Affaire Blaise Nsom : Au-delà de l’aigreur, ce que disent des textes sur la transition au poste de gouverneur de la BEAC
Dans une correspondance adressée au vice-gouverneur, au secrétaire général et au directeur général de l’exploitation de la BEAC, le directeur général du contrôle général, le Camerounais Eugène Blaise Nsom, met fin aux fonctions du gouverneur de la Banque centrale pour compter du 07 février 2024, foulant aux pieds les prérogatives exclusives de la Conférence des chefs d’Etat de la Cemac. Une sortie qui se situe dans le prolongement de ce que le vice-gouverneur qualifie de dépassement répétitif des limites de ses compétences et qui empiète sur les responsabilités réservées au gouverneur et du vice-gouverneur. Enquête.
«Celui qui croit savoir ne sait rien. Quand j’ai dit je ne dis plus rien. Je n’aime pas rester au milieu des gens qui ne m’aiment pas». Ainsi s’exprimait Blaise Eugène Nsom, lors d’une session du comité de politique monétaire de la Banque centrale tenue à Douala en 2022. Le ton était donné par cette sortie dans une ambiance de fin de mandat du gouverneur de la BEAC. Ce jour-là, rapporte une source ayant assisté à la scène, l’ancien directeur national de la BEAC pour le Cameroun, était appelé à s’exprimer sur ses années passées au sein de l’institution au même titre que nombre d’autres. Pas étonnant que dans la soirée du 06 février 2024, les réseaux sociaux aient été pris d’assaut et assaillis par une correspondance signée du directeur général du Contrôle général de la Banque des Etats de l’Afrique centrale (banque centrale commune au Cameroun, Gabon, Congo, Guinée équatoriale, Centrafrique et Tchad), portant sur « l’arrêt des activités de Monsieur le gouverneur » de la BEAC.
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Se prévalant de ses prérogatives et de « garant du strict respect des textes auxquels la BEAC est assujettie», il constate que «le mandat de Abbas Mahamat Tolli comme gouverneur de la banque centrale, commencé le 06 février 2017, court en principe jusqu’au 6 février 2024. Ainsi, à cette date, « M. Abbas Mahamat Tolli n’a plus de mandat et d’habilitation légale à être représentant du pays dont il est originaire au sein du gouvernement de la BEAC. Il y a donc vacance du poste de gouverneur de la BEAC et ce dès le 07 février 2024 au matin », écrit-il dans sa lettre.
Rappel à l’ordre
Une sortie qui n’a pas manqué de faire réagir le vice-gouverneur de la Banque centrale. Dans sa correspondance, Michel Dzombala rappelle à Blaise Eugène Nsom qu’Abbas Mahamat Tolli, gouverneur sortant, a été nommé à ce poste par la Conférence des chefs d’Etat.
Cependant, et fait curieux, Michel Dzombala, tout en donnant une piste sur l’origine de cette sortie de Blaise Nsom, juge la démarche de ce dernier unilatérales pour mettre un terme aux fonctions du gouverneur. Pourtant, fait savoir le vice-gouverneur, c’est Abbas Mahamat Tolli qui est, lui-même, à l’origine du démarrage des initiatives sur l’organisation de sa passation de pouvoirs avec son remplaçant. En réalité, il a souhaité anticiper sur les évènements liés à cette perspective.
Mais, regrette-t-il, sans en référer à sa personnalité, le directeur général du Contrôle général va «décréter la vacance du poste de gouverneur en précisant que le gouvernement de la banque désormais réduit à quatre personnes, est habilité à diriger la Banque». «Sur ce point, je vous invite à vous référer aux dispositions statutaires qui confèrent au gouverneur et non au directeur général du Contrôle général, la compétence de prendre toute mesure d’exécution ou toute mesure qu’il juge utile dans l’intérêt de la Banque centrale.»
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Aussi, Michel Dzombala, qui qualifie la sortie de Blaise Eugène Nsom de « diktat », va-t-il déclarer « nul et de nul effet », les termes de la correspondance de ce dernier. Pour lui, «l’intérêt de la Banque ne s’accommode pas de dirigeants dont le comportement n’honore pas l’image de la Banque».
Gestion de la vacance au poste de gouverneur de la BEAC : ce que disent les textes
A la lecture des dispositions invoquées dans la correspondance de Blaise Nsom, notamment les articles 50, 51 et les alinéas 1 et 3 ; et 53 des statuts de la Banque centrale, l’on peut aisément questionner l’opportunité et la pertinence de sa démarche. En effet, l’article 50 desdits statuts dispose que «le gouverneur de la Banque centrale est nommé par la Conférence des chefs d’Etat de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC), sur proposition du Comité ministériel de I’UMAC, après avis conforme du Conseil d’administration statuant à I’unanimité».
Plus loin, à l’article 53, les statuts consacrent la prééminence de la Conférence des chefs d’Etat sur la nomination des membres du gouvernement de la Banque centrale. «Les mandats des membres du gouvernement de la Banque Centrale sont irrévocables. Ils ne peuvent être relevés de leurs fonctions que par décision dûment motivée de la Conférence des chefs d’Etat, sur proposition à l’unanimité du Comité ministériel».
Mieux, au terme de la session ordinaire du Conseil d’administration du 24 mars 2016, la résolution N°2 dispose, statuant sur la gestion de la fin du mandat des membres du gouvernement de la BEAC et assimilés, « propose au Comité ministériel de l’UMAC, en cas de poursuite des activités des membres du gouvernement et assimilés de la BEAC au-delà du terme de leur mandat compte tenu du calendrier de la conférence des chefs d’Etat, seul organe compétente en matière de nomination, de considérer cette situation comme une prorogation de fait et non comme renouvellement de mandat par tacite reconduction jusqu’à la tenue de la Conférence des chefs d’Etat.
Direction générale du Contrôle général : des missions bien encadrées
Sur les prérogatives du directeur général du contrôle général, qui, dans sa lettre organise le travail et distribue les rôles de chaque entité au sein du gouvernement de la Banque, les statuts ne font état nulle part de l’intervention de cette direction comme acteur de la vacance au poste de gouverneur de la Banque centrale. Selon les statuts, elle s’occupe de l’audit interne après avis du gouverneur et approbation du comité d’audit placé sous l’autorité directe du Conseil d’administration.
Ceci est précisé et détaillé à l’article 68, qui indique ses rapports sont adressés au comité d’audit et au gouverneur, et son rapport annuel soumis au conseil d’administration après examen par le comité d’audit. Selon un expert, le directeur général du Contrôle ne peut rien faire ni entreprendre sans l’aval du comité d’audit après que le gouverneur a donné son avis, soit favorable, soit défavorable.
Ainsi, le directeur général du contrôle général, en l’occurrence Blaise Nsom, est placée sous l’autorité hiérarchique du gouverneur et sous l’autorité fonctionnelle et opérationnelle du comité d’audit qui, lui-même, est sous l’autorité du Conseil d’administration. En réalité, assurent les experts du domaine, ce dernier n’est pas dans son rôle sur toutes les démarches entreprises dans ce dossier. Car c’est le Conseil d’administration qui définit les politiques de la Banque centrale en matière d’audit interne et externe, de conformité et de gestion des risques, en supervise le respect et veille à leur bonne exécution.
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L’on apprend aussi dans la lettre du vice-gouverneur que si les plus hautes autorités de la CEMAC n’ont pas mis fin au mandat du gouverneur, notamment lors de la désignation de son successeur, seuls les organes de décision de la Banque centrale que sont le Conseil d’administration, le Comité ministériel de l’UMAC et le Comité d’audit peuvent se saisir de cette situation. «La bonne attitude dans cette affaire aurait été de saisir ces organes de décision et d’attendre leurs orientations», rappelle le vice-gouverneur à Blaise Eugène Nsom.
Aux sources de l’affaire
A la lumière des textes, la déclaration de vacance au poste de gouverneur relève de la compétence des organes de décision de la Banque que sont le Conseil d’administration, le comité de l’UMAC et le Comité d’audit et non au directeur général du contrôle général placé sous l’autorité hiérarchique du gouverneur. Car, comme le disent les textes de la BEAC, seule la Conférence des chefs d’Etat a la compétence exclusive de nommer le gouverneur de la BEAC.
Comment donc comprendre que le directeur général du Contrôle général brille, malgré cela, par ce que le vice-gouverneur et le gouverneur qualifient de «provocations récurrentes, abus d’autorité et de comportement non professionnels», y compris les « règlements de compte personnels » ? Un faisceau de récriminations en cours d’examen au sein des organes de décision de la BEAC. En réalité, deux pistes permettent de se rapprocher de ce qui peut s’être passé, et justifier ce à quoi tout le monde assiste.
D’abord, l’épisode de la mise à la retraite Blaise Nsom par le gouverneur de la BEAC en 2022. L’on se souvient qu’au terme d’une activité épistolaire en janvier 2022, le gouverneur avait, dans un premier temps, alerté le gouvernement camerounais sur l’atteinte de la limite d’âge par le Camerounais à a tête de la direction nationale de la BEAC. Au terme d’un an de prorogation, il va refuser de renouveler cette prorogation en dépit du plaidoyer du ministre des Finances.
Ensuite, il y a la volonté de nuire à la candidature gouverneur Abbas Mahamat Tolli à la présidence de la Banque africaine de développement. L’on se rappelle il y a quelques semaines, la diffusion de tracts attribués à des Gabonais, appelant à s’opposer à la candidature du Tchadien à la tête de cette institution alors que les chefs d’Etat de la CEMAC, ont unanimement décidé de présenter et de soutenir la candidature du gouverneur sortant de la BEAC à ce poste.
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La lettre du gouverneur donne également à voir sur certaines pistes pouvant expliquer cette attitude. «Depuis un certain temps, le directeur général du contrôle général dépasse de manière répétitive les limites de ses compétences et empiète sur les responsabilités réservées au gouverneur et du vice-gouverneur par les statuts de la Banque. Ce comportement autoritaire se manifeste par des actes et des initiatives contraires au bon sens ainsi qu’aux règles d’éthique et de déontologie professionnelle de la Banque», accuse le gouverneur de la BEAC.