Diplomatie : les défis de Bruno Foucher, le nouvel ambassadeur français en RCA
Le chef de mission diplomatique de la France dans le pays a été reçu en audience par le chef de l’Etat centrafricain Faustin Archange Touadera le 9 août 2023.
Le 09 août 2023, le président de la République de RCA, Pr. Faustin Archange Touadera a reçu en audience, Bruno Foucher, le nouvel ambassadeur de France dans ce pays. Au-delà du changement des hommes à la tête de la chancellerie française dans ce pays déchiré par une crise sécuritaire dont les conséquences sur l’économie sont dévastatrices, l’Hexagone a besoin de changer sa politique et de reconfigurer sa stratégie d’actions en RCA. Cela passe par une reconstruction méthodique des rapports entre les deux pays, devenus exécrables ces dernières années du fait de la montée du rejet de la politique française.
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Car, la crise que traverse la République centrafricaine est loin d’être terminée. L’État, aidé par la Minusca et l’armée rwandaise, maîtrise relativement le contrôle de son territoire et demeure confronté à la menace des groupes armés. Tout ceci arrive dans un contexte de rupture brutale entre les deux anciens partenaires bien que la France soit encore le principal fournisseur du pays. À titre d’illustration, le nouvel ambassadeur devra travailler à renforcer les liens commerciaux des deux pays en chute, après pourtant une remontée en 2017-2018. En 2022, les échanges commerciaux avec la RCA ont non seulement été en baisse mais également très faibles, représentant 1% des échanges français avec les pays de la zone CEMAC.
En 2022, le montant des exportations a affiché une baisse de 4,2 millions d’euros pour s’établir à 30,7 millions d’euros. Cette tendance s’explique par la chute des ventes d’équipements électriques et ménagers, des produits pharmaceutiques ainsi que des matériels de transport. Malgré une diminution, les produits agroalimentaires restent le poste le plus important des exportations, suivi des machines industrielles et agricoles ainsi que des produits informatiques, électroniques et optiques. Dans cette ambiance, nombre de multinationales françaises établies en RCA ont manifesté le désir de quitter le pays dans un contexte de crise sécuritaire et de pression inflationniste en raison de la guerre en Ukraine. Bruno Foucher devra redresser la barre de cette balance commerciale et convaincre les entreprises à non seulement investir dans le pays mais également à y rester. L’on peut dans ce registre citer le groupe Total qui a décidé de quitter le pays alors qu’il est englué dans une pénurie de carburants.
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En effet, Transafrica Market oil (Tamoil RCA), nouvel opérateur du réseau de la multinationale française en RCA, est le nouveau nom de la filiale locale dont TotalEnergies a finalisé la cession à 100% à ce repreneur, la banque d’affaires Rochefort international, basée à Londres et Paris et présente dans plusieurs secteurs d’activité.
Tamoil RCA, à ne pas confondre avec la société du même nom opérant en Europe et ancienne propriété de la Libye sous Kadhafi, va récupérer les actifs, dont 25% de la Société Centrafricaine de Stockage des Produits Pétroliers, et les dettes de l’État centrafricain à l’égard de Total. De fait, le départ de RCA se justifie par le désengagement de TotalEnergies de ses réseaux de distribution qu’elle cède à d’autres opérateurs ainsi que le contexte local défavorable.
Au-delà, on compte encore quelques grandes entreprises françaises telles que Bolloré, Castel, Areva et Orange dans le pays. Celles-ci bénéficient du soutien des milieux d’affaires hexagonaux et ne se sentent pas obligées d’investir dans le pays. Pourtant, la concurrence des Russes et des Chinois fait rage et ne cesse d’éroder les quelques parts de marché qui leur restent encore.
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Pour cela, il faudra des investissements ciblés qui vont attirer la sympathie des populations. Ceci devrait se réaliser dans un contexte marqué par une présence russe de plus en plus forte qui multiplie les initiatives bilatérales importantes à destination de la RCA. Notamment la sécurité, la diplomatie avec l’Alliance des BRICS, les investissements dans nombre de secteurs stratégiques jusque-là laissés déserts par la France. Sa stratégie de reconstruction devrait alors reposer sur trois axes : une reconstruction de l’appareil sécuritaire, des investissements ciblés et une approche diplomatique régionale.
Dans ce domaine, la France est souvent pointée du doigt pour tirer avantage de la crise sécuritaire dans le pays. Le pays, qui bénéficie de grands contrats avec la Minusca et souvent accusé par de nombreux rapports d’ONG de soutenir les bandes armées qui déstabilisent la RCA, amplifie et entretient l’image d’un pays instable et non sécurisé. Ceci parce qu’ayant complètement perdu la capacité de continuer sa gouvernance cachée de la RCA, qui a établi une coopération solide avec la Russie. Toute chose qui fait fuir les partenaires commerciaux potentiels de la RCA.
L’on se souvient encore de l’affaire Castel, éclaboussée par un rapport des dizaines de témoignages de l’ONG The Sentry, co-fondée par l’acteur américain George Clooney sur sa complicité dans la commission de crimes contre l’humanité et de guerre sur le sol centrafricain par des rebelles en échange de protection des installations de SUCAF RCA, filiale du groupe français Somdiaa. L’affaire révélée par l’ONG américaine en août 2021, a mis en lumière un accord secret passé entre une filiale du groupe Castel, la société sucrière Sucaf RCA, et les rebelles de l’Unité pour la paix en Centrafrique (UPC), soupçonnés d’avoir commis plusieurs massacres dans le pays jusqu’aujourd’hui. Malgré les dénégations du groupe Castel, le rapport de l’ONG The Sentry n’a pas été enterré en France. Le parquet de Paris s’est dit compétent pour connaître de cette sulfureuse affaire et va se pencher officiellement sur les faits mettant en cause le géant français.
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La France a également mal à ses rapports avec la RCA dans le volet monétaire. Le pays siège en effet au conseil d’administration de la BEAC et n’a pas manqué de marquer son opposition au projet de cryptomonnaie de la RCA porté sur les fonts baptismaux par le chef de l’Etat en personne, Faustin Archange Touadera en 2021. La levée de boucliers de la BEAC à cet effet a été perçue à l’époque comme une dictée de la France qui digérait mal cette volonté du pays de vouloir s’affranchir du franc CFA dont le compte d’opérations est logé au Trésor public français. Une situation qui a eu le don d’amener le FMI à suspendre la revue de son ancien programme avec le pays et les financements qui l’accompagnaient dans le pays, le temps de voir clair dans ses intentions.
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