Cameroun : Comment la dette extérieure accélère la fuite des capitaux (Rapport)
La Banque centrale commune aux six pays de la Cemac vient de publier un rapport qui analyse le lien bidirectionnel entre la fuite des capitaux et le niveau d’endettement au Cameroun.
Selon les informations de la Caisse autonome d’amortissement (CAA), organisme d’État en charge de la gestion de la dette publique, le Cameroun affiche une dette extérieure évaluée à 8 272 milliards, en hausse de 11,4% en glissement annuel, et de 2,4% en glissement trimestriel. Sa composition par type de créancier est de 44,6% pour la dette multilatérale (institutions financières internationales) ; 42,7% pour la dette bilatérale (autres pays développés), et 12,7% pour la dette commerciale (banques). Nonobstant le fait que sa dette représente 30,6% du PIB, le Cameroun présente, selon la CAA, un risque de surendettement extérieur élevé. En outre, les indicateurs de développement ne croissent pas au même rythme que le niveau d’endettement, ce qui peut laisser penser à une potentielle fuite de capitaux préjudiciable pour le processus de développement du pays. Pour les profanes du secteur financier, la fuite des capitaux est considérée comme « toute sortie normale ou anormale de capitaux car ces dernières limitent la capacité d’importation, de remboursement de la dette et d’investissement des pays », Ndikumana et Boyce, 2013.
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S’inspirant des données évoquées supra, des experts de la Banque centrale commune aux six pays de la Cemac proposent une étude qui met en exergue le lien bidirectionnel entre la fuite des capitaux et le niveau d’endettement au Cameroun. Ce soupçon est d’autant plus avéré que, diverses études ont montré que « le niveau de fuite des capitaux est important en période de hausse de la dette extérieure ». Pour preuve, la croissance de cet encours à fin septembre 2022 explique l’organisme, est principalement liée aux décaissements effectués dans le cadre du Programme économique et financier 2021- 2024 avec le FMI. Car, au cours de l’année 2022, le Cameroun a reçu du FMI 114,6 milliards à travers le Mécanisme élargi de crédit (Medc) et la Facilité élargie de crédit (FEC). Aussi, il y a eu un décaissement de 45,9 milliards de la France. Bien plus, « la fuite des capitaux alimentée par la dette extérieure, est celle où le gouvernement camerounais s’endette pour financer l’accumulation d’avoirs privés via les mécanismes illicites que sont les détournements de fonds des comptes publics vers les comptes privés, les dessousde table (commissions) lors de la passation des marchés publics, les gonflements des prix d’achat (mercuriale) et les projets fantômes. Ensuite, les bénéficiaires de ces dispositifs détournent l’argent de prêts qui est placé en lieu sûr dans des comptes extérieurs. Dans le cas de l’emprunt étranger alimenté par la fuite des capitaux, le lien direct s’opère en sens inverse : les détenteurs d’actifs privés commencent par déplacer les fonds sur un compte offshore, avant de réemprunter l’argent auprès de cette même banque, une manœuvre permettant de blanchir l’argent, en dissimulant l’origine des fonds en question afin de n’éveiller aucun soupçon sur l’autorité publique », affirment les chercheurs.
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Quelques propositions ont été faites par l’institution d’émission monétaire pour atténuer la fuite des capitaux au Cameroun. « Les autorités devraient ainsi poursuivre les efforts en faveur de la réduction du phénomène de corruption dans la scène publique et promouvoir une gestion transparente des ressources naturelles du pays, et principalement les ressources pétrolières et forestières. Cela pourrait passer par l’exigence des sociétés pétrolières de s’arrimer à la nouvelle réglementation des changes qui permet de mieux contrôler les sorties et entrées de capitaux. » Conformément aux investigations menées par la Conac, et aux décisions rendues par le Conseil de Discipline Budgétaire et financier (Cdbf) du Contrôle supérieur de l’Etat, et le Tribunal Criminel Spécial, le Trésor public a perdu 43,947 milliards pour des affaires de corruption et des infractions assimilées en 2021. En outre, une conditionnalité adéquate accompagnant la dette extérieure, de la part des bailleurs de fonds pourrait réduire la fuite des capitaux. Cette conditionnalité devrait se concentrer sur la façon d’assurer une meilleure gestion des finances publiques. La poursuite de la diversification des économies et des réformes institutionnelles, tant au niveau national qu’au niveau communautaire, serait aussi indispensable. Rappelons que pour réduire les sorties illicites de capitaux, la Beac a renforcé son dispositif de contrôle des capitaux dans le cadre de la réglementation des changes depuis 2017, et a permis de mieux contrôler les transferts sortants et de rejeter des dossiers frauduleux et non conformes d’une valeur d’environ 229,1 milliards entre janvier et novembre 2017, sur un total de 1 296,5 milliards.
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