Affaire DIT/PAD : encore 2 cartes à jouer pour le PAD
Le triomphalisme de DIT et la sérénité affichée par le PAD montre bien que l’affaire est loin d’être close. Avec un avantage pour la partie camerounaise.
«Le Port autonome de Douala a pris connaissance à travers un courriel du Secrétariat de la Cour internationale d’arbitrage de la Chambre de commerce internationale de Paris de la sentence arbitrale rendue le 10 novembre 2020. Celle-ci ne lui est pas encore signifiée et par conséquent n’est pas exécutoire. Toute chose qui devrait en l’état, le triomphalisme et l’empressement de Douala international terminal (DIT) qui inonde les réseaux sociaux d’informations inappropriées. Le Port autonome de Douala reste serein et entend exploiter en temps opportun, tous les moyens que lui accorde la loi et qui lui permettront d’exercer un recours en annulation devant la Cour d’appel de Paris». C’est la substance d’un communiqué de presse rendu public ce 14 novembre 2020 par le Port autonome de Douala, au lendemain de la sentence arbitrale de la Cour internationale d’arbitrage de la Cci. Mais au plus fort des critiques et récriminations contre l’autorité portuaire et l’Etat du Cameroun.
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Le Port autonome de Douala envisage ainsi poursuivre le bras de fer avec le groupe Bolloré sur le plan national et international. C’est d’ailleurs le sens juridique évoqué par David Nyamsi, le Secrétaire général du Centre de médiation et d’arbitrage du Gicam (Cmag), dans une analyse datant du 12 janvier 2017, intitulée «la sentence arbitrale : décision divine ?». «Les décisions divines sont, pour le moins, si ce n’est irrévocables, mais certainement inattaquables. Vers qui nous tournerions nous pour faire changer une telle décision ? Cette question d’emblée soulevée, et transposée en matière d’arbitrage nous amène à la nécessité de rappeler que les arbitres n’ont pas un tel pouvoir. Le pouvoir des arbitres est certes juridictionnel puisque les sentences rendues ont la même force que les décisions des tribunaux étatiques. Cependant, le législateur de l’Ohada a prévu des moyens pour les parties mécontentes de porter leur affaire devant des instances pouvant réviser, interpréter, corriger, et enfin, annuler les sentences arbitrales», explique le juriste.
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En effet, l’article 33 du règlement du 10 décembre 2013 est celui du règlement d’arbitrage du Cmag du 10 décembre 2013, les nouveaux textes applicables à ce jour ayant été adoptés le 1er novembre 2019. Par conséquent, les actions prévues à l’article 33 du règlement du 10 décembre 2013 ne sont pas des recours sur le fond de la sentence. Il s’agit en réalité des demandes en rectification d’erreurs matérielles, en interprétation ou en complément de la sentence. Des actions qui doivent être engagées dans un certain délai, uniquement devant le tribunal arbitral qui a statué. «Le Centre de médiation et d’arbitrage du Gicam prévoit dans l’article 33 de son Règlement d’arbitrage que «les parties peuvent saisir le tribunal qui a statué, aux fins d’interpréter la sentence ou en corriger des erreurs matérielles qu’elles y auraient trouvées», confirme David Nyamsi. Qui va plus loin, indiquant «la possibilité d’engager une action contre une sentence arbitrale par un recours en annulation consacré par l’article 26 de l’Acte Uniforme relatif à l’arbitrage, un ultime recours devant la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage d’Abidjan (Ccja)».
Pourtant, d’après la Cour internationale d’arbitrage de la CCI, Douala International Terminal (DIT), filiale du groupe Bolloré n’est redevable d’aucune somme à l’endroit du Port autonome de Douala. La sentence arbitrale indique également la nullité de la mise en demeure du 7 janvier 2019. Sur le renouvellement de la concession, la Cour internationale d’arbitrage de la Chambre de commerce internationale a constaté une violation de l’article 25 de la Convention de concession entre l’Etat du Cameroun et Dit. Convention qui stipule la continuité du service public portuaire au cours de la concession. La Cour ordonne, dans la même sentence, au Port autonome de Douala de mettre en œuvre un nouvel appel d’offres sans phase de pré-sélection avec des conditions techniques non-discriminatoires pour DIT. Ordonnant à la partie camerounaise de verser des dommages-intérêts à Dit pour le préjudice subi du fait de la violation de l’article 25. Dommages-intérêts estimés à 64 millions d’euros, soit 42,6 milliards de FCFA.
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Ce préjudice faramineux est calculé à raison de 4 millions d’Euro avant fin décembre et 4 millions d’Euro/an, pendant 15 ans, durée de la concession: «pour le calcul de la réparation, le tribunal prend comme base d’évaluation de 58,6 millions d’euros pour 15 ans de concession. Il a décidé que le montant de l’indemnisation doit être calculé proportionnellement à la période durant laquelle Dit a été privé de la chance de participer à un appel d’offres. Donc, si au 31 décembre 2020 (soit un an après la fin de la concession), la concession n’est pas accordée au terme d’un appel d’offre, le Pad devra 3,9 millions d’Euro à Dit. Au final, le préjudice sera calculé au prorata de la période écoulée entre le 1er janvier 2020 correspondant à la fin de la concession, et le 31 décembre 2034 marquant la fin de la période de concession de 15 ans », explique une source.
Soutiens multiformes
D’après ce dernier, cet aspect doit être exclu du champ du contentieux à connaitre par la justice arbitrale. Plus grave le communiqué de Dit/Bolloré ne mentionne pas la position, d’ordre public, du 3ème juge Achille Ngwanza qui a dénoncé cette décision pour de nombreuses irrégularités: «les professionnels du Droit savent pertinemment la suite à donner en l’espèce», termine l’observateur.
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Dans les milieux d’affaires, la situation préoccupe les transitaires, commissionnaires agréés en douane, consignataires, acconiers, importateurs/exportateurs etc…La communauté portuaire est en effet en ébullition après ce nouvel épisode judiciaire dans l’affaire Société Apm Terminals B.V et Bolloré S.A contre le Port Autonome de Douala. Malgré la stabilité des services portuaires et les bons résultats dégagés par la Régie déléguée du Terminal à conteneurs du Port de Douala (RTC) depuis son lancement d’activités.
La Rtc a en effet repris avec succès les prestations de Dit. Au 30 juin 2020, la régie à capitaux publics camerounais a enregistré un chiffre d’affaires de 23.982.000.000 de FCFA. Ce, en 6 mois d’exercice sanctionnés par la manutention d’un volume de 173.593 Evp (équivalent vingt pieds) au 30 juin 2020. Faustin Dingana, le Directeur général délégué de la RTC justifie ces bons résultats par «le sens de l’anticipation sur la continuité du service public, la baisse de 10% sur les tarifs de prestation terre et la mise en service du système d’information Navis N4, logiciel acquis en urgence par la RTC pour ses opérations d’exploitation». DIT et ses actionnaires de référence annonce «la poursuite de la défense leurs droits vis-à-vis de l’ensemble des parties impliquées, devant les instances juridictionnelles nationales et internationales, en particulier concernant les réquisitions de son personnel et de ses actifs, ordonnées illégalement par le Pad fin décembre 2019 ». Le Port autonome de Douala et la RTC bénéficient d’un soutien de poids. Celui du Syntrac, le Syndicat des transitaires et acconiers du Cameroun Kpmo, farouchement opposés à la présence de Bolloré dans les terminaux portuaires de Douala et Kribi.
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