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Autoroute Kribi-Lolabé : les dessous de l’attribution du marché à la chine

L’Empire du Milieu s’est notamment appuyé sur les difficultés de son partenaire à respecter ses engagements financiers pour s’adjuger la gestion de cette infrastructure stratégique.

Pékin nie se servir de ses prêts aux pays en développement pour prendre le contrôle de leurs infrastructures. Mais le processus d’attribution de l’exploitation de l’autoroute Kribi-Lolabé (38,5 km) au constructeur chinois CHEC rencontre une tout autre histoire. D’où l’omerta qui entoure ce sujet qui, selon les dispositions légales, devrait pourtant faire l’objet de publicité. 

« L’entreprise China Harbour Enginnering Company Ltd (CHEC) est déclarée adjudicataire du contrat de partenariat pour la conception, le financement, la construction, l’équipement, l’exploitation et la maintenance de l’autoroute Kribi-Lolabé (38,5 km), voie d’accès au port en eau profonde de Kribi, et la voie de raccordement (4,5 km) de la Régionale N°8 (Yaoundé-Olama-Kribi-Campo) à la Nationale N°7 (Edéa-Kribi) », a juste consenti à indiquer le ministre des Travaux publics le 20 février 2020. Comme pour anticiper la polémique, Emmanuel Nganou Njoumessi précise, dans ce communiqué d’une phrase, que la procédure d’adjudication s’est déroulée « dans le respect de la réglementation en vigueur ».

Procédure non concurrentielle

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Pourtant, pour attribuer la gestion de cette infrastructure stratégique à la multinationale chinoise, par ailleurs en charge de la construction du port en eau profonde de Kribi, le gouvernement camerounais a pour le moins contourné plusieurs dispositions réglementaires. Il s’agit notamment des articles 8 et 9 de la loi du 19 décembre 2006 qui fixe le régime général des contrats de partenariat notamment public-privé (loi CP). Le premier article exige de recourir à un appel à concurrence pour la passation des contrats de partenariats et le second prévoit que ce processus se réalise en trois étapes (la présélection, le dialogue de pré-qualification et l’adjudication).

Le décret du Premier ministre du 24 janvier 2008 (décret CP), qui précise les modalités d’application de cette loi, est encore plus clair. Selon l’article 13 de ce texte, le processus de passation d’un marché de contrat de partenariat doit être constitué de l’appel public à manifestation d’intérêt ; l’appel d’offres restreint ; la présentation ; le dialogue de pré-qualification ; l’adjudication ; la notification des résultats ; la signature du contrat.

Pourtant, il n’y a jamais eu d’appel à manifestation d’intérêt encore moins d’appel d’offres restreint. Beaucoup de Camerounais ont même été informés à la fois du choix du Cameroun de gérer l’autoroute Kribi-Lolabé en partenariat public-privé (PPP) et de l’attribution de son exploitation à CHEC dans le communiqué du Mintp du 20 février. 

Au ministère des Travaux publics, on évoque notamment le décret du Premier ministre, du 31 juillet 2014, modifiant et complétant certaines dispositions de celui du 24 janvier 2008, pour justifier le non-recours à une procédure d’appel à concurrence. « Lorsque les circonstances l’exigent, le Premier ministre peut, après avis de l’organisme expert (Conseil d’appui à la réalisation des contrats de partenariats -CARPA-, NDLR), autoriser l’administration publique initiatrice du projet à engager directement le dialogue de pré-qualification avec un candidat dans le cadre de la procédure de sélection d’un contractant », dispose l’alinéa ajouté à l’article 13 par ce décret.

Mais pour CPCS, cette disposition n’autorise pas d’escamoter les premières étapes de la procédure. La firme canadienne d’experts-conseils en gestion dans le secteur des infrastructures l’indique dans le rapport diagnostic sur le cadre légal, réglementaire et institutionnel des PPP au Cameroun, réalisé en janvier 2019, pour le compte de la Banque mondiale. « Puisque la loi CP prévoit toujours un appel public à concurrence », explique CPCS, l’alinéa ajouté à article 13 « permet simplement d’engager le dialogue de pré-qualification uniquement avec l’un des candidats présélectionnés plutôt qu’avec tous les candidats présélectionnés ». 

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Pressions

Mais pourquoi le Cameroun a-t-il pris tant de risque juridique pour confier l’exploitation de l’autoroute Kribi-Lolabé à CHEC ? « Cette entreprise a fait une offre financière et commerciale intéressante pour l’État du Cameroun », tente-t-on de justifier au Mintp, tout en refusant de s’étendre sur le contenu de cette offre financière et commerciale. Les experts estiment pourtant qu’il est difficile d’arriver à la conclusion des autorités camerounaises en l’absence d’offres concurrentes. « Cette mise en concurrence des opérateurs pour le marché (…) est considérée comme bénéfique pour les consommateurs-usagers en termes de prix et de qualité de service, ou encore en termes de réactivité des offreurs à la demande », renchérit, le président du CARPA, Dieudonné Bondoma Yokono, dans son ouvrage intitulé « Les partenariats public-privé », paru fin 2019 aux éditions Afrédit.

En réalité, les marges de manœuvre du gouvernement camerounais sont réduites dans ce dossier. La Chine, premier bailleur de fonds du pays a suspendu, en juin 2018, les décaissements de fonds à son profit. Pour lever cette suspension, indique une note de présentation de la coopération entre les deux pays, préparée par le ministère camerounais de l’Économie, de la Planification et de l’Aménagement du territoire (Minepat) à l’occasion de la visite Yang Jiechi, directeur du bureau de la Commission des affaires étrangères du Parti communiste chinois en janvier 2019, Pékin exigeait notamment que l’exploitation de l’autoroute Kribi-Lolabé se fasse en PPP.

L’Empire du Milieu demandait en conséquence que l’opérateur de l’autoroute soit désigné et l’accord relatif au compte séquestre, chargé de garantir le remboursement des sommes investies dans le projet, soit signé. Selon nos informations, c’est d’ailleurs cette demande qui explique que la réalisation de cette infrastructure, débutée en 2015 sous la forme d’un marché public traditionnel passé de gré à gré, se soit transformée en cours d’exécution, six ans plus tard, en un contrat de partenariat. 

Par ailleurs, la Chine a clairement signifié au gouvernement camerounais qu’il souhaitait que l’exploitation de cette autoroute soit confiée à CHEC. « La société chinoise CHEC, qui a préfinancé la contrepartie camerounaise à hauteur de 68 083 907,40 USD soit environ 38 597 096 540 FCFA, voudrait participer à la gestion de cette autoroute », lit-on dans la même note. D’un coût de plus de 260 milliards de FCFA, l’autoroute a donc finalement été entièrement financée par la Chine, augmentant sa capacité de pression.   

Cette dynamique pourrait se poursuivre dans l’avenir. Dans le cadre de la politique de densification du portefeuille de coopération avec la Chine, des fonctionnaires au Minepat proposent que le Cameroun songe « à explorer de nouveaux modes de financement (PPP, BOT -Built-Operate-Transfert- et affacturage) et à financer ses infrastructures contre l’exploitation des ressources naturelles ». Une option qui pourrait contribuer à faire davantage de la Chine un prédateur plutôt qu’un investisseur.

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