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Conjoncture

Catastrophe d’Eseka: que sont devenues les conclusions du rapport d’enquête ?

Trois ans après cette tragédie, EcoMatin fait une évocation des principales mesures prescrites par le chef de l’Etat, notamment l’audit de la concession de Camrail, la création d’une entreprise de patrimoine chargée de la gestion du chemin de fer ou encore la construction d’une stèle en mémoire des 79 morts.

A la suite de la catastrophe ferroviaire du 21 octobre 2016 dans les encablures d’Eseka (région du Centre), la pire survenue au Cameroun, le président de la République, Paul Biya, avait créé une commission d’enquête dont les conclusions, publiées sept mois après, soit en mai 2017, ont établi les responsabilités à titre principal de la Cameroon Railway (Camrail), le concessionnaire du chemin de fer camerounais. Dans un communiqué rendu public le 23 du même mois, le secrétaire général de la présidence de la République, Ferdinand Ngoh Ngoh, fera savoir qu’après avoir pris connaissance des conclusions du rapport d’enquête, le chef de l’Etat a prescrit cinq mesures principales, dans l’optique de limiter les risques de survenue d’une telle catastrophe à l’avenir : (i) L’audit de la convention de concession signée le 19 janvier 1999 entre l’Etat du Cameroun et la société Camrail, et des deux avenants conclus en 2005 et 2008. Paul Biya souhaitait savoir si effectivement les taches dédiées à la société Camrail ont été bien remplies. (ii) l’ouverture de discussions entre les partenaires au sein de Camrail pour une plus grande présence de l’Etat dans ladite société et une meilleure prise en compte des préoccupations sociales, notamment l’activité de transport voyageur.

Autorité aéronautique

L’Etat du Cameroun entendait ainsi reprendre la main dans le volet transport des personnes en termes de contrôles, de procédures, de ressources humaines, etc. Ceci implique une relecture du contrat avec le groupe Bolloré. Préalable pour lequel un avis d’appel à manifestation d’intérêt pour la présélection des cabinets, entreprises ou groupements, avait déjà été lancé en 2015, c’est-à-dire avant même la catastrophe. Sans suite. (iii) La création à brève échéance de la société de gestion du patrimoine du chemin de fer, prévue dans la convention de concession, qui sera chargée de l’entretien du réseau ferré ainsi que des projets de modernisation et d’extension de la voie ferrée. Cette entreprise est censée prendre la forme de l’Autorité aéronautique civile du Cameroun ou l’Autorité portuaire nationale. (iv) La prise des sanctions appropriées à l’encontre des responsables dont l’implication dans l’accident est reconnue dans le rapport d’enquête. (v) La transmission à la justice du rapport d’enquête, pour qu’elle en tire toutes les conséquences de droit. A ce jour, seules les deux dernières mesures ont été suivies d’effets. Même la stèle qui devait être érigée à Eseka pour la commémoration de cette tragédie n’a toujours pas été construite. Après la pose de la première pierre de ce mémorial, à l’occasion du premier anniversaire de la catastrophe, le 21 octobre 2017, plus rien n’a été fait, et le site est envahie par la broussaille.

Prison ferme

Pour mémoire, la catastrophe d’Eseka avait fait officiellement 79 morts et plus de 600 blessés. Selon les conclusions de la commission d’enquête créée par le chef de l’Etat, le train InterCity n° 152 avait fait l’objet, entre autres anomalies, de « surcharge du convoi, rallonge inappropriée de la rame, utilisation de voitures voyageurs dont plusieurs présentaient des organes de freinage défaillants, l’utilisation d’une motrice dont le freinage était hors de service, absence de vérification sérieuse de la continuité du freinage de la rame avant son départ de Yaoundé, refus de prise en considération, par la hiérarchie de Camrail, des réserves émises par le conducteur du train, du fait des anomalies suscitées ». Le 26 septembre 2018, le Tribunal de première instance (Tpi) d’Eseka, avait condamné la filiale du groupe français Bolloré, « pour homicide, blessures involontaires et activités dangereuses ».

Dans la foulée, 10 salariés avaient également été jugés coupables : l’ex-directeur général, Didier Vandenbon, avait écopé de six mois d’emprisonnement avec sursis pendant trois ans, contre cinq ans de prison ferme pour le conducteur du train. Huit autres employés avaient été condamnés à trois et six mois de prison avec sursis. Les responsables de Camrail, qui ont contesté ce verdict au motif que le procès s’était déroulé en « l’absence de toute expertise qualifiée et compétente, qui devait permettre d’établir de manière objective les véritables causes de ce tragique accident, et de les circonscrire définitivement afin de sécuriser davantage le chemin de fer camerounais », ont interjeté appel, et la décision finale dans cette affaire reste attendue.

Etat-Camrail : ce que prévoit la convention de concession

La convention de concession a été signée le 19 janvier 1999, pour une durée de 30 années. La reprise de l’activité ferroviaire est effective depuis le 1er avril 1999. Cette convention concède à Camrail : l’exploitation technique et commerciale des services de transport ferroviaire ; la maintenance, le renouvellement, l’aménagement et l’exploitation des infrastructures ferroviaires ; la gestion courante du domaine ferroviaire. Cette concession a connu un premier avenant en 2005, puis un deuxième signé le 04 novembre 2008, qui consacre des investissements destinés à l’acquisition du matériel roulant et à la modernisation des infrastructures et le matériel roulant. Cet avenant prévoit sur la période 2009-2020, des investissements de l’ordre de 230 milliards Fcfa dont 158 milliards à la charge du concessionnaire. À ce titre, deux locomotives neuves de type CC 3300 ont été mises en service le 20 avril 2010 et six nouvelles locomotives CC 2500 ont été réceptionnées en 20128.

En 2015, le concessionnaire a acquis neuf nouvelles locomotives de type CC 3300 fabriquées par la société Sud-africaine Grindrod. Chacune de ces locomotives dotées d’une puissance de 3 000 chevaux, offre la possibilité de tracter en moyenne 1 500 tonnes de marchandises. Côté matériel remorqué, 50 wagons plats ont été réceptionnés en 2013 ; 25 wagons citernes et 40 voitures voyageurs livrés. Camrail a également mis en en service le train direct InterCity entre Douala et Yaoundé. Celui-ci est a été mis hors service depuis la catastrophe d’Etat.

L’entretien de la voie ferrée, propriété de l’État, était confié à la Sitrafer de 2001 à 2010. Mais du fait des crises à répétition chez cet opérateur, dues notamment au non-paiement des salaires des employés, Camrail a ouvert ce segment de l’activité à la concurrence. L’entretien des voies est aujourd’hui assuré par quatre entreprises sous-traitantes: SCIN, Socarrema, NASMO et Sitrafer.

Dans le cadre du matériel de maintenance, Camrail a acquis et mis en service un autorail de contrôle de la voie le 03 décembre 2014. Cet engin de dernière génération d’une valeur de 2,3 milliards Fcfa permet de diagnostiquer la voie afin de déterminer avec précisions les anomalies de la voie et fournir des résultats en temps réel. Camrail poursuit aussi les travaux de réhabilitation de 175 km de voies entre Batchenga et Ka’a, sur le tronçon Yaoundé-Ngaoundéré. Elle a également procédé à la rénovation de ses ateliers, notamment, l’atelier Essieu avec l’acquisition, entre autres, d’une grenailleuse, des postes de magnétoscopie et d’une machine DALIC pour la métallisation des fusées. Mais, beaucoup de promesses restent non tenues de la part de la filiale du groupe Bolloré, qui invoque depuis quelques années des tensions de trésorerie. 

A titre de rappel, Camrail gère un réseau à voie unique d’environ 1 000 km, et à écartement métrique, appelé Transcamerounais (Transcam). Ligne 1 (Douala-Yaoundé) : 262 km; ligne 2 (Yaoundé-Ngaoundéré) 662 km ; ligne Ouest (Douala-Mbanga) : 74 km, et ligne Mbanga-Kumba (27 km). 38 gares sont présentes sur le réseau qui compte 658 ouvrages d’art, 2 194 ouvrages hydrauliques, 35 ponts métalliques, 3 viaducs et 4 tunnels. Les lignes Otélé – Mbalmayo et Mbanga – Nkongsamba étaient autrefois exploitées, mais elles ont disparu lors de la privatisation, en 1999. Pour mémoire, l’actionnariat de Camrail est réparti ainsi qu’il suit : SCCF (Groupe Bolloré) : 77,4 % ; Etat Camerounais : 13,5 % ; Total Cameroun : 5,3 % ; et SEBC (Groupe Thanry) : 3,8 %.

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