Communication: « Jeune Afrique » renoue avec le Cameroun à coups de millions
Fidèle à sa politique commerciale, l’hebdomadaire panafricain change de ton et présente, dans un dossier d’une dizaine de pages, un pays prêt à se relever au plan économique, mais freiné dans cet élan par une crise sociopolitique et sécuritaire qui s’enlise.
Dans son édition du 26 mai au 1er juin dernier, Jeune Afrique consacre un dossier d’une dizaine de pages au Cameroun. Loin d’être un travail laudateur, c’est une production journalistique plutôt équilibrée, du moins pour ce qui est de la plupart des articles qui le meublent. Le dossier intitulé : « Cameroun, équilibre instable », note que le pays est dans une position inconfortable ces derniers mois, du fait d’une situation sécuritaire délicate entre la crise anglophone qui paralyse le Nord-Ouest et le Sud-Ouest et les attaques de Boko Haram dans l’Extrême-Nord. Dans le même temps, sa santé économique demeure chancelante, même s’il « s’en sort mieux que ses voisins ».
Alors même que le Mouvement pour la Renaissance du Cameroun (Mrc) continue de contester la victoire de Paul Biya, le journal indique que celle-ci a été « sans surprise ». Jeune Afrique estime même qu’actuellement, « tous les Camerounais semblent porter leur attention vers les prochaines élections législatives, attendues pour novembre. Très peu suivies en temps normal, elles font cette fois office de véritable troisième tour pour le chef de l’Etat, qui peut en profiter pour remporter la majorité parlementaire qui lui permettra d’asseoir son pouvoir. Paul Biya aura alors toutes les cartes en mains pour remettre son pays sur les rails du développement économique ».
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Rarement le journal de Béchir Ben Yahmed s’était montré aussi optimiste quant aux capacités (ou plutôt à la volonté) de l’actuel président de la République à impulser véritablement le développement économique du Cameroun. « Frappé en 2016 par la chute des cours des hydrocarbures, le pays a su retrouver le chemin de la croissance grâce à la diversification de l’activité », analyse Jeune Afrique, prenant pratiquement le contre-pied du Fonds monétaire international (Fmi) qui, même s’il reconnaît des efforts en la matière, fait pression sur le gouvernement pour qu’il crée davantage de conditions pour la diversification de l’économie nationale au profit d’activités productives. Il vante par ailleurs un pays à la signature « crédible sur les marchés » et qui dispose d’un vivier de projets miniers remis au goût du jour par le démarrage des opérations du port en eau profonde de Kribi en 2018.
« Frappé en 2016 par la chute des cours des hydrocarbures, le pays a su retrouver le chemin de la croissance grâce à la diversification de l’activité », analyse Jeune Afrique, prenant pratiquement le contre-pied du Fmi qui fait pression sur le gouvernement pour qu’il crée davantage de conditions pour la diversification de l’économie nationale.
Cette évolution du ton de Jeune Afrique vers plus d’équilibre vis-à-vis du régime, confie une source proche du pouvoir, intervient après le déblocage au profit du journal, d’une importante somme. C’est ce qui expliquerait, par exemple, que le journal ait publié dans ledit dossier, une interview de complaisance sur une page de Grégoire Owona, ministre du Travail et de la Sécurité sociale et l’un des plus influents communicants du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (Rdpc), pour donner la position du gouvernement sur la crise anglophone. Toujours dans ce dossier qui pue la commande, des publicités d’entreprises installées au Cameroun. Notamment le Groupe Bolloré, les stations-services Gulfin qui n’ont jamais communiqué dans un journal local, le groupe Danpullo, la Banque des Etats de l’Afrique centrale (Beac), etc…
« Madame la présidente »
Pour avoir publié courant février, une enquête intitulé : « Madame la présidente », laquelle fait référence à la mainmise de la première dame Chantal Biya sur le pouvoir et son rôle prépondérant dans la formation du gouvernement du 04 janvier 2019, Jeune Afrique a été traité de tous les noms d’oiseaux et accusé de fomenter la déstabilisation du Cameroun. Le journal a fait l’objet d’un tir groupé de la part d’une bonne partie de la presse camerounaise, enclenché par les médias du service public, à qui l’on a fait dire que le journal faisait du chantage au pouvoir qui n’aurait pas réglé ses factures.
Jeune Afrique a même été accusé de chercher à susciter un coup d’état militaire au Cameroun, en insinuant que Chantal Biya avait acquis le pouvoir de gré à gré de son époux ou encore qu’elle était une dauphine potentielle. « C’est une idée d’enquête qui s’est progressivement imposée au fur et à mesure de la montée en influence et en visibilité de la première dame, laquelle a longtemps été sous-estimée à tort. Le dernier remaniement ministériel, en janvier, nous a fourni l’occasion de la concrétiser. Il n’y a rien d’autre que cela, encore moins un pseudo commanditaire masqué – affabulation à laquelle nous sommes habitués », avait répondu son directeur de la rédaction, François Soudan, dans une interview accordée à Mutations.
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Les relations entre le journal de la rue d’Auteuil à Paris et le pouvoir de Yaoundé ont toujours évolué en dents de scie. Un peu comme s’il y avait un pacte entre les deux, au point que dès que celui-ci est violé par l’une des parties, il y a une levée de boucliers de la part de l’autre. Beaucoup y voient plutôt des crises de ménages régulières. Le courant passe pour l’instant, et une nouvelle brouille n’est pas à exclure très prochainement.
« Cameroun, le péril jeune »
On a en mémoire la retentissante enquête intitulée « Cameroun, le péril jeune », parue dans Jeune Afrique en décembre 2014. Le journal analysait la situation à l’aune de la confiscation du pouvoir par une poignée de vieillards « sur fond de chômage galopant » chez les jeunes, en indiquant que cela constituait « un cocktail explosif ». La riposte du gouvernement avait été violente. L’ex-ministre de la Communication, Issa Tchiroma Bakary, avait affirmé que ce journal ne cachait plus « son impatience à voir la jeunesse camerounaise prendre la voie de l’insurrection populaire, et bouter hors du sérail les équipes dirigeantes actuelles, que les Camerounais dans leur écrasante majorité – et donc y compris ces jeunes eux-mêmes – ont pourtant souverainement choisi de porter à la gestion des pouvoirs institutionnels de leur pays ».
Quelques mois après, JA fera un autre dossier dans lequel il présente un Cameroun de Paul Biya confronté à une agression historique, à la chute des cours du pétrole, etc., mais qui malgré tout poursuivait son programme de développement. Plus tard, en 2017, Yaoundé n’avait pas apprécié la publication par Jeune Afrique d’une interview de l’ancien ministre de l’Administration territoriale, Marafa Hamidou Yaya, dans laquelle, il disait être un prisonnier politique.
La touche de Sadi et Mvondo Ayolo
Le nouveau ministre de la Communication, René Emmanuel Sadi, un vieil ami du journal, serait pour beaucoup dans cette évolution. Il a obtenu un « cessez-le-feu » comme cela a été le cas par le passé, à coup de centaines de millions Fcfa. Il est vrai, indique JA dans son dossier querellé, « Paul Biya est très attaché à l’image internationale de son pays ». Mais, ce n’est pas sur ce terrain-là qu’il est attendu.
René Sadi, qui avait dit vouloir donner une nouvelle orientation à la communication gouvernementale en expurgeant la flagornerie, a un devoir historique vis-à-vis de la presse nationale, dont il doit travailler à améliorer la situation économique. Au lieu de quoi, le haut commis longtemps considéré comme le dauphin putatif du président Paul Biya, a l’ambition de pérenniser le pernicieux système du financement informel ou plutôt illégal des grands médias françafricains.
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Une stratégie floue
La stratégie globale de com’ de Sadi est floue. Il prend des distances avec les médias et journalistes nationaux. A la limite, il les regarde tous de haut. A preuve, depuis son arrivée à la tête du Mincom, le 04 janvier dernier, il a mis fin aux interviews quasi-hebdomadaires auxquelles son prédécesseur, Issa Tchiroma Bakary, avait habitué les journalistes locaux. Rendus au 6ème mois de l’année, rien ne filtre au sujet de l’aide publique à la communication privée, qui n’a jamais dépassé 200 millions Fcfa, alors que parallèlement, des journaux et des télévisions étrangères sont financés à coup de milliards Fcfa. René Emmanuel Sadi et Samuel Mvondo Ayolo, le directeur du cabinet civil de la Présidence, sont ceux qui ont convaincu le chef de l’Etat de racheter la chaîne de télévision Africa 24, à près de milliards Fcfa.