Défaillance : alerte rouge sur le barrage de Nachtigal
Graves fissures verticales et horizontales sur les joints de plots et corps de structures, fuites et infiltrations d’eau sur lesdites failles, dégradations des bétons, fragilisation de la paroi par des fuites d’eau, etc., sont entre autres pathologies mises en lumière par l’Arsel dans un rapport sur le suivi de la construction de cet ouvrage. Une situation embarrassante qui vient s’ajouter aux mauvaises nouvelles qui s’amoncellent dans le lot des tristes préoccupations qui gangrènent le secteur énergétique, au moment où toute la stratégie gouvernementale en la matière est articulée autour de cette infrastructure.
Dans le cadre du suivi-régulatoire des investissements du projet hydroélectrique de Nachtigal, l’Agence de régulation du secteur de l’électricité (Arsel) a effectué une mission sur le site de construction dudit barrage le 11 août 2023. La descente qui avait pour objectif de « faire le point de la conformité des investissements aux préconisations légales » s’est achevée sur de graves constats à même de faire penser à l’apocalypse dans le secteur de l’électricité dans les jours à venir au Cameroun. Ce qui a amené le régulateur à marquer « sa préoccupation pour les risques de retard dans les délais de livraison des travaux ».
Dans son rapport richement illustré et documenté dont une copie est parvenue à notre rédaction, l’Arsel donne à voir, photos à l’appui, la liste non exhaustive des pathologies constatées sur les structures de trois grands ouvrages de cette infrastructure : le barrage déversant à seuils labyrinthes ; le bassin de dissipation du barrage déversant, ainsi qu’au niveau du raccordement entre le canal d’amenée et la prise d’eau usinière.
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Au niveau du barrage déversant à seuils labyrinthes, le régulateur fait des constats qui donnent des frissons. «Des fissures verticales sont visibles entre les joints de plusieurs plots, notamment sur les plots 91 et 92 ; 88 et 87 ; 87 et 86 ; et 86 et 85 ; des infiltrations d’eau sont observées sur lesdites fissures ; des fissures horizontales sont observées sur les joints de corps des structures », constate le régulateur. De plus, le bassin de dissipation du barrage déversant présente « des dégradations précoces et accélérées des bétons ». Au niveau du raccordement entre le canal d’amenée et la prise d’eau usinière, l’Arsel se préoccupe fortement des « fissures verticales sur les parois de la prise d’eau d’usine ; des fuites d’eau observées au pied de la paroi de la prise d’eau d’usine avec la mise en eau du canal d’amenée ».
Cette avalanche de pathologies, qui trahit manifestement des malfaçons et des mauvaises pratiques dans le choix des matériaux et des dosages dans la conduite des travaux, amène le régulateur à exiger de Nachtigal Hydro Power Corporation (NHPC), société du projet de construction de l’ouvrage, de lui transmettre nombre de données. Il s’agit notamment du « rapport complet présentant la nature et la profondeur des anomalies constatées, ainsi que toutes les solutions pertinentes pour leur correction ; le chronogramme de mise en œuvre urgente des mesures de réparation et de renforcement des structures des ouvrages du barrage sur lesquelles les pathologies ont été identifiées ».
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NHPC doit également transmettre à l’Arsel, en perspective à la réalisation d’un audit de régulation en préparation, toute la liasse documentaire technique et financière des travaux de construction des ouvrages du barrage. Une situation de nature à faire perdre le sommeil à l’Etat, qui doit déjà gérer les effets des tensions de trésorerie permanentes du concessionnaire du service public de l’électricité. D’autant plus que toute la stratégie du gouvernement en matière d’équilibre du secteur de l’énergie électrique au Cameroun est articulée autour de l’achèvement des travaux de construction de cette infrastructure.
Le déluge de pathologies constatées sur les structures des ouvrages du barrage de Nachtigal se déclenche un mois tout juste après la mise en eau de l’ouvrage. En effet, la cérémonie de mise en eau (remplissage du réservoir) du barrage de Nachtigal a eu lieu le 18 juillet 2023. Ce jour-là, le ministre de l’Eau et de l’Énergie, Gaston Eloundou Essomba, face à la presse, n’avait pas eu le triomphe modeste. «Suivant le chronogramme du projet, les six autres groupes de la centrale seront progressivement mis en service au cours de l’année 2024, afin d’atteindre une mise en service commerciale de l’aménagement en septembre 2024. À cette date, toutes les capacités de production seront installées et mises en production. La centrale fournira une puissance de 420 MW, permettant une production d’électricité annuelle d’environ 2970 GWh, qui sera injectée au Réseau interconnecté Sud.», avait-il déclaré.
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Quatre mois plus tard, l’Arsel évoque des risques de retards dans la livraison de l’ouvrage, au regard des dégradations précoces, accélérées, des fuites d’eau, des infiltrations d’eau et des fissures constatées sur la structure de l’ouvrage. Pourtant, EDF, le partenaire stratégique du projet, se gaussait de la qualité de cette infrastructure qu’elle présentait comme le fleuron des barrages construits ces dernières années dans le pays, tant elle disait mettre toute la rigueur pour le respect des normes de construction et de la conformité des préconisations légales. «En tant qu’actionnaire principal, le groupe EDF apporte son expertise pour que Nachtigal soit un ouvrage de qualité et sûr, construit dans le respect de l’environnement », jubilait la multinationale française sur son site internet le 18 juillet 2023.
Aujourd’hui, il y a lieu de questionner la qualité des matériaux et des dosages effectués par les ingénieurs sur le terrain. Une batterie de malfaçons dévastatrices, qui devrait coûter à l’Etat des retards sur son programme énergétique, dont Nachtigal est la colonne vertébrale.
Le barrage hydroélectrique de Nachtigal est un investissement global de 786 milliards de FCFA, qui, selon le gouvernement, devrait permettre d’augmenter de 30% les capacités de production de l’électricité au Cameroun. Son achèvement et sa mise en service vont doper la contribution de l’hydroélectricité dans le mix énergétique, et permettre de réaliser des économies sur les achats des combustibles destinés à faire tourner les centrales thermiques. Tout cela semble lointain, avec les sérieuses préoccupations soulevées par le régulateur dans son rapport d’août dernier.
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