La mise en œuvre du Code minier de 2016 bloquée
Près de trois ans après la promulgation de cette loi dont l’objectif est de mettre fin à l’exploitation minière informelle, plus de 90% de la production d’or continue d’échapper au circuit formel.
En marge du lancement de la phase II du Projet Mines, environnement, santé et société (ProMess), lequel ambitionne d’améliorer la gouvernance minière au Cameroun à travers le suivi participatif des activités minières et la promotion de la transparence, le 28 mai 2019 à Yaoundé, l’Union européenne qui met en œuvre ce projet a expliqué que l’exploitation artisanale de l’or contribue pour à peine 0,26% au budget de l’Etat. Soit environ 1,7 milliard Fcfa. En valeur relative, 90% de l’or produit continue d’échapper au circuit formel et seuls 10% de la production est traçable. Selon les chiffres officiels, la dissimulation des quantités d’or produites par les exploitants artisanaux fait perdre plus de 1 milliard Fcfa par mois au Trésor public. Financée à hauteur de 520 millions Fcfa sur quatre ans, l’initiative européenne dont la première phase a couvert les années 2015, 2016, 2017 et 2018, assure avoir informé et sensibilisé plus de 25 000 membres des communautés minières sur les dangers de l’exploitation minière, le travail des enfants dans les chantiers miniers, la réhabilitation des sites miniers, etc., grâce à l’accompagnement des Ong Transparency International et Foder.
Une goutte d’eau dans la mer quand on évalue les besoins en la matière. Des trafiquants de toutes sortes continuent de sévir sur l’or camerounais, traduisant ainsi une faible volonté politique de mettre de l’ordre dans le secteur afin que le pays tire pleinement profit de l’exploitation minière en général et de celle de l’or en particulier. C’est surtout un étrange paradoxe, près de trois ans après la promulgation par le président de la République, Paul Biya, de la loi portant nouveau Code minier, lequel place beaucoup d’espoirs dans le secteur minier qui est non seulement générateur d’emplois et de revenus pour l’Etat, mais aussi un puissant vecteur de croissance économique et de développement. Cet instrument, véritable boussole du secteur minier et qui a mis les jalons de l’industrialisation de l’exploitation, est un cadre attractif d’exercice général de l’activité minière au Cameroun. Il a prévu nombre d’avantages pour les nationaux et davantage pour les populations riveraines.
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Plus spécifiquement, ce Code qui donne une plus grande marge de manœuvre au secteur privé en lui octroyant un rôle moteur dans le développement des activités minières à travers la mobilisation des capitaux, la création des emplois, la formation des nationaux aux différents métiers de la mine et à l’Etat, le rôle de régulation et de contrôle des activités, prévoit la prise en compte d’une redistribution équitable des retombées de l’exploitation minière par l’institutionnalisation du « contenu local » et la création d’un compte spécial de développement des capacités locales qui procèdent d’une part, de la volonté des pouvoirs publics de maximiser les retombées sociales des projets miniers et les riverains des sites de projets, a expliqué le ministère des Mines, de l’Industrie et du Développement technologique (Minmidt), lors de son adoption en 2015. Les chiffres évoquées supra sont loin d’être nouveaux et sont même antérieurs à l’entrée en vigueur du nouveau Code minier.
Redevance
Traduction, l’adoption de cette loi n’a pratiquement rien modifié à l’environnement du secteur minier. L’industrialisation attendue de son entrée en vigueur reste attendue. La Cameroon Mining Corporation (Caminco SA), dont l’entrée en activité a été plusieurs fois annoncée depuis au moins cinq ans sur un gisement situé dans l’arrondissement de Bétaré-Oya (Est), répond aux abonnés absents. Dans le même temps, plusieurs instruments destinés à l’accompagnement de la mise en œuvre de la nouvelle politique minière, prévus dans ce Code, n’ont toujours pas été créés. Il s’agit, entre autres, du Fonds de développement du secteur minier, du Fonds de restauration, de réhabilitation et de fermeture des sites miniers et des carrières, et le compte spécial de développement des capacités locales. Sur le terrain, « à cause de l’exploitation minière, les espaces réservées à nos cultures sont détruites. Du coup, les populations riveraines ne peuvent plus cultiver, faire de la chasse, l’élevage ou la pêche. En somme, notre tissu social est détruit entraînant la paupérisation. Toutes ces exploitations sont faites au détriment des populations locales qui ne reçoivent ni redevance, ni infrastructures sociales (routes, ponts, écoles centres de santé, etc.)», se plaint Jean Doka Narké, président du Front des forces républicaines (FFR), parti politique basé à l’Est.
Le Cameroun cumule au moins 80 ans dans l’exploitation artisanale de l’or. La contribution de cette mine solide dans le budget de l’Etat a été plus importante au départ, atteignant même les 20%.
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Quand le Capam cherche ses objectifs
En 2017, le Cadre d’appui à l’artisanat minier (Capam) a annoncé avoir rétrocédé 255 Kg d’or au ministère des Finances. A priori, l’on est tenté de dire qu’il s’agit d’une action d’éclat de la part de cette structure financée sur fonds de l’Initiative des pays pauvres très endettés (Ppte), mais en comparant cette cargaison avec la production réelle (au moins 144.650 grammes d’or, selon des chiffres non officiels), l’on déchante très vite. Créé le 25 juillet 2003 par le Premier ministre, le Capam est chargé, entre autres, d’encadrer l’exploitation artisanale des substances minérales telles que l’or, le saphir, le rutile, le quartzite, le disthène et le sable. Elle dispose de 35 brigades minières implantées dans 35 arrondissements du Cameroun, et est présente actuellement dans les régions de l’Est, du Sud, du Centre, du Littoral, de l’Adamaoua, du Nord, du Nord-Ouest et Sud-Ouest.
L’ex-ministre des Mines, de l’Industrie et du Développement technologique, Ernest Gwaboubou, notait en 2016 qu’«il règne dans le secteur minier à l’Est, il faut le dire sans ambages, une sorte d’anarchie depuis plusieurs années ». Il avait déploré le fait que des opérateurs ayant obtenu de simples permis de recherche se soient frauduleusement lancés dans l’exploitation. Officiellement, seuls cinq permis d’exploitation sont en cours de validité au Cameroun. Mais, sur le terrain, plusieurs opérateurs exercent au nez et à la barbe du Capam chargé de mettre de l’ordre dans le secteur. C’est cet organisme qui a la charge de canaliser la production issue de l’artisanat minier dans les circuits formels (or, saphir, sable, rutile…) ; du contrôle, du suivi de la production minière artisanale peu mécanisée ; du prélèvement des parts de l’Etat et de l’encadrement de l’activité par les ingénieurs des mines et géologues mis à la disposition des artisans. En l’état actuel des choses, on a plutôt l’impression que cette structure cherche ses missions qui sont déjà pourtant claires.
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Les entreprises exploitantes s’arrangent à minorer leur production de manière substantielle, privant l’Etat de ressources fiscales importantes, grâce aux techniques bien huilées que sont : le lavage nocturne de l’or, l’exploitation clandestine, etc. Selon nos informations, la région de l’Est à elle seule regorge à ce jour de 51 secteurs miniers, 509 chantiers actifs et 48.630 artisans miniers pour une production mensuelle d’environ 144.650 grammes d’or. Sur cette production malheureusement, seulement 84.990 grammes sont canalisés dans les circuits formels.