Construction de l’Agence Beac d’Ebolowa: le Gouverneur de la BEAC accusé de favoritisme au profit du Tchad
Dans une correspondance adressée au président de la République Paul Biya, Amadou Ahmadou, le directeur général de la D.N.B International Sarl, une entreprise camerounaise qui affirme avoir présenté les meilleures offres techniques et financières, n’a pas été retenue pour cet important marché de plus d’une dizaine de milliardsau profit d'une entreprise tchadienne dont le Président directeur général est, selon une autre source, le grand frère du Chef de l'Etat tchadien et l’Oncle d'Abbas Mahamat Tolli, le Gouverneur de la Banque des Etats de l'Afrique centrale, maître d'œuvre du projet. L'opérateur camerounais crie au favoritisme.
La correspondance est parvenue à la rédaction d’EcoMatin le 25 février dernier. Elle a été adressée au président de la République, Paul Biya, par Amadou Ahmadou, le directeur général de la D.N.B International Sarl, une entreprise de droit camerounais, spécialisée dans les prestations de services, le commerce général, les bâtiments et travaux publics. En objet « requêtes aux fins d’intervention« . Au sujet d’un juteux marché de construction de l’agence de la Banque des Etats de l’Afrique centrale (Beac) à Ebolowa, dans la région du Sud. Selon le DG de DNB International, plusieurs entreprises ont soumissionné à l’appel d’offres lancé par la Beac, dont la D.N.B International Sarl. A l’issue du processus, peut-on lire dans la correspondance, l’entreprise camerounaise « a été classée 1ère par le maître d’œuvre dans les évaluations des offres techniques« . Le maître d’œuvre étant la Beac.
Toujours d’après la même correspondance, la D.N.B International Sarl « a été classée 1ère dans l’évaluation des offres financières avec une offre moins élevée... ». Montant de l’offre: 12.417.000.000 de FCFA. Par ailleurs, D.N.B International Sarl « a été la seule entreprise camerounaise parmi les cinq entreprises proposées par la Commission interne de marché de la Beac à l’arbitrage du gouvernement de la Beac« . Pour Amadou Ahmadou, signataire de la lettre, « alors qu’on se serait attendu à ce que ce marché fût attribué à cette entreprise nationale qui avait la meilleure offre technique suivant l’évaluation du maître d’œuvre, et le prix le moins élevé, le marché est en passe d’être attribué à une entreprise tchadienne ayant sa maison-mère au Soudan…. « . Ce, poursuit le directeur général de D.N.B International Sarl, « au mépris de la règle de préférence nationale qui aurait dû être prise en compte « .
« …Ce n’est pas le gouverneur de la BEAC qui attribue les marchés »
Contacté par la rédaction d’EcoMatin, le cabinet du Gouverneur de la BEAC se défend de tout favoritisme et reconnait qu’il y a eu effectivement un appel d’offres international pour la construction de cette agence. Selon le code de marché actuellement en vigueur au sein de l’institution, tout marché supérieur à 5 million de Fcfa doit faire l’objet d’un appel d’offres international. La commission ad hoc en charge de l’analyse des offres a reçu 12 dossiers et en a retenus 9 en octobre 2018. Cette commission qui ne comporte d’ailleurs aucun membre de nationalité tchadienne, nous précisent nos interlocuteurs, est actuellement présidée par un congolais, et est composée de 8 membres de différentes nationalités de la CEMAC. Elle a reçu 12 dossiers et en a retenus 9. Six dossiers de soumissions d’entreprises membres de la CEMAC, et trois hors CEMAC, dont une chinoise, une Turque et une française.
Contrairement a ce qu’affirme son directeur général, le dossier de soumission de la société D.N.B International Sarl n’a pas reçu les meilleures notes techniques et financières. Celles-ci ont été attribuées à une société chinoise China Shanxi Construction. Mais cette société chinoise n’a pas été retenue parce qu’elle a actuellement des retards sur d’autres chantiers avec lesquels elle est en contrat avec la BEAC, notamment le chantier de construction d’un bâtiment de la BEAC en Centrafrique ou elle accuse un gros retard. Elle a donc été recalée au profil du groupement Afcorp-Sner basé au Tchad qui occupait la deuxième place du classement.
Une source interne à la BEAC nous informe que Africa Corporation Tchad est dirigée par l’ambassadeur Daoussa Itno Deby, Président directeur général, grand-frère d’Idriss Deby Itno, président en exercice de la CEMAC, président du Tchad
Nos interlocuteurs rassurent aussi qu’il n’existe pas, dans les textes de la BEAC, de clauses sur la préférence nationale, et que ce n’est pas le Gouverneur de la BEAC qui attribue le marché, mais plutôt le gouvernement de la Beac, constitué de 6 membres représentant chacun son Etat. Le vice-gouverneur actuel de ce gouvernement est de nationalité camerounaise.
Soupçon de délit d’initié
Le marché de construction de l’agence de la Banque des Etats de l’Afrique centrale d’Ebolowa a donc légalement été attribué le 13 mars 2019 à la société Africa Corporation Tchad (Afcorp), dont la maison-mère, le Groupe Sner est basée au Soudan. Spécialisée dans le bâtiment et les ouvrages d’art. Une source interne à la BEAC nous informe que Africa Corporation Tchad est dirigée par l’ambassadeur Daoussa Itno Deby, Président directeur général, grand-frère d’Idriss Deby Itno, président en exercice de la CEMAC, président du Tchad. Notre source rappelle aussi que le favoritisme ou trafic d’influence est le fait du Gouverneur de la Banque des Etats de l’Afrique centrale, Abbas Mahamat Tolli, également de nationalité tchadienne, proche neveu du Président Idriss Deby Itno.
A propos, Amadou Ahmadou affirme avoir été écarté du marché Beac Ebolowa pour des raisons obscures : « Africa Corporation Tchad n’a aucune expertise en matière de construction de bâtiments« , pense l’entrepreneur camerounais basé à Garoua dans la région du Nord. Appelant in fine le président de la République « à examiner cette situation préjudiciable aux intérêts du Cameroun ». Pourtant, la filiale de la Sner brandit un portefeuille de clients: parmi lesquels, les Etats, les entreprises (Satom, Arab Contractor, Cgcoc….), les Ong ou même des particuliers. C’est à ce titre qu’Africa Corporation Tchad a d’ailleurs été déclarée adjudicataire du marché de construction de la route Maroua-Bogo au Cameroun, suite à un appel d’offres International, se défend Daoussa Itno Deby.
Un traitement de faveur pour le Tchad ?
L’affaire du juteux marché de construction de l’agence Beac à Ebolowa, vient remettre au goût du jour des murmures de favoritisme au bénéfice du Tchad, dans les couloirs de la Beac. Un marché attribué à une entreprise tchadienne dont le promoteur est un proche parent d’Idriss Deby, le président tchadien est problématique à plus d’un titre.
Avant cet incident, les milieux bancaires au Cameroun n’ont pas hésité, il y a peu, à établir un lien entre les micmacs autour des devises et un traitement de faveur envers les établissements bancaires au Tchad. Dans ce pays sérieusement en crise, d’aucuns estiment que les banques voient leur demandes de transfert de devises être traités avec célérité
Avant cet incident, les milieux bancaires au Cameroun n’ont pas hésité, il y a peu, à établir un lien entre les micmacs autour des devises et un traitement de faveur envers les établissements bancaires au Tchad. Dans ce pays sérieusement en crise, d’aucuns estiment que les banques voient leur demandes de transfert de devises être traités avec célérité. Le Groupement inter-patronal du Cameroun (Gicam) propose une politique de rationnement de devises qui s’impose à l’ensemble des pays de la zone Cemac.
Elle devrait reposer sur le principe d’un arbitrage visant à orienter les réserves disponibles en devises vers les secteurs / opérations prioritaires pour l’économie camerounaise ainsi que vers les secteurs stratégiques afin de ne pas bloquer l’activité économique qualifiée « d’essentielle » dans les pays de la sous-région. Une circulaire de la Beac et/ou des trésors nationaux pourrait ainsi définir les secteurs prioritaires et/ou stratégiques et remplacer le mode First In-First Out (FIFO) dans la gestion des transferts à l’étranger.
Toujours selon le secteur privé, la définition de ces secteurs/opérations prioritaires devra tenir compte des orientations de politique économique, des nécessités sociales et des possibilités de substitution possibles au sein des pays. Ils pourraient ainsi concerner : les secteurs productifs (industrie, première et deuxième transformations,…) ; les secteurs à fort rendement fiscal (Filières agro industriel, TIC, pétroliers,…); les secteurs stratégiques (hydrocarbures, exportations de produits de rente, médicaments, produits de première nécessité non manufacturés sur place…) ; les opérations d’investissements.
A l’opposé de ces secteurs/opérations prioritaires, la circulaire devra introduire des limitations conséquentes pour certaines opérations consommatrices de devises pour lesquelles des alternatives sont possibles ou qui peuvent être raisonnablement différées : importations de produits qui sont déjà manufacturés / disponibles sur place ; importations de produits non prioritaires (friperie,…) ; paiement des dividendes des actionnaires étrangers ; paiement des frais d’assistance technique (sauf urgence).