Les ports du Cameroun sont-ils encore compétitifs ?
Ceux de Douala et Kribi sont fréquemment visés par des rumeurs jetant du discrédit sur leurs capacités.
Après Douala, c’est le tour de Kribi d’être sur la sellette. Une rumeur circule sur les réseaux sociaux depuis quelques jours, qualifiant le port de Kribi « d’éléphant blanc ». Ladite rumeur attribue à certaines sources, des informations selon lesquelles le port de Kribi aurait enregistré moins de 20 opérations depuis le début de l’année et par conséquent n’aurait presque pas de rentrées d’argent. Toujours selon la même rumeur, les entreprises Guinness S.A, Canal+, Cimencam, Apilcam, etc., auraient choisi de tourner le dos au port de Kribi pour le coût élevé du stationnement par rapport à Douala, soit 5 000 FCFA de plus par container par jour. Par ailleurs, poursuit l’information relayée sur les réseaux sociaux, le consortium camerounais KPMO se noierait sur le terminal polyvalent et se serait séparé de certains de ses ouvriers, le trafic étant presque nul. Des rumeurs aussitôt démenties par l’organisme portuaire. « Le PAK qui achève bientôt une première année d’exploitation avec des chiffres remarquables, a prescrit à l’ensemble des opérateurs intervenant sur la place portuaire de Kribi, des mesures urgentes tendant à booster son attractivité et accroître le développement de son trafic », explique dans un communiqué paru le 16 janvier, Patrice Melom, directeur général du PAK. Qui ajoute par la suite que « ces directives sont applicables au plus tard le 31 janvier 2019 concernent principalement Kribi Conteneur Terminal (manutentionnaire sur le terminal à conteneurs), Smit-Lamnalco (opérateurs du remorquage et de lamanage) et Kribi Polyvalent Multiple Operators (manutentionnaire sur le terminal polyvalent). « L’organisme portuaire, en tant que leader de la communauté, s’est engagé à maintenir le niveau de ses tarifs homologués en 2016, sur le segment navire et marchandises en opérations sur le terminal à conteneurs », poursuit le DG dans sa note d’information. Des mesures qui, d’après Patrice Melom, visent à améliorer l’offre commerciale du port de Kribi, pour lui permettre de satisfaire les attentes croissantes des opérateurs économiques et du grand public, exportateurs et importateurs de biens.
C’est environ 140 000 FCFA de pertes dues à ces tracasseries pour chaque voyage entre Douala et N’Djamena
Ce n’est pas la première fois qu’une plateforme portuaire est la cible d’une vague de désinformation. Il y a quelques semaines, le Port de Douala a été visé par des rumeurs persistantes faisant état de ce que la République centrafricaine et le Tchad envisageraient d’abandonner la principale plateforme de la côte camerounaise au profit du port de Pointe-noire au Congo. Ceci à cause d’un certain nombre de griefs soulevés par les chargeurs centrafricains et tchadiens qui semblent toutefois légitimes. Ces derniers disent avoir perdu environ 600 000 tonnes de marchandises sur le corridor camerounais chaque année, et se plaignent des tracasseries policières. C’est environ 140 000 FCFA de pertes dues à ces tracasseries pour chaque voyage entre Douala et N’Djamena. Cependant, ces rumeurs sont infondées, selon Lin Dieudonné Onana, le Secrétaire général de la communauté portuaire de Douala. D’après ce dernier, la RCA a certes signé en mai dernier, un accord de coopération avec le Port de la RDC, mais cela ne signifie pas qu’elle ne viendra plus au Cameroun. Il explique la démarche centrafricaine par la politique de diversification que tout Etat normal doit avoir.
Le Congo aguiche la clientèle tchadienne et centrafricaine
Les ports camerounais bénéficient cependant des atouts et d’une longueur d’avance. La Centrafrique et le Tchad (pays enclavés) continuent de considérer que la côte camerounaise est leur côte naturelle. « C’est la plus courte pour arriver à la mer », explique le Secrétaire général de la communauté portuaire de Douala. Une unité avancée de la douane centrafricaine est installée au niveau du port de Douala, alors que Bangui abrite les services du Port de Douala depuis février 2018.
Douala vient en effet d’être auréolé du prix du patriotisme et de l’innovation en décembre 2018 au cours du forum économique de l’Afrique gagnante à Paris
Pour ce qui est du Tchad, plusieurs accords lient les deux pays en matière douanière, dont celui portant sur l’assistance administrative mutuelle, signé le 24 août 2016. Au niveau de l’infrastructure portuaire, beaucoup d’efforts semblent être faits. Douala vient en effet d’être auréolé du prix du patriotisme et de l’innovation en décembre 2018 au cours du forum économique de l’Afrique gagnante à Paris. Une reconnaissance certainement du processus de normalisation et de l’innovation, ainsi que de modernisation engagé depuis quelques temps (et qui a permis notamment l’enlèvement des épaves, la construction des voiries, la révision des concessions jusqu’à l’acquisition des nouveaux équipements nautiques, la construction des magasins cales, l’aménagement des espaces de stationnement pour les pays de l’hinterland) afin d’arrimer le port aux standards internationaux. Kribi quant à lui a été certifié conforme au code ISPS qui a pour premier objectif d’établir un cadre international faisant appel à la coopération des gouvernements contractants, des organismes publics et privés.
Malgré ces atouts, ils devront désormais composer avec une concurrence régionale de plus en plus entreprenante. Le Congo et la Centrafrique ont en effet signé un accord visant à faciliter et promouvoir le transit des marchandises entre les deux pays. Ceci à partir du Port autonome de Pointe-Noire, à travers le chemin de fer Congo-Océan, le corridor routier via les routes nationales 1 et 2, ainsi que par bateau, à partir du fleuve Congo. Il y a de quoi revoir certains problèmes et dysfonctionnements qui ont fait leur lit au niveau des côtes camerounaises. Entre autres ventes aux enchères publiques des marchandises, tracasseries policières, disponibilité de la balise GPS, lourdeurs administratives, apurement des cautionnements des marchandises, etc., déplorés par le colonel Ousmane Adam Dicki, directeur général des Douanes et droits indirects du Tchad lors de sa visite port de Douala du 9 au 10 janvier dernier.
Limbe et Garoua dans le pipe
L’état camerounais a plus d’un tour dans son sac, en ce qui concerne les projets portuaires. C’est le cas du port en eau profonde de Limbe. Après avoir opéré une modification du site de Ngeme vers celui d’Isonge, le gouvernement est revenu à son option de départ, selon un rapport de l’Autorité portuaire nationale (APN). C’est le 1er novembre 2013 que le gouvernement camerounais a signé un protocole d’accord avec le consortium camerouno-coréen dénommé Limbe Port Industrial Development Corporation (LIPID), pour la construction du port en eau profonde de Limbe, dans la région du Sud-ouest du pays. Cette infrastructure, qui devrait engloutir la bagatelle de 300 milliards de FCfa, selon les estimations actualisées, devait être livrée en 2018.
Face au retard accusé pendant deux ans dans la réalisation de ce projet, et afin de rendre rapidement opérationnel le port en eau profonde de Limbe, LIPID «a proposé au gouvernement camerounais de commencer par la construction d’une jetée flottante multifonctionnelle, capable d’accueillir des navires de 20 000 tonnes, dont le coût est estimé à environ 35 millions de dollars (17,5 milliards de FCfa)», avait annoncé le gouvernement au sortir d’une réunion tenue le 15 janvier 2015 à Yaoundé. Neuf mois plus tard, ce terminal flottant qui, selon le chronogramme présenté en janvier 2015 par LIPID, «pourrait être construit et livré au terme de six mois», reste attendu.
Une fois achevé, le port en eau profonde de Limbe devrait permettre d’exporter annuellement 50 000 tonnes de produits agricoles dès 2017
De même que les autres composantes de cette infrastructure portuaire, qui «sera spécialisé dans le transport des produits lourds tels que les hydrocarbures (la seule raffinerie du pays se trouve à Limbe), le ciment (une cimenterie sera construite dans la ville de Limbe), les conteneurs et autres produits agricoles (la CDC exploite des milliers d’hectares de banane, d’huile de palme et d’hévéa autour de Limbe)», précise le gouvernement camerounais. Une fois achevé, le port en eau profonde de Limbe devrait permettre d’exporter annuellement 50 000 tonnes de produits agricoles dès 2017, selon un rapport de l’étude du projet.
Il faudra aussi compter avec le port de Garoua, un des rares ports fluviaux que compte le Cameroun. Situé sur les abords de la Benoué, les études en vue de sa redynamisation sont en cours. Au début des années 1990, le trafic était estimé entre 8000 et 10 000 tonnes par an, la navigation vers le Nigeria n’étant réellement active que lors des périodes de crue.