et revoir les préalables qui absents, ont empêché la place financière de décoller.  Nous développons suffisamment cette question dans notre ouvrage qui vient de paraître («Fondements du Capitalisme africain et Réformes Monétaires», 2020, Ed. St Honoré, Paris). Pour ce qui est des normes internes, les banques savent très bien quoi faire pour ne pas mettre l’épargne des ménages en danger.

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Que pensez-vous de l’article 8 de l’acte additionnel/06/17 de la COSUMAF de février 2018 qui veut obliger les banques, les assurances et certaines entreprises importantes du privé et du public à entrer en bourse ?

Cet acte complémentaire est un virage important pour l’économie locale et la gouvernance, car il viendrait chambouler la géographie du capital des principales entreprises de la place. Cependant, nous attendons encore les détails sur cette introduction forcée, car il sera surement précisé qui prend quels risques et qui assume quels autres ; étant donné que le principe de la liberté contractuelle est remis en question dans cette démarche. Nous attendons aussi les détails sur une loi de protection des entreprises stratégiques, car ces entreprises seront exposées aux OPA (Offre Publique d’Achat) hostiles qui peuvent aboutir à un contrôle total de l’économie locale par des investisseurs étrangers notamment chinois et occidentaux. Ce contrôle externe priverait l’Etat de certains leviers stratégiques et exposerait les entreprises à un démantèlement au profit des intérêts présents à l’étranger. L’introduction en bourse est un projet d’ingénierie financière qui doit être préparé minutieusement par l’entreprise, dans le cadre de sa stratégie de croissance et de déploiement. Le volume des actifs en jeux est assez important et nous pensons qu’il reste beaucoup de travail à faire pour faire de cette volonté un succès. Comme nous l’avons dit plus haut, il n’est pas question de transférer les risques encourus par les banques sur des investisseurs particuliers; et il ne serait pas question non plus avec cette démarche de mettre les acteurs locaux sur l’autoroute de la finance internationale sans préparation suffisante, car là-bas les erreurs ne se pardonnent pas.

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En quoi la réforme monétaire est-elle impérative pour résoudre ce problème ?

Jusqu’à il y a quelques années, la taille de la demande nationale et les prix des matières premières permettaient au système fondé en 1945 pour les colonies de financer aisément la consommation, mais depuis la chute des prix des matières premières en 2015 l’équation est faussée et les banques ont de plus en plus du mal à trouver les liquidités avec la politique d’austérité de la BEAC. Etant donné que l’or noir continue sa lente agonie, nous pensons que tout système qui est assis dessus est désuet pour l’avenir. Il est donc question de reformer le système monétaire pour lui permettre de faire efficacement face aux enjeux de l’avenir comme l’explosion démographique, le dérèglement climatique, la protection de la biodiversité et bien d’autres.

Comme disait Jean Baptiste SAY, l‘offre crée sa propre demande. Si la banque centrale émet la bonne monnaie et le gouvernement améliore l’environnement, les banques vont financer l’économie. Mathématiquement le modèle monétaire qui date de 1945 a atteint sa saturation et des réformes fondamentales s’imposent.

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De bonnes sources, la sous-région serait en pourparlers avec la France pour passer du FCFA à l’Eco. Serait-ce une avancée pour vous ?

Oui, en effet. Le ministre des Finances français, Monsieur BRUNO LEMAIRE a annoncé en 2019 l’ouverture de la France à une réforme ambitieuse du Franc CFA.  Cette disponibilité est une opportunité idoine pour mettre les bases de l’économie locale pour les prochaines décennies et nous pensons que les autorités locales y travaillent ardemment. Pour ce qui est de l’Eco, dans la forme; il s’agit de la dénomination de la futur monnaie unique de la CEDEAO. Déjà la polémique suite à la reprise du même nom par l’UEMOA pour remplacer le Franc CFA (XOF) n’est pas encore retombée, difficile de penser que la CEMAC viendrait en rajouter une couche. La monnaie est un instrument de souveraineté ; elle exige un minimum d’originalité et nous connaissons la créativité de nos responsables en CEMAC.  Pour ce qui est du fond, l’Eco de l’UEMOA est sans ambition économique, ce qui ne saurait être le cas pour la CEMAC au regard des enjeux que nous avons cités plus haut. Néanmoins nous pouvons dire que la démarche adoptée jusqu’ici reste perfectible. Une démarche impliquant les principaux acteurs dont les banques et les opérateurs économiques serait plus productive, dans la mesure où ces acteurs doivent s’engager à orienter leur création monétaire vers la production des biens générateurs de réserves de change. Si le système monétaire et financier futur ne crée pas les instruments de financement des investissements c’est que nous sommes loin d’être sortis de l’auberge. 

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