Ramatoulaye Goudiaby : « Le développement de l’industrie des services financiers passera par l’accroissement du nombre de groupes bancaires opérant à l’échelle régionale »
Dans cette interview exclusive accordée à EcoMatin, la Directrice de l’AFIS présente ce sommet organisé par le Groupe Jeune Afrique comme une véritable plateforme de dialogue public-privé, qui a vocation à répondre à 4 enjeux : Contribuer au développement d’un secteur financier africain de classe mondiale ; placer l’industrie des services financiers au cœur de la réussite du projet de la ZLECAf ; doper l’inclusion financière et assurer un financement durable des économies et donner une voix à l’industrie financière africaine dans les débats sur la régulation internationale.
A quelques jours de l’édition 2023 de l’AFRICA FINANCIAL INDUSTRY SUMMIT – AFIS qui se tiendra à Lomé pouvez-vous brièvement présenter à notre lectorat cet événement qui a pris une ampleur internationale en quelques années seulement.
AFIS, c’est l’événement annuel de référence, unique en Afrique qui réunit les leaders de l’industrie financière à savoir, les banquiers, les assureurs, les fintechs, les opérateurs de marchés de capitaux et de mobile money, les décideurs politiques et les régulateurs venus d’Afrique et du monde entier. Après le succès de sa première édition physique en novembre 2022, les leaders du secteur financier se réuniront pendant 2 jours (15 & 16 novembre), pour une 3e édition à Lomé, au Togo, afin de discuter et de débattre des enjeux clés de l’industrie, d’autre part, de trouver ensemble des solutions aux nombreux défis posés à l’industrie financière.
Je rappelle enfin à nos lecteurs qu’AFIS n’est pas qu’un événement annuel, c’est une véritable plateforme de dialogue public-privé, qui a pour vocation à répondre à 4 enjeux :
- Contribuer au développement d’un secteur financier africain de classe mondiale
- Placer l’industrie des services financiers au cœur de la réussite du projet de la ZLECAf
- Doper l’inclusion financière et assurer un financement durable des économies
- Donner une voix à l’industrie financière africaine dans les débats sur la régulation internationale
La plateforme AFIS accompagne donc toute l’année, à travers des rencontres et workshops, l’industrie financière africaine pour faire de ses conclusions et de ses initiatives, des transformations durables et concrètes au bénéfice d’une industrie africaine encore plus résiliente et compétitive à l’échelle internationale.
Ce pourquoi œuvre l’AFIS, c’est le développement de l’Industrie des services financiers, passage obligé pour parvenir à la souveraineté économique de l’Afrique. Quels changements sont intervenus entre la première édition et la prochaine qui s’ouvre le 15 novembre ?
Comment emmener des groupes panafricains comme Ecobank, BGFI, Afriland First Group, Sunu, Attijariwafa, Activa, etc à acquérir une envergure mondiale ?
En tant que professionnelle de la finance et notamment de la finance de marché, je suis convaincue que le développement de l’industrie des services financiers passera par l’accroissement du nombre de groupes bancaires opérant à l’échelle régionale, ou continentale et, ayant atteint une taille suffisamment critique pour pouvoir être compétitif à l’échelle internationale.
L’un des changements majeurs que j’aimerais souligner, c’est celui du paysage bancaire africain. Les acteurs locaux Vista, Coris, Sunu, Atlantic Financial Group ou dernièrement BGFI, ont su saisir les opportunités offertes par le départ des grandes banques internationales telles que Standard Chartered, BNP Paribas et Société Générale, pour renforcer leurs activités bancaires en zone UEMOA ou CEMAC. Ainsi, Vista Bank devient un groupe bancaire panafricain d’envergure, suite au rachat des filiales de BNP Paribas et à l’acquisition d’Orabank et des filiales de Société générale en 2023. Le groupe affiche désormais une présence dans 16 pays avec une empreinte en Afrique centrale et en Afrique de l’Ouest. Quant aux banques nigérianes, afin d’accroître et de diversifier leurs revenus et de créer des opportunités pour les investisseurs internationaux intéressés par les marchés africains, elles ont décidé d’accroître leur franchise en Afrique francophone, notamment Access Bank, qui ambitionne, à partir de sa filiale parisienne, d’opérer dans plusieurs pays d’Afrique francophone.
Je salue également les réalisations, telles que le déploiement réussi du projet pilote du système panafricain de paiement et de règlement (PAPSS) ou le lancement du projet de liaison entre les bourses africaines (AELP), une plateforme d’interconnexion permettant la négociation de titres cotés sur les sept bourses participantes.
Lorsque Mike Ogbalu, PDG de PAPSS, a décidé de participer à l’AFIS en novembre 2022, c’était pour une raison importante : rencontrer les gouverneurs des banques centrales présents au sommet, tels que les gouverneurs des banques centrales du Ghana, du Kenya, du Rwanda, de la Zambie et des États d’Afrique de l’Ouest, afin d’initier une collaboration visant à fournir un service de paiement et de règlement auquel les banques commerciales, les fournisseurs de services de paiement et les fintech de toute la région peuvent se connecter en tant que « participants » . PAPSS collabore avec plusieurs banques centrales, banques commerciales et bourses désormais et, nous sommes fiers que plusieurs discussions aient été initiées durant l’édition 2022 de l’AFIS.
En ce qui concerne l’AELP, invitée par Félix Aménounvé, le PDG de la BRVM, j’ai assisté au lancement de ce projet le 7 décembre 2022 à Abidjan, en Côte d’Ivoire, et en vous parlant, j’en ai encore la chair de poule. Il s’agit d’une réalisation majeure pour le continent et je pense que ce projet améliorera la profondeur et la liquidité des marchés de capitaux. Pourquoi ? Les fonds souverains, de pension et d’assurance africains détiennent plus de 1000 milliards de dollars d’actifs investis dans des obligations d’État et des actifs étrangers. Pourtant, restrictions réglementaires, instabilité monétaire, manque de projets bankables, d’expertise et de liquidités constituent des entraves qui les rendent hésitants à investir dans les marchés de capitaux locaux en manque de profondeur, en atteste le déficit de financement annuel de 107 milliards de dollars. Il existe donc un réel potentiel de financement des investisseurs locaux, et des mécanismes innovants pour attirer les capitaux locaux, des opportunités réelles à saisir et, à débattre durant cette 3e édition de l’AFIS.
Nous avons de surcroît en Afrique des bourses solides, notamment en Afrique du Sud, au Maroc au Nigéria et en Egypte. En zone UEMOA, la BRVM est d’ailleurs devenue la cinquième capitalisation boursière d’Afrique, devant la bourse de Nairobi (NSE) suite à la cotation en bourse d’Orange Côte d’Ivoire en décembre 2022 ainsi que de la bonne tenue du marché de l’UEMOA, depuis le début de l’année 2023, montrant une certaine résilience face aux chocs endogènes et exogènes.
Construire une industrie financière africaine de classe mondiale est-il seulement possible pour un continent qui paie un plus lourd tribut aux crises qui s’enchaînent dans le monde ?
Oui, c’est possible au regard des progrès remarquables réalisés ces 20 dernières années par l’industrie africaine notamment sous l’impulsion des banques commerciales, des bourses et des fintechs. Bien entendu, nous avons conscience que le secteur financier opère dans un contexte de poly crises mondiales sans précédent, marqué notamment par une inflation persistante qui fragilise les capacités des acteurs du secteur public et privé du continent à se financer, se refinancer et financer les entreprises. Ces poly crises, loin de briser les ambitions du secteur financier africain (i) combler un déficit de financement des PME de 330 milliards de dollars, (ii) augmenter considérablement le taux de pénétration de l’assurance (moins de 3 % contre une moyenne mondiale de 7 %) et approfondir les marchés de capitaux (environ 1 100 sociétés cotées sur 25 bourses africaines contre plus de 2 000 sur la seule bourse de Shanghai) et (iii) favoriser l’excellence dans des domaines stratégiques tels que la transformation numérique et l’intelligence artificielle) n’ont fait que renforcer sa résilience depuis 3 ans, résilience nécessaire pour réaliser sa transition et, permettre au secteur de devenir un véritable moteur de l’économie réelle.
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A court /moyen terme et pour construire cette industrie financière de classe mondiale, il faudrait à l’échelle continentale :
- mettre en œuvre des réformes structurelles en Afrique pour rétablir une stabilité macroéconomique durable et réduire l’exposition des économies africaines aux chocs extérieurs
- améliorer l’espace fiscal des pays africains. En effet, les pays africains n’ont pas la marge fiscale nécessaire pour pouvoir faire face à ce genre de chocs, ni les mêmes outils pour y répondre comme l’Occident.
- revoir les classements risque pays établis par les agences de notation (Fitch Moody’s S&P pour ne citer que celles-ci) compte tenu du décalage de l’appréciation du risque africain par rapport à la réalité. En effet, plusieurs états africains n’ont jamais fait défaut en 20 ans, mais sont classés comme ultra risqués.
Vous parlez d’une opportunité à 1500 milliards de dollars. Sur quoi repose un tel enjeu ?
Afin de saisir cette opportunité que nous avons estimée à 1500 milliards de dollars, le continent doit rehausser ses niveaux de pénétrations financières, à l’image de ce qu’il s’est produit en Chine, et dans les pays développés dans le secteur bancaire, de l’assurance et des marchés de capitaux. Cela passera par exemple: (ii) augmenter considérablement le taux de pénétration de l’assurance (moins de 3 % contre une moyenne mondiale de 7 %) et approfondir les marchés de capitaux (environ 1 100 sociétés cotées sur 25 bourses africaines contre plus de 2 000 sur la seule bourse de Shanghai).
Quelle devrait être la place des Fintechs et de la transformation digitale dans la construction de cette Afrique des services financiers que vous appelez de vos vœux ?
Aujourd’hui, il faut capitaliser sur les mécanismes innovants offerts par les fintech et la transformation digitale qui favorisent la transformation économique. Les fintech sont connues pour leurs capacités à innover rapidement et à fournir des solutions financières créatives. En développant des technologies telles que l’intelligence artificielle, la blockchain et l’analyse de données, les fintech peuvent créer de nouveaux produits et services financiers qui répondent aux besoins spécifiques de l’Afrique. Par exemple, la tokenisation des actifs ou l’utilisation de la finance numérique pourrait permettre à l’Afrique de tirer parti d’un potentiel de liquidité et de financement inexploité. En effet, alors que le PIB de l’Afrique était évalué à 2,6 milliards de dollars en 2021, le potentiel financier des ressources du sous-sol africain, estimé à 100 000 milliards de dollars, serait supérieur au PIB mondial actuel de 87,5 milliards de dollars. La tokenisation des actifs naturels, tels que la terre, l’agriculture, le bétail et l’or, présente de nombreuses opportunités pour les institutions financières africaines. Le Nigeria envisage d’autoriser le commerce de tokens, la République Centrafricaine projette de tokeniser ses ressources minérales tandis que la Banque Centrale du Zimbabwe envisage de créer une monnaie numérique adossée à l’or. L’Afrique doit saisir cette opportunité, un game changer pour l’amélioration des finances publiques et le financement des infrastructures notamment.
Enfin, la collaboration tend à s’intensifier entre les fintech et les institutions financières traditionnelles pour améliorer leurs propres services. Les fintech peuvent en effet apporter une expertise technologique et une agilité aux institutions financières, tandis que les institutions financières peuvent offrir une infrastructure solide et une réglementation existante. Ainsi, JUMO, une entreprise de technologie financière basée en Afrique du Sud et la Commercial Bank of Africa (CBA) au Kenya ont collaboré pour fournir des prêts et des services financiers numériques aux petites entreprises kényanes. Cette collaboration a permis d’élargir l’accès au crédit pour les entrepreneurs locaux.
Pour finir, quelles sont vos projections en termes de participation à l’AFIS 2023 et quels sont les principaux profils visés ?
L’événement qui se tiendra à Lomé les 15 et 16 novembre 2023 devrait réunir plus de 1000 leaders du secteur de la finance, banquiers, assureurs, fintechs, opérateurs de marchés de capitaux et de mobile money, décideurs politiques et régulateurs venus d’Afrique et du monde entier parmi lesquels :
- M. Jules Ngankam, Directeur Général, Africa Guarantee Fund
- M. Jeremi Awori, CEO Groupe, Ecobank,
- M. Olivier Alawuba, Directeur général groupe, UBA
- Mme Patty Karuaihe -Martin, Directrice générale NamibRE
- M. Chris Maurice, CEO, Yellow Card
- M. Sérigne Dioum, Responsable Fintech du groupe, MTN
- Dr. Edoh Kossi Amenounve, CEO, BRVM
- M. Mohamed Bah, CEO, Sunu Assurances
- M. Ripert Boussoukpe, Secrétaire général, AMF-UMOA
- Dr. Ernest Addison, Governor, Central Bank of Ghana
- M. Sergio Pimenta, Vice-President Regional pour l’Afrique, IFC
- M. Walter da Cruz Pacheco, President of the Executive Committee, BODIVA, Angola
- M. Michael Jongeneel, CEO, FMO
- Mme Françoise Lombard, Directrice Générale, Proparco
- M. Sidi Ould Tah, Directeur Général, BADEA
- M. Simon Tiemtoré, Président, Vista group
- M. Serge Ekué, Président, BOAD
- M. Mamo Mirethu, Gouverneur de la Banque Centrale d’Ethiopie
- M. Mike Ogbalu, CEO, PAPSS
- M. Idrissa Nassa, CEO, Coris Group
- Mme Aida Diarra, Senior Vice President, VISA
- M.Olayemi Cardoso, Gouverneur Banque Centrale du Nigéria
- Mme Delphine Traoré, CEO General Insurance, SanlamAllianz
- M. Aivo Andrianarivelo, Gouverneur, Banque centrale de Madagascar
- M. Francis Chipimo, Deputy Governor – Operations, Bank of Zambia (désigné par le Gouverneur)
- M. Valens Kimenyi, Directeur en charge du secteur financier, du développement et de l’inclusion financière, National Bank of Rwanda (désigné par le Gouverneur)
- Dr. Innocent Matshe, Vice-Gouverneur, Reserve Bank of Zimbabwe
- Dr. Michael Atingi-Ego, Vice-Gouverneur, Bank of Uganda
- M. Jean- Claude Kassi BROU, Gouverneur, BCEAO
- M. Alain Kaninda Ngalula, Directeur Général, ARCA
- Ms. Abenaa Kessewaa Brown, Chairperson, NIC Ghana
- M. Goodson Kapaso, Manager, PIA, Zambia
- M. Blaise Abel EZO’O ENGOLO, Secrétaire Général, CIMA
Nous attendons côté secteur privé essentiellement des CEOs et membres de COMEX ainsi que des directeurs de département.