Affaire Savannah Energy : les dessous du deal entre le Cameroun et le Tchad
Le Cameroun et le Tchad sont plus que jamais revenus à de meilleurs sentiments et la crise diplomatique qui se dessinait jusqu’ici s’est clairement désamorcée. Sur la table du dialogue, Yaoundé et N’Djamena ont accepté de faire un ensemble de concessions qui devraient profiter au 2 parties. Au détriment de Savannah Energy ?
« Je pense que les bruits ont été solutionnés, les nuages ombrageux qui semblaient peser dans nos rapports ont été éclairés et le Cameroun et le Tchad voient désormais dans la même direction ». La déclaration du ministre Tchadien secrétaire Général à la Présidence de la République, Gali Ngothe Gatta, au sortir d’une séance de travail au palais de l’Unité à Yaoundé, le 19 mai 2023 laisse clairement entendre que la hache de guerre entre Yaoundé et N’Djaména au sujet du Pipeline a définitivement été enterrée. Le 26 avril dernier, Ferdinand Ngoh Ngoh, porteur d’un pli fermé du Président Paul Biya à son homologue Tchadien, annonçait déjà les prémisses de l’accalmie au lendemain du rappel par N’Djamena de son ambassadeur au Cameroun. « Toutes les questions ont été abordées et certaines incompréhensions ont à cette occasion été dissipées », avait, pour sa part, confié le secrétaire général de la présidence de la République du Cameroun. Pour en arriver là, les 2 présidences ont dû faire un ensemble de concessions.
*Accord de Yaoundé pour l’acquisition de Pétronas*
D’abord, le Cameroun a accepté de faire sauter le verrou sur l’acquisition par le Tchad des actifs de la compagnie malaisienne Pétronas. Le dossier introduit le 13 février devant les autorités de la concurrence de la Cemac avait jusqu’ici reçu le feu vert de toutes les capitales de la sous-région sauf Yaoundé. « Le Tchad, dans le cadre de l’acquisition des actifs de Petronas a déposé, en accord avec cette dernière un dossier d’agrément en bonne et due forme comprenant le contrat de cession signé entre le Tchad et Petronas auprès des services en charge de la concurrence de la Cemac, conformément à la règlementation communautaire en vigueur. À ce jour,plus d’un mois après, il revient que seul le Cameroun n’a pas répondu aux lettres de demande d’avis de non-objection adressées par la Cemac à chaque ministre en charge du commerce des pays membres, lettres utiles à la convocation de la commission de concurrence qui devra statuer sur l’acquisition des actifs de Petronas par le Tchad » avait dénoncé la présidence Tchadienne dans un communiqué signé le 20 avril.
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Chose promise chose due. Le 15 mai dernier une décision du président de la Commission de la Cemac, le Daniel Ona Ondo, autorise la compagnie pétrolière publique tchadienne de boucler la reprise des parts de la compagnie malaisienne, la preuve que Yaoundé a tenu son engagement. « Est compatible avec les règles du marché commun au sein de l’Union économique de l’Afrique centrale, l’acquisition de la société Petronas Carigali Chad Exploration & Production inc par la société des hydrocarbures du Tchad(SHT) » peut-on lire dans la décision. En vertu de cette acquisition, N’Djamena détient désormais une part majoritaire dans le système de production et de transport de son brut, soit 60% des parts dans le champ pétrolifère de Doba, 59,82% dans Tchad Oil Transportation Company (Totco), en charge du tronçon tchadien du pipeline (1 070 km) reliant le Tchad au Port de Kribi, et 53,77% dans Cameroon Oil Transportation Company SA (Cotco), en charge du tronçon camerounais de l’oléoduc et de l’infrastructure de stockage située au port de Kribi.
*Gentlemen agreement*
En, contrepartie, renseigne la décision de la commission de la Cemac, le Tchad s’est engagé à céder à la SNH, une partie des participations de la SHT dans Cotco. Ce qui permettra au Cameroun de monter lui également dans l’actionnariat, lui qui pour le moment, ne détient qu’une part minoritaire de 5,17%. Lors du rachat par la SHT des 25 % de Chevronsur l’oléoduc en 2014, le Cameroun avait demandé que le Tchad lui cède une partie. Malgré un accord de principe de l’ancien président Idriss DébyItno, la partie tchadienne n’avait pas donné suite. Près de dix ans plus tard, et après l’annonce en 2021 de la vente des parts d’ExxonMobil et Petronasau Tchad, le Cameroun était revenu à la charge. L’ancien ministre camerounais Amadou Ali, était parti le 15 avril 2022 pour rencontrer le Président tchadien et lui demander à nouveau que le Tchad accepte de céder à son pays une partie des pourcentages autrefois entre les mains d’ExxonMobil et Petronas. Demande qui est restée lettre morte.
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En s’offrant la possibilité d’avoir plus de voix au sein de l’instance décisionnelle de Cotco, le Cameroun pourra surtout engranger plus de ressources au titre des dividendes.
*Quid de Savannah Energy ?*
La décision de la Commission de la Cemac révèle également un ensemble d’engagements que N’Djamena devra prendre afin d’éviter un contrôle total et anticoncurrentiel sur cette infrastructure malgré sa montée dans le capital. On peut citer notamment l’engagement à maintenir la composition du conseil d’Administration de Cotco à 3 membres au moins et 12 au plus ; l’engagement à laisser les actionnaires minoritaires désigner certains administrateurs ; l’engagement à ne pas faire inscrire à l’ordre du jour des assemblées générales ordinaires des projets de résolutions qui relèvent de la compétence du conseil d’administration et qui portent sur les décisions stratégiques ; l’engagement à ne pas faire échec à l’accès transparent et non discriminatoire des utilisateurs non actionnaires aux capacités de stockage de Cotco disponibles à la location ; l’adoption d‘un plan d’investissement de 5 ans renouvelable…
Toutefois, en aucun cas le document ne mentionne le cas de la société Savannah Energy comme ci le rachat par la junior pétrogazière des 41,06% d’actions du géant américain Exxon Mobil n’avait jamais existé. D’un autre côté, le resserrement des liens d’amitié entre Yaoundé et N’Djamena se présente davantage comme un pied de nez à Savannah Energy qui a signé un accord de principe pour la cession de 10% de ses parts dans Cotco. Autant dire que le feuilleton est loin d’avoir livré tous ses épisodes.
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*Vers une hausse progressive des recettes coté Cameroun*
Outre une hausse des dividendes perçus par l’État en tant qu’actionnaire de Cotco en cas d’augmentation des parts de la SNH dans le capital, le Cameroun va également engranger plus de ressources sur l’oléoduc au titre du droit de transit. L’évacuation du pétrole brut tchadien à travers le pipeline génère en effet des recettes au titre de droit de transit, directement versé par la Cameroon Oil Transportation Company (COTCO) au Trésor public. Depuis le démarrage, les tarifs ont été réajustés. L’avenant à la Convention d’établissement de la Cotco, signé le 29 octobre 2013, a relevé ce taux à 1,30 dollar par baril, contre 0,41 dollar auparavant. L’avenant prévoit l’actualisation de ce taux toutes les cinq années sur la base moyenne des taux d’inflation annuels enregistrés au Cameroun pendant cette période. Sur cette base, le taux du droit de transit a été actualisé le 30 septembre 2018, passant de 1,30 dollar à 1,32 dollar par baril. Ce taux actualisé est appliqué sur les quantités de pétrole brut transitant par le terminal KK1 depuis octobre 2018, et ce jusqu’à septembre 2023, date de la prochaine actualisation du taux.
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