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Autoroute Yaoundé-Douala : les mauvais comptes du ministère des Travaux publics

Pour la réalisation des mêmes travaux, le ministre des Travaux publics, Emmanuel Nganou Djoumessi et ses collaborateurs ont présenté au Premier ministre, Chef du gouvernement et à la presse des montants d’avancement financiers différents et dont l’écart se monte à 23 milliards de FCFA. Dans le même temps, Emmanuel Nganou Djoumessi mène un plaidoyer pour l’obtention d’un financement supplémentaire évalué à 71,2 milliards de FCFA, alors que la consistance de départ de cette autoroute a été réduite, et que l’on s’achemine sans doute vers un troisième report de la date de livraison des travaux de cette infrastructure censée relier les deux principales villes du Cameroun. Lire l’enquête de EcoMatin.

La confusion règne à l’immeuble Émergence, siège du ministère des Travaux publics (Mintp), sur le coût des travaux déjà réalisés de la première phase de l’autoroute Yaoundé-Douala. Lors du conseil de cabinet tenu le 29 juillet dernier, le chef de ce département ministériel a indiqué qu’« à ce jour, le taux d’exécution physique est de 91% » et « l’avancement financier à date (montant facturé hors taxes-HT) est de l’ordre de 79,32 %, soit 225,259 milliards FCFA pour un taux de décaissement d’environ 81,91%, soit 184,517 milliards FCFA (y compris l’avance de démarrage) ». En d’autres termes, selon les spécialistes en management des projets, le coût HT des 91% de la première phase de cette infrastructure routière est évalué à 225,259 milliards de FCFA.

Mais trois semaines plus tard, les services de communication du Mintp ont produit des chiffres différents pour un même taux de réalisation physique. De leur compte rendu de la visite de presse, organisée le 18 août sur le long de l’itinéraire de cette section de l’autoroute, et publié sur le site internet du Mintp, l’on apprend plutôt que « l’avancement financier du projet (HT, NDLR) est de l’ordre de 87,51 %, soit 248,55 milliards pour un décaissement d’environ 202,274 milliards (y compris l’avance de démarrage) », pour « un taux d’exécution physique de 91% ». En d’autres termes, le coût des 91% de la première phase de cette infrastructure routière est désormais chiffré à 248,55 milliards de FCFA. Ce qui fait une hausse de plus de 23 milliards par rapport à l’évaluation communiquée par Emmanuel Nganou Djoumessi au Premier ministre et aux autres membres du gouvernement le 29 juillet.

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Révélations troublantes

Les services de communication n’ont pas expliqué ces changements et nos sources à l’immeuble Émergence se sont refusées à tout commentaire. Mais, il est difficile de ne pas faire un lien entre ces modifications et l’enquête publiée 10 août 2020 par l’édition en ligne du magazine Investir au Cameroun. Cet article a jeté un sérieux doute sur le coût des « travaux de la section courante non pris en charge dans le montant initial du marché », estimé par le Mintp.

Depuis quelques mois, Emmanuel Nganou Djoumessi mène un plaidoyer pour l’obtention d’« un financement supplémentaire évalué à 71,2 milliards de FCFA HT (soit 84,9 milliards TTC), nécessaire pour l’achèvement de la première phase de l’autoroute Yaoundé-Douala et la réalisation des prestations additionnelles ». Il l’a fait au Sénat le 18 juin et dans les services du Premier ministre lors du conseil du cabinet du 29 juillet. Selon les informations fournies à ces occasions par le ministre, 45 milliards devraient servir à la construction des voies et ouvrages de raccordement de la première section de l’autoroute au réseau routier et 40 milliards au financement des travaux « non pris en charge dans le montant initial du marché ».

Mais ces 40 milliards sollicités par Nganou Djoumessi pourraient bien ne pas être nécessaires. A nos confrère de Investir au Cameroun, l’ex ministre des Travaux publics, alors en poste au moment de la passation de ce marché, Patrice Amba Salla, assurait en effet qu’il est possible que l’enveloppe de base (284 milliards HT et 338,7 milliards TTC) suffise à réaliser la première phase de l’autoroute. Les chiffres fournis aujourd’hui par son successeur le prouvent d’ailleurs. En effet, si la réalisation de 91% du projet nécessite 225,259 milliards de FCFA, comme l’affirme lui-même l’ancien ministre de l’Économie, une simple règle de trois permet de constater que les 9% restant devraient coûter 22,3 milliards. Les 58,7 milliards encore disponibles dans la cagnotte de départ seraient donc largement suffisants pour achever la première phase de cette autoroute.

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Contre-vérités

Il n’est pas exclu qu’en portant l’avancement financier du projet de 225,259 à 248,55 milliards, le Mintp veuille masquer cette réalité en délaissant le financement encore disponible pour ce projet de plus de 23 milliards de FCFA. Une hypothèse d’autant plus plausible que l’ingénieur de l’État biaise depuis les faits pour servir son plaidoyer.

En effet, devant le Sénat et au conseil de cabinet, Emmanuel Nganou Djoumessi a justifié « les travaux complémentaires pour l’achèvement de la section PK40-PK60 » par « la modification du profil en travers de l’ouvrage ». À l’en croire, l’accroissement des travaux, donc des coûts, a été induit par le passage d’« une route expresse en 2×2 voies sur 68,3 km (26 m de plateforme), avec une vitesse de référence de 100 km/h et 25 km de voie de rétablissement, pour un coût de 568 millions de dollars, soit 284 milliards FCFA (hors taxes) » à « une autoroute en 2×2 voies, extensible à 2×3 voies avec une vitesse de référence de 110 km/h », réalisée en ce moment.

Et pourtant, si l’on s’en tient au marché public souscrit et signé en janvier 2014 (voir fac-similé), par China First Higway Engineering Compagny Ltd (CFHEC), adjudicataire des travaux de construction de la première phase de l’autoroute Yaoundé-Douala, la consistance des travaux a plutôt été réduite. Selon le descriptif des prestations, contenu dans ce document, il était plutôt question de construire une autoroute 2×3 voies sur 68,3 km avec une vitesse de référence de 110 km/h et « 25 km de voie de rétablissement » pour un montant HT de 284 milliards de FCFA.

Hors, actuellement, non seulement l’on réalise « une autoroute en 2×2 voies, extensible à 2×3 voies», le linéaire de l’infrastructure a été réduit de 68,3 à 60Km et on ne parle même plus des « 25 km de voie de rétablissement ». Comble des combles, Emmanuel Nganou Djoumessi sollicite un financement supplémentaire, pour l’instant estimé à près de 40 milliards de FCFA, pour achever les mêmes travaux. « Le marché prévoit que le linéaire définitif soit arrêté au vu des études d’exécution. Je ne comprends pas, pour ma part, comment surcoûts et réduction du linéaire se conjuguent », commente une source proche du dossier. 

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Imbroglio financier sur les infrastructures de raccordement 

Le gouvernement veut mettre en exploitation les 60 premiers kilomètresde l’autoroute, qui doit relier à terme Yaoundé et Douala. Pour cela, il faut construire les voies de raccordement pour relier la première section de l’autoroute au réseau routier. Le premier ouvrage d’une longueur 10 km est une route (2 X 2 voies) permettra de rallier le PK00 de l’autoroute en partant de la poste centrale situé au centre de la ville de Yaoundé. Le deuxième ouvrage de raccordement se fera sur un linéaire de 13 km et partira de Bibodi (PK 60) pour rejoindre la route nationale N° 3 au niveau de Boumnyebel.

Comme pour l’autoroute, l’évaluation de ces travaux est au centre d’un imbroglio. « Les études de raccordement sont en cours de réalisation par le groupement de Bet Scet-Tunisie/Louis Berger, dans le cadre d’un marché complémentaire. Les études préliminaires sont disponibles pour un coût prévisionnel des travaux estimé à 45 milliards FCFA », a indiqué le ministre des Travaux publics, Emmanuel Nganou Djoumessi, lors du conseil de cabinet du 29 juillet.

« Une étude de faisabilité a été réalisée en ce sens par l’entreprise et prend en compte les travaux suivants : le raccordement au réseau urbain de la ville de Yaoundé par Minkoameyos et le raccordement à la N3 par Boumnyebel, pour un montant d’environ 108 milliards de FCFA », avance pour leur part les services de communication dans le compte rendu de la visite de presse, organisée le 18 août sur le long de l’itinéraire de cette section de l’autoroute. « Une étude optimisée réalisée par Scet/Tunisie est en cours pour réduire ce coût et arrêter le montant final », ajoute le document. Ce qui pousse à s’interroger sur les desseins de la communication de ces montants provisoires.

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La mise en service des 60 premiers kilomètres n’est pas pour demain

Depuis le mois de juin 2020, l’incertitude plane sur la date de livraison des60 premiers kilomètres de l’autoroute Yaoundé-Douala. Selon le calendrier réactualisé des travaux, le chantier devrait être livré le 30 décembre 2020. Mais lors de son passage au Sénat le 18 juin dernier, le ministre des Travaux publics a indiqué que cette date ne sera pas respectée. La crise sanitaire due au Covid-19 va générer un « glissement dont l’impact reste à apprécier », avait déclaré Nganou Djoumessi.

Lors de la visite de presse, organisée le 18 août sur le long de l’itinéraire de cette infrastructure, l’on a appris que China First Highway Engineering Company Ltd (CFHEC), l’entreprise en charge de conduire les travaux, négocie une troisième rallonge des délais auprès du gouvernement. Il faut dire que la première phase de cette infrastructure qui doit, à terme, relier les deux capitales du pays (196 km), débutée le 13 octobre 2014, pour une durée de 48 mois, a déjà connu deux prolongations de 12 (13 octobre 2018 au 12 octobre 2019) et 14,5 mois (13 octobre 2019 au 31 décembre 2020).

Selon le directeur des investissements routiers au ministère des Travaux publics (Mintp), CFHEC a proposé la date du 31 octobre 2021mais Nganou Djoumessi aurait opposé une fin de non-recevoir à cette requête. « Le ministre des Travaux publics entend apprécier jusqu’à la fin des délais contractuels, tous les efforts que doit faire l’entreprise », indique Simon Pierre Mbousnoum.

Pour soutenir sa demande, le constructeur chinois évoque en plus de l’impact de la crise sanitaire due à la pandémie du Covid-19, la laborieuse démolition des masses rocheuses entre PK 40 et PK 60 et les difficultés rencontrées dans les travaux de terrassement en cours sur ce même tracé. China First Highway Engineering indexe aussi les retards dans la libération des emprises et surtout dans le paiement des décomptes. En effet, selon les chiffres avancés par le Mintp, les impayés des travaux exécutés par CFHEC s’élèvent à 40,742 milliards de FCFA. De cette somme, 38,956 milliards de FCFA doivent être décaissés par Eximbank China et de 1,785 milliards de FCFA par l’État du Cameroun au titre des fonds de contrepartie.

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Mais le bailleur chinois conditionne le décaissement de cette somme par le paiement des fonds de contrepartie et la signature du document consacrant le mécanisme de remboursement du prêt adossé au projet. Selon Emmanuel Nganou Djoumessi, le ministère de l’Économie a soumis ce document aux services du Premier ministre pour sanction le 9 juillet 2020. « L’opérationnalisation de ce mécanisme est un engagement lié à la convention, qui stipule qu’après 70% de décaissement du montant du prêt, un mécanisme de remboursement doit être signé entre les deux parties avant tout autre décaissement par le partenaire financier », expliquait-il lors du conseil de cabinet du 29 juillet 2020.

En plus de l’achèvement de ces travaux, la mise en service de la première portion de l’autoroute Yaoundé-Douala est par ailleurs conditionnée par la construction de deux voies de raccordement sur un tracé de 25 km. Et les études de faisabilité de ces ouvrages sont seulement en cours. Par ailleurs, les autorités ont opté pour un partenariat public-privé (PPP) pour l’exécution de ces « travaux supplémentaires ». Les négociations du PPP avec China Communications Construction Company (CCCC), maison-mère du constructeur de l’autoroute, sont aussi en cours.

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