Eneo Cameroon : les vraies raisons du départ précipité de Patrick Eeckelers
Management passif, détérioration du climat au sein et en dehors de l’entreprise, rapports électriques avec la tutelle. La coupe était devenue pleine pour le dirigeant belge quinze mois seulement après son arrivée à la tête de l’énergéticien.
Poussé vers la sortie? Toujours est-il que le gouvernement n’a pas manqué d’exprimer sa préoccupation au fonds britannique Actis, qui détient 51% des parts de Energy of Cameroon (Eneo) et à qui revient le pouvoir de désigner le directeur général, face à l’environnement de plus en plus électrique dans lequel baignait l’entreprise sous Patrick Eeckelers. Le 26 juin, le conseil d’administration en a tiré toutes les conséquences, même si une porte de sortie lui a été aménagée sous la forme d’une démission préalable.
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De bonne source, le manager belge a jeté l’éponge au bout de quinze mois, sur les dix-huit passés à Eneo, du fait d’un climat extrêmement délétère d’abord au sein du top management de l’entreprise. Patrick Eeckelers était entré en froid avec Henri Epesse, le secrétaire général, ainsi qu’avec son successeur, le Franco-Marocain Amine Homman Ludiye, qui officiait comme directeur général adjoint en charge de la production. Selon nos relais, les deux cadres avaient pris un ascendant psychologique sur leur patron, du fait des relations étroites qu’ils entretenaient avec le sommet de l’État et face au vide qui devenait de plus en plus béant à mesure que Eeckelers prenait également ses distances avec la capitale camerounaise, à cause du traumatisme qu’il vécut le 17 août 2022.
Dénonciation
Ce jour-là, le dirigeant est en train de prendre son petit déjeuner à l’hôtel Hilton de Yaoundé lorsqu’il est apostrophé par deux policiers en civil qui l’embarquent pour la direction de la police judiciaire, à Elig-Essono. Pendant deux heures, il est cuisiné à la suite d’une dénonciation d’un employé licencié pour fraude. En dépit des interventions qui finiront par le faire libérer, le Belge ne s’est jamais relevé de cette humiliation. Delà découle le « management passif », fait de séjours récurrents hors du Cameroun, qu’il adoptera ensuite, d’après une source introduite, au point de qualifier sa gestion de « catastrophique ». « On juge d’abord un manager dans sa capacité à maintenir des relations apaisées avec toutes les parties prenantes, et non sur ses performances financières. Sur ce plan, il s’est loupé. Car le climat était devenu tendu au point où les installations de l’entreprise étaient menacées », assène-t-il
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L’une des manifestations étant les relations tendues avec la plupart des 120 sous-traitants, dont les salariés n’ont cessé d’envahir les agences Eneo ces dernières semaines. En jeu, une réclamation de 10 milliards de F Cfa pour des travaux remontant à 2015. Même si cette ardoise va au-delà des quinze mois qu’il a passé à la tête de l’énergéticien, les mécontents dénoncent le peu de considération avec lequel il traitait ce sujet.
Ses relations avec certains responsables tutélaires se sont également électrocutées avec le temps. Patrick Eeckelers a certes gardé de bons rapports avec Séraphin Magloire Fouda, le président du conseil d’administration et secrétaire général des services du Premier ministre – il trônait d’ailleurs en bonne place lors de la réception du récent mariage du fils de ce dernier -. Mais c’était une autre paire de manches avec le ministre de l’Eau et de l’Energie (Minee), Gaston Eloundou Essomba. « Il [le membre du gouvernement] a toujours eu des rapports tendus avec les dirigeants d’Eneo. Et la situation risque de ne pas s’arranger avec le nouveau », commente notre source.
Faits révélateurs, les échanges parfois vifs de correspondances entre le directeur général et le membre du gouvernement. Dans une correspondance intitulée « Délestages importants dans le Réseau Interconnecté Sud (RIS), consécutifs aux manquements aux obligations contractuelles de la société Eneo quant à la production de l’électricité à partir des centrales thermiques », en date du 17 février 2023, Gaston Eloundou Essomba pointait un doigt accusateur sur le management du Belge, marqué par « des manquements aux obligations contractuelles de l’entreprise dont il a la charge ». D’après le constat dressé par le ministre à propos de la gestion de l’étiage 2022-2023, « sept des dix régions (Est, Nord-Ouest, Littoral, Ouest, Sud, Centre et Sud-Ouest) connectées au Réseau interconnecté sud (RIS) subissent des délestages journaliers conséquents, oscillant en 40 et 150 mégawatts (MW). Des défaillances imputables à Eneo, selon Gaston Eloundou Essomba, qui ne mettait pas suffisamment à contribution les centrales thermiques disponibles.
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Envies de départ
Deux autres rubriques ont également alimenté le désaccord entre l’énergéticien et sa tutelle technique : la compensation tarifaire, qui est la subvention au consommateur supportée par l’État, représentant la différence entre ce que ce consommateur doit réellement payer et ce qu’il paie effectivement, et l’éclairage public. Sur ces deux dossiers, Eneo sollicitait respectivement 72 et 57 milliards de FCFA pour une période allant de 2020 à 2023. Pourtant, le gouvernement estimait que les compensations tarifaires des années 2020, 2021 et 2022 ont été totalement payées. Celle de 2023 faisant l’objet d’une convention de remboursement de dettes entre Eneo, Electricity Development Corporation (Edc) et l’Agence de régulation du secteur de l’électricité (Arsel). En outre, les factures pour l’éclairage public n’ont toujours pas été validées par l’Arsel et ne sauraient être considérées comme une créance.
Ce départ survient au moment où Actis, lassé par l’accumulation des arriérés de l’Etat, marque ses envies de départ, en dépit du fait que l’entreprise a tout de même réalisé un bénéfice de plus de 10 milliards de FCfa l’année écoulée, pour un chiffre d’affaires de pratiquement 440 milliards de FCfa. Un groupement ayant la Caisse nationale de prévoyance sociale (Cnps) pour chef de file, et constitué de la Société nationale des hydrocarbures (Snh) est engagé dans une due diligence pour la reprise de cet acteur incontournable du secteur électrique local. Un processus que le successeur de Patrick Eeckelers est censé en principe voit le bout.